Les fils se démarquent toujours de leur père.

Ce tome contient une histoire complète indépendante de toute autre. Il est paru sans prépublication, en 2018, coécrit par Anthony Del Cole & Geoff Moore, dessiné, encré et mis en couleurs par Jeff McComsey, avec un lettrage réalisé par Jeff McClelland. Le tome s'ouvre avec une citation de Winston Chruchill (1874-1965) : en temps de guerre, la vérité est si précieuse qu'elle devrait toujours être protégée par un rempart de mensonge.


En novembre 1943, au pied des falaises de Douvres, une responsable militaire observe l'océan à la jumelle, alors qu'un soldat l'abrite avec un parapluie et que des gradés se tiennent en retrait. L'agente Cora Brown aperçoit un bateau de pêche venant vers le ponton. Une fois amarré au ponton, il en descend 3 officiers nazis. Le major Reid les accueille et leur demande de le suivre. Une fois à l'intérieur de la base, les 3 officiers allemands s'installent sur un banc devant une table : en face d'eux le major Reid et un traducteur, Cora Brown se place plus loin adossée contre le mur. Les officiers déclarent qu'ils ne parleront qu'à Cora Brown. Les 2 officiers anglais finissent par accepter de les laisser seuls avec elle. Neuman prend la parole pour évoquer l'obsession de Cora Brown de vouloir trouver Hitler. Mueller ajoute que si elle est en mesure de leur assurer leur liberté, ils peuvent lui indiquer comment trouver l'homme qui peut lui permettre d'accéder à Hitler. En mars 1944, à Lille, monsieur Pierre a fermé sa boutique et est en train de la ranger : une pâtisserie. Alors qu'il passe le balai, deux soldats nazis tapent au carreau. Il rouvre pour laisser entrer le major Vogel et le lieutenant Rene. Le major veut savoir où il les cache : ses délicieuses madeleines. Monsieur Petit répond qu'il ne lui en reste plus. Le major Vogel asticote Petit qui a été un soldat durant la première guerre mondiale. Il jette un coup d'œil derrière au four pour s'assurer qu'il n'y a rien de suspect, puis il s'en va avec Rene. Monsieur Petit laisse son apprentis Pierre Moreau et s'en va avec un carton contenant sûrement des madeleines.


Dans la rue, monsieur Petit remet son carton à un passant qui le remet ensuite à une femme assise à une table en terrasse, et qui le remet à un homme sur le pas de sa porte. Celui-ci l'ouvre, prend une madeleine, la casse en deux et lit le message qu'elle contient : je te plumerai la tête. Quelqu'un frappe à la porte : des soldats allemands pénètrent dans la pièce et abatte l'homme ainsi que celui en train de communiquer par radio. Le lendemain, Pierre Moreau se rend à la pâtisserie à vélo, et franchit le barrage de contrôle sans encombre, le soldat le reconnaissant. Arrivé le premier, il rentre dans la boutique et commence à préparer des pâtisseries dont les fameuses madeleines, les meilleures de tout Lille. Il ouvre la boutique tout seul et commence à servir les clients, expliquant que son patron a dû s'octroyer une quelques heures de sommeil de plus. Un jeune homme l'attire dans l'arrière-boutique : monsieur Petit est allongé mort sur une table. Il a été abattu il y a une heure de cela par les hommes du major Vogel. Pierre Moreau apprend que son patron faisait passer des messages de la résistance dans ses pâtisseries. Pierre Moreau réagit en instantané : il prend une boîte de madeleines et demande son arme à feu à l'un des résistants. Il se rend directement à la Kommandantur, à vélo.


Il est difficile de résister au mélange de grotesque et de comique de la couverture (un individu étranglant Hitler), ainsi qu'au titre sensationnaliste qui ne promet pas des révélations, mais une histoire rocambolesque. Le titre et la couverture contiennent donc une promesse déjà bien explicite, et il faut du temps aux auteurs pour en arriver là : présenter l'individu étant le fils d'Hitler, et encore plus de temps pour arriver fin avril 1945 à Berlin. D'un autre côté, le lecteur se rend compte qu'il ne sait pas trop comment prendre ce que lui racontent les auteurs. À l'évidence, cette hypothèse d'un fils caché d'Adolf Hitler relève de l'invention romanesque et il peut s'attendre à un récit mêlant espionnage et aventures en temps de guerre. D'un autre côté, les scénaristes font en sorte de suivre le déroulement réel de la seconde guerre mondiale en l'évoquant en arrière-plan, et d'intégrer plusieurs éléments historiquement exacts : le séjour possible d'Adolf Hitler à La Bassée en 1917, le réseau des résistants français, Theodor Morell (1886-1948, le médecin traitant d'Hitler), le débarquement de D-Day le 06 juin 1944, la libération d'Auschwitz le 27 janvier 1945, la préparation de la conférence de Postdam en juillet 1945. En outre cette hypothèse de fils caché fait écho aux déclarations de Jean-Marie Loret ayant prétendu que sa mère Charlotte Lobjoie avait couché avec Hitler en 1917 quand le régiment bavarois de celui-ci vint en repos dans le village de Fournes-en-Weppes (sud-ouest de Lille).


Ne sachant pas trop si c'est du lard ou cochon, le lecteur se rend compte que les auteurs savent donner une réelle personnalité à Pierre Moreau, malgré son caractère emporté et violent. Après tout, les prémices du récit sont plausibles et promettent un récit d'espionnage rythmé. Le format du volume est un peu plus petit que le format comics, participant à l'impression d'entamer une lecture de série B. Jeff McComsey se charge de toute la narration visuelle, y compris de la mise en couleurs. Pour cette dernière, il opte pour une forme de bichromie : soit un bleu canard et des nuances très proches pour le temps présent du récit, soit du gris châtaigne et des nuances très proches pour des séquences du passé et la séquence finale. Il réalise des dessins descriptifs dans un registre réaliste, avec une touche de simplification pas toujours facile à définir. Les contours des personnages sont parfois un tout petit peu ronds, les personnages eux-mêmes un peu petits, avec des expressions de visage pas toujours adultes. Pour autant la direction d'acteurs est en phase avec la nature du récit et des événements. Le lecteur observe que l'artiste préfère l'efficacité à la précision photographique en termes de costume, mais qu'ils correspondent à la réalité historique que ce soit pour les uniformes des soldats, ou les vêtements civils.


Jeff McComsey se montre un chef décorateur impliqué, même si parfois le lecteur ne parvient pas à se départir d'une impression de représentation un peu naïve. Les couloirs de la base militaire de Douvres montrent bien des matériaux et une architecture fonctionnelle, conçus pour être rapidement mis en œuvre. La devanture de la pâtisserie fait authentique, avec une petite impression de carte postale. L'aménagement de son intérieur est conforme avec la réalité, ainsi que les fours et les plans de travail à l'arrière. Le poste de contrôle avec ses sacs de sable au milieu de la rue correspond à ce qui se faisait. Le lecteur reconnaît facilement le papier peint d'époque dans la chambre d'un ancien garde personnel d'Hitler, appelé Elias Walter, ce qui fait étrangement penser à Walter Elias Disney. L'architecture intérieure de l'église près de Bruxelles apparaît authentique. Le lecteur peut reconnaître les rues de Berlin, en particulier devant la Chancellerie, certainement représentées d'après photographie d'époque. Le format un peu petit et la consistance de la colorisation donnent la sensation de pages très denses en informations visuelles, qui auraient méritées un format un peu plus grand, tout en ressentant qu'un format plus grand aurait accentué l'effet un peu trop gentil de certaines cases.


Même s'il ne sait toujours pas sur quel pied danser, le lecteur accepte bien volontiers de se laisser emporter par l'intrigue, de plus en plus persuadé que la couverture n'est pas mensongère et que Pierre Moreau aura l'occasion de serrer le cou d'Hitler. Il regarde donc ce jeune homme se transformer en chien fou sous l'effet de la colère. Il le regarde également encaisser les coups, et s'excuser auprès de Cora Brown de ne pas réussir à s'en tenir au plan, de ne pas pouvoir se maîtriser. La progression vers Berlin est semée d'embûches et l'entretien avec le docteur Theodor Morell réserve des surprises de taille, tout en restant compatibles avec la réalité historique. Les coscénaristes écrivent bien une histoire d'espionnage en temps de guerre, avec des missions périlleuses, des affrontements physiques et des stratagèmes bien pensés ou bricolés, mais qui ne se déroulent pas comme prévu. En prenant un peu de recul, le lecteur constate que le récit développe le thème de la paternité, de l'inné et de l'acquis, de l'importance de l'éducation, de la représentation qu'un jeune homme peut se faire de son père, que ce soit le père de substitution monsieur Petit, ou son père biologique Hitler, en ce qui concerne Pierre Moreau. Ce thème prend une autre envergure avec la dernière partie, cette représentation étant également façonnée par ce que l'individu souhaite croire, par ce qu'il projette de lui-même sur les faits. Il ne déforme pas les faits mais il se construit ses propres interprétations en fonction de ses valeurs, en fonction de ses convictions, en fonction de ce qu'il souhaite trouver. Si le lecteur peut trouver la dernière partie un peu téléphonée ou expédiée dans sa réalisation, il est frappé par la mise en scène de cette propension à interpréter la réalité par des sens finis et des connaissances partielles.


La couverture en vue subjective promet de pouvoir étrangler Adolf Hitler de ses propres mains, comme en étant son fils révulsé par les actions de son père. Le récit tient cette promesse, plongeant le lecteur dans une reconstitution historique plausible lors de la seconde guerre mondiale, pour une aventure d'espionnage en suivant un individu dépassé par les événements, incapable de maîtriser ses accès de violence. La narration visuelle est fluide, même si parfois son ton semble en léger décalage par rapport à la nature de l'histoire. Au final, l'intrigue est sympathique et divertissante, et le thème principal plus ambitieux que ne le laisse supposer la couverture : ce que peut s'imaginer un individu et comment ça influence ses actions.

Presence
7
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le 20 juin 2020

Critique lue 99 fois

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