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Ca se gâte un peu. Après avoir massacré tout son monde, Cothias, pour des raisons probablement financières, cherche à faire repartir la série pour un autre tour de piste. Mais les procédés qu'il emploie pour nous refaire du Gentil-Nicolas et du Vilain-Malik sont très modérément crédibles, pour ne pas dire plus.

Déjà, on est censé se retrouver mille ans après l'action précédente. Pourquoi ce délai ? Pas très clair. Si on suit bien le dédale d'indications parfois contradictoires que nous sert Cothias, l'Océan a envahi toute la surface de la Terre, et s'est congelé. On peut penser que c'est à cause du réchauffement climatique que les eaux ont monté, mais les motifs de la congélation ultérieure ne sont pas clairs.

Comme la réintroduction immédiate des héros est fort délicate (quand on est mort, on est mort), Cothias nous propose d'autres personnages en préambule : un vaisseau spatial terrien qui revient sur la terre après un long voyage, voir où en est la terre; l'équipage rappelle "Alien", avec sarcophages d'hibernation et tout le toutim. Comme la série est essentiellement tragique, Cothias profite de ces nouveaux venus pour changer un peu de ton : sur le modèle de "Star Wars", il nous présente un robot comique et très intelligent, en forme de pingouin, qui s'appelle "Alfred" (bonjour, Zig et Puce !). D'ailleurs, le chiot de dessin animé qui lui joue des tours s'appelle "Puce" (c'est-y pas une référence, ça ?). Le contraste entre l'intelligence d'Alfred (qui contrôle tout le vaisseau, de manière assez bavarde) et le ridicule des situations dans lesquelles il est impliqué, produit un effet comique bienvenu, et salutaire pour le lecteur, qui sait bien qu'à un moment, il va falloir qu'il se re-tape la mélancolie de Nicolas et le sadisme diabolique de Malik.

Beaucoup des scènes ayant lieu sous l'eau, on peut y voir une référence à l'Inconscient et à l'onirisme nocturne. Comme tout le monde est mort (sauf l'équipage du vaisseau, mais Malik se chargera bien d'arranger ça), il fallait bien matérialiser de quelque manière le changement de référentiel : on est désormais dans l'au-delà, où les règles en vigueur sont celles de l'esprit, de l'imaginaire, du fantasmatique. Il suffit de relire "Le Vent des Dieux", pour se rappeler que Cothias adore balader ses héros dans un contexte de haute fantaisie transcendantale, qui permet l'apparition de toutes les créatures improbables que l'on veut, et de renverser toutes les situations d'un claquement de doigts sans avoir à fournir d'explications rationnelles.

Car, côté fantaisie et irrationnalité, il ne faut pas en promettre à Cothias : il en est lui-même grand pourvoyeur, tant que cela donne lieu à des images fortes et des émotions prenantes. Déjà, cette Notre-Dame-de-Paris engloutie (planches 2 et 3) (Merci, Adamov !) nous fait apprécier (mais pas expliquer) la montée des eaux; plus fantaisiste encore, la nef de Notre-Dame contient des statues géantes des héros qui vont apparaître dans l'album. Qui a bien pu perdre du temps à sculpter ces statues, en prenant les personnages pour des dieux ou des démons (planches 3 et 4) ? Si on a bien lu les cinq tomes précédents, les héros (et Malik, d'ailleurs) sont seuls, très seuls, et pas une âme pour s'intéresser à leurs élucubrations, à plus forte raison pour en faire des dieux et sculpter des statues monstrueuses. !

On appréciera également la Terre transformée en étoile à six branches ("cinq", dit Alfred; il est miraud, ou quoi ? - planche 27), puis reprenant sans coup férir une physionomie plus globulaire, sans grande explication (planche 44).

Il faut attendre les planches 20 et 21 pour retrouver les héros de la vieille garde (tiens, ils sont où ? Sous l'eau ou pas ?), histoire de comparer fugitivement Nicolas au "Petit Prince" de Saint-Exupéry (planches 19 et 20), et surtout de nous mystifier en jetant le doute sur la réalité matérielle des personnages ainsi récupérés (planche 20).

Plus inquiétant, le mécréant Cothias, qui ne fait pas mystère de son soixante-huitardisme vomissant les religions, cherche bizarrement à justifier l'assimilation de ses personnages à des instances divines ou démoniaques : Malik est diabolique (très impressionnante vignette sur le réveil de la statue de Malik, planche 4), et Nicolas est Dieu. Drôle d'idée que d'introduire la religion dans le récit, d'autant que Cothias, visiblement peu accoutumé à la vivre de l'intérieur, n'en récupère que les oripeaux, qui transparaissent jusque dans le titre de l'album, et ce, dans un but sensationnaliste dont la superficialité et l'inutilité deviennent gênantes.

La seule justification, c'est que le dieu-Nicolas, qui a quand même le pouvoir de ressusciter son monde (planche 20), n'est pas tout-puissant (planche 26). Quant à Malik-le-Malin, il sert d'interface entre le monde de l'Imaginaire et le monde (encore réel) de l'équipage du vaisseau, auquel il s'attaque par des voies technologiquement assez floues (planches 28 et 29, 33 et 34; 40 et 41); et il nous ressort une troisième fois sa devise de croquemitaine : "Il m'arrive même parfois de me craindre moi-même !" (planche 29). Quant au titre de l'album ("Le Chiffre de la Bête"), il en est question planche 36, mais c'est une référence quasiment détachée de son contexte : on ne voit pas trop à quoi sert ce chiffre, sauf à mettre en scène l'angoisse liée à la présence du Mal-Malik.

L'insertion de caractères grecs (assez mal formés) dans les répliques d'Alfred (planches 11 et 13) laisse perplexe : certains mots veulent dire quelque chose, d'autres rien du tout...

Côté érotisme, comme Jérôme et Violhaine se sont un peu calmés (forcément, quand on est mort...), il reste à Cothias de nous montrer l'équipage bien charnel du vaisseau, modérément ou pas du tout culotté (planches 5, 10), et parfois en situation d'étreinte voluptueuse (planche 27 ) (ces voyages spatiaux de mille ans sont si ennuyeux, si on ne s'offre pas quelque dérivatif !).

L'indécision entre ce qui est réel, ce qui est illusoire, persiste jusqu'à la fin de l'épisode (planche 43). Commode pour Cothias, mais ces réalités fluctuantes et instables constituent justement un frein à l'adhésion du lecteur au récit : il sait que n'importe quoi peut se métamorphoser en n'importe quoi, sans sommation.

Cela sent un peu le réchauffé, le répétitif et le fabriqué.
khorsabad
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le 6 oct. 2014

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khorsabad

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