C'est après treize années d'attente que la patience du lecteur assidu de THEODORE POUSSIN se voit récompensée par la parution du Dernier Voyage de l'Amok, treizième tome des aventures du rejeton du capitaine Steene.


Théodore Poussin est devenu avec le temps un personnage incontournable de la bande-dessinée française. Son allure rondouillarde aux traits simples a priori l'ont souvent fait passer, pour ceux qui se contentaient de l'apercevoir sur les couvertures de ses albums, pour un genre de Tintin binoclard au gros nez, affublé du pull marin du capitaine Haddock.
On est pourtant bien loin des AVENTURES DE TINTIN, tant d'un point de vue graphique que narratif, car Teddy est beaucoup plus proche de CORTO MALTESE que du célèbre reporter à houppette. Il est d'ailleurs fortement recommandé à ceux qui ont parfois ressenti l'appel du grand large, ainsi qu'aux amateurs des grands récits de voyage de Joseph Conrad, Rudyard Kipling ou Hugo Pratt de lire d'affilée les sept premiers albums de THEODORE POUSSIN : un récit parfaitement maîtrisé, inspiré de la vie réelle de Théodore-Charles Le Coq, grand-père de Frank Le Gall. C'est grandiose.
Les tomes suivants (8 à 12) ont quelque peu marqué le pas. Faits de bonnes intentions, garnis de bonnes idées, mais manquant cruellement du souffle qui avait fait la force des six premiers albums (le septième – indispensable lorsqu'on a lu les précédents – est à part).
Le Dernier Voyage de l'Amok fait suite à Les Jalousies, dont l'histoire se déroulait quelques mois auparavant. Il est donc conseillé de le relire avant de découvrir le nouvel album, histoire de bien situer des personnages qu'on peut avoir oublié depuis 2005 (Buck et Coudreuse, en particulier).


Qu'en est-il donc de ce tout nouveau et tout frais THEODORE POUSSIN ?
Eh bien, c'est incontestable, on est happé par la lecture dès le début. On s'immerge dans le récit sans la moindre peine. Tout semble évident, couler de source. On suit les personnages dont on se demande en quoi consiste leur but, et celui de Teddy en particulier, vu que c'est le meneur et le (anti-)héros. Les dialogues sont particulièrement bons, les répliques bien tournées. On sent que Le Gall a tenu à soigner son écriture. On lui reprochera juste l'emploi agaçant de l'anglais (schooner) pour désigner l'Amok, le voilier de Poussin. Pourquoi ne pas simplement utiliser "goélette" comme le font tous les marins français du monde ? Encore cette fascination pénible pour les anglicismes inutiles. Mais passons, car les qualités de ce récit sont suffisamment nombreuses pour faire oublier ce navrant écart.
Le Gall crée de nouveaux personnages tour à tour inquiétants (Colombe), attachants (Mickymos) ou rappelant simplement – et subtilement – le passé (Harmonie). Il a pris plus de soin également à dessiner ses planches. On le constate particulièrement lorsqu'on lit l'album à la suite des Jalousies, dont le trait était souvent plus heurté et moins peaufiné. Ici, Le Gall se montre plus fin, précis et soigné.


Mais il y a malgré tout un problème avec Le Dernier Voyage de l'Amok : c'est la justification finale donnée par Teddy du périple qu'on a dévoré durant les cinquante-deux pages précédentes. Les dix dernières pages semblent effectivement bien maigres, en quantité et en qualité, pour justifier tout ce qu'on a lu depuis le début. Tant que Théodore garde ses intentions secrètes, l'histoire tient très solidement. Mais lorsqu'il nous révèle le fin mot de celle-ci, le pourquoi de l'expédition, on se demande alors pour quelle raison il a embarqué un équipage dans cette affaire. Le personnage se révèle alors beaucoup moins mûr qu'on ne croyait car tout n'est en fait que question d'orgueil et de dernier mot.


Au bout du compte, l'album demeure un réel plaisir de lecture malgré cette fin maladroite. Frank Le Gall annonce un album à suivre qui devrait se dérouler en Europe. Espérons donc qu'il ne faudra pas attendre quatorze ans pour découvrir le quatorzième tome des aventures de Théodore Poussin.

Muffinman
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le 7 avr. 2018

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