Ce tome est le deuxième d'une série indépendante de toute autre. Il comprend les épisodes 6 à 10, initialement parus en 2014/2015, écrits par Joshua Williamson, dessinés et encrés par Mike Henderson, avec une mise en couleurs réalisée par Adam Guzowski. Il faut avoir commencé la série par le premier tome Le sang va couler (épisodes 1 à 5).


Épisode 6 - Alice rencontre Mallory (une jeune femme à quelques jours d'accoucher) venue à Buckaroo dans l'Oregon, spécialement pour que son enfant y naisse et devienne quelqu'un de connu, en l'occurrence un tueur en série. Il s'avère que Mallory est une personne un peu troublée. Épisode 7 - Brian Michael Bendis (un scénariste de comics) effectue un séjour à Buckaroo pour y recueillir du matériel afin de nourrir ses prochains scénarios. Il bénéficie d'un entretien détendu avec Edward Warren, le supposé tueur en série appelé Nailbiter.


Épisodes 8 à 10 - La situation se complique à Buckaroo. Plusieurs journalistes sont arrivés sur les lieux, en quête de sensationnalisme. Le révérend Fairgold commence à rassembler la population autour de lui, en faisant observer l'inefficacité de la shérif Sharon Crane, et la nécessité pour la communauté de se ressouder, en commençant par surveiller ses voisins et signaler tout activité suspecte. Nicholas Finch (l'enquêteur de la NSA) a retrouvé l'apiculteur du coin (il s'était fait piqué par une abeille en arrivant à Buckaroo) et lui rend visite. L'entretien est tendu. Thomas Crowe (le conducteur du car de ramassage scolaire) a décidé de prendre une initiative.


C'est avec impatience que le lecteur se plonge dans ce deuxième tome, suite au premier où les auteurs avaient preuve d'une maîtrise malicieuse, des codes du thriller et des conventions narratives associées aux tueurs en série. Les 2 premiers épisodes prouvent qu'ils n'ont rien perdu de leur malice : cette ville attire d'étranges détraqués. En découvrant Mallory, le lecteur se dit qu'il aurait dû y penser (une attirance perverse et morbide), ce qui n'empêche pas le scénariste d'emmener le récit dans une direction inattendue. Comme dans le premier tome, il montre au lecteur qu'il connaît les clichés du genre, qu'il est capable de les utiliser et de s'en servir pour nourrir son récit, tout en leur rendant du sens.


Le deuxième épisode commence comme une parodie. Les auteurs mettent bel et bien en scène Brian Michael Bendis, le scénariste phare de l'éditeur Marvel au cours des années 2000 et 2010. Cet épisode constitue le pendant de l'épisode 7 de la série Powers (présent dans le recueil Powers, Tome 3 :) dans lequel Warren Ellis (un autre scénariste de comics) effectuait une ronde dans la voiture des 2 personnages principaux pour une immersion terrain afin de savoir ce dont il parle dans ses comics.


Dans un premier temps, le lecteur se dit qu'il s'agit d'une moquerie facile vis-à-vis de Bendis. Il change d'avis en cours d'épisode quand il constate que Joshua Williamson s'inspire des dialogues naturalistes à la Bendis le temps de 2 séquences. Il constate également que Mike Henderson rend hommage aux mises en page conçues par Bendis et Michael Avon Oeming pour la série Powers (à commencer par Qui a tué Retro Girl ?). Ça commence avec 2 pages de 17 cases chacune dans lesquels Bendis recueille l'avis des autochtones (le lecteur attentif reconnaît parmi eux Alan Moore indiquant que nous sommes tous connectés). Ça continue avec un dessin en double page, dans lequel les questions et réponses de Bendis et Warren s'entremêle. Le lecteur est conforté dans son impression qu'il s'agit d'un hommage (et non de tourner Bendis en dérision) dans la scène finale où un personnage vient se faire dédicacer le numéro 7 de Powers.


Contrairement à ce qu'il semble ces 2 épisodes ne sont pas des bouche-trous en attendant de revenir à l'intrigue principale. Le concept de la série repose sur cette ville où sont nés 16 tueurs en série ; elle est donc un personnage à part entière. Ces 2 épisodes permettent de continuer de faire connaissance avec elle et de continuer de l'explorer. De manière organique et fluide, le scénariste emmène le lecteur aux abords de la ville, dans un parc public où jouent des enfants, puis revient dans les souterrains découverts dans le premier tome. La suite permet de découvrir une nouvelle maison isolée, ainsi que de faire quelques pas dans les bois.


Tout au long de ces 5 épisodes, le lecteur apprécie également le développement des personnages. Il n'a pas accès à leur flux de pensées, mais il les voit interagir. Alice continue de proposer son aide, sans pour autant être servile ou gentille. Il est visible qu'il y a un sentiment mélangé de colère et de peur qui couve en elle, ne serait-ce qu'au vu de la façon dont elle s'en prend au révérend Fairgold en public. Nicholas Finch n'est toujours pas un enfant de chœur, avec également une forme de colère dont il se sert avec froideur. Joshua Williamson joue sur l'anticipation du lecteur pour mieux le surprendre. Alors qu'il s'attend à ce que l'antagonisme entre Finch et l'agent Abigail Barker du FBI prenne de l'ampleur, il apparaît que leur relation se développe d'une autre manière. Le révérend Fairgold (le père d'Hank) est immédiatement antipathique, sans pour autant que le scénariste abuse du cliché de l'homme d'église à son encontre. Il est même d'autant plus redoutable qu'il est un orateur chevronné et qu'il propose des actions de bon sens. Il suffit de quelques pages pour la motivation de Thomas Crowe (le conducteur du car de ramassage scolaire) devienne consistante et plausible. Williamson asticote avec malice (presque méchanceté) la shérif Sharon Crane, simplement en exposant son inefficacité devant les administrés qui l'ont élue. En quelques cases, le lecteur ressent de l'empathie devant le désarroi de cette femme qui a pourtant la tête sur les épaules.


Outre toutes ces qualités bien réelles, le récit continue d'être avant tout un thriller haletant, alors même que le lecteur tourne les pages à son propre rythme. Le lecteur a bien compris que personne n'est à l'abri, que l'étrangeté bizarre est coin de la page, que les meurtres ignominieux vont continuer et que l'auteur s'amuse comme un petit fou à le titiller. En particulier il avance l'auto-surveillance comme une idée de bon sens pour que la communauté délaisse la position de victime pour se prendre en main et agir pour assurer sa propre sécurité, tout en montrant immédiatement les dérives de cette pratique. Il agite sous le nez du lecteur 2 nouvelles pistes potentielles pour expliquer l'existence de tant de tueurs en série dans cette petite ville de l'Oregon.


Les planches de Mike Henderson plongent le lecteur dans un monde pas tout à fait assez substantiel, comme si le budget pour les décors n'avait pas toujours été suffisant. Le lecteur sait toujours où il se trouve. Certaines localisations sont représentées dans le détail : la chambre d'Alice, le parc public avec les jeux pour enfants, la grande pièce à vivre de la maison de l'apiculteur. D'autres sont représentées de manière plus sommaire, mais très bien habillées par la mise en couleurs d'Adam Guzowski. C'est en particulier le cas de la forêt environnante ou de l'orée des bois. Il n'est pas possible d'identifier les essences des arbres, mais les camaïeux donnent l'impression de la composition chromatique propre aux feuillages et aux troncs, ainsi que la bonne tonalité de luminosité. Le lecteur ressent l'impression de la présence des arbres plus ou moins éloignés. Par moment, les couleurs ne suffisent pas à étoffer les dessins, comme par exemple la pièce dénudée en sous-sol de la maison de l'apiculteur, ou encore les rives lisses du lac artificiel. Fort heureusement ces occurrences sont minoritaires dans ces 5 épisodes.


Mike Henderson trace des traits de contour présentant quelques irrégularités, ce qui confère un aspect plus spontané au tracé, moins poli. Les personnages présents au tome précédent ont conservé leur apparence, facilement reconnaissable, les nouveaux le sont tout autant. Il représente Brian Michael Bendis avec une certaine fidélité, tout aussi chauve, un peu plus jeune et un peu moins empâté. Les expressions des visages transcrivent bien les émotions des personnages, en étant parfois un peu exagérées, sans en devenir caricaturales.


La mise en scène s'avère sophistiquée, qu'il s'agisse du découpage des planches, des angles de vue ou des moments qui sont représentés. Alors même que l'artiste ne peut pas imposer le rythme de lecture (pas comme dans un film), il réussit à surprendre le lecteur par une image choc sans être gore ou photoréaliste (une seringue plantée dans la joue, dont l'aiguille traverse la langue, on est bien dans le genre horreur). Il sait faire monter la tension narrative par une mise en scène adaptée, par exemple Bendis se promenant dans les souterrains, avec la seule lumière de son téléphone pour s'éclairer. Il arrive à rendre visuellement plausible la plupart des séquences du scénario, même quand l'auteur privilégie l'effet à la crédibilité (une personne cachée sous le lit de Shanon Crane). Il n'y a le déménagement trop rapide d'une maison qui ne colle pas visuellement.


Ce deuxième tome s'avère tout aussi retors que le premier, avec un thriller horrifique original, conçu par un scénariste maîtrisant les conventions du genre et les mettant au service de son récit tout en faisant de discrets clins d'œil au lecteur pour qu'il reste sur ses gardes, mis en scène par un dessinateur habile. Joshua Williamson, Mike Henderson et Adam Guzowski se jouent du lecteur avec habileté, avec une intrigue dont le premier degré tient la route, une horreur qui prend plusieurs formes narratives, et qui taquine plusieurs aspects de la condition humaine. Il ne s'agit pas d'une analyse pénétrante et profonde, mais le récit met en scène des peurs révélatrices.

Presence
9
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le 3 févr. 2020

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