Trillo et Mandrafina traitent avec un humour assez noir les us et moeurs d'immigrés italiens en Argentine, tous enclins à la violence plus ou moins gratuite (comme par atavisme), aux haines intra-familiales (bien siciliennes), aux règlements de compte sentant la poudre.

Le seul à peu près propre, là-dedans, c'est le héros, intégré à la société, scénariste de sitcoms débiles mais qui ont du succès (ça va souvent ensemble). Conscient qu'il ne donne pas la mesure de son vrai talent dans ces productions faciles, il cherche à caser chez des éditeurs des romans, qui prendraient pour argument de base les faits et gestes de sa propre famille. Mais voilà, il faut aller chercher les histoires là où elles se trouvent, et, dans ce tome, James Ricci, notre héros, va tenter de tirer les vers du nez de son oncle Amerigo, qui en a à raconter.

Amerigo est un vieux salaud en maison de retraite, tentant de parcourir la durée qui sépare l'état d'octogénaire de celui de nonagénaire; chauve, ridé, gros yeux de grenouille assez écartés entre eux, il va finir par accepter de parler à son neveu, sous condition que ledit neveu lui paye les ultimes ripailles de son existence, et finance ses extravagants désirs de petits plats et de sucreries.

Douze chapitres, de grandes vignettes (six à huit par planche), un dessin en noir et blanc bien argentin, dans lequel le réalisme vire rapidement à l'expressionnisme caricatural (page 83, page 101): les passions, les haines, les souffrances ont marqué les visages des protagonistes et les ont stigmatisés. A chaque chapitre, le vieux truand raconte une nouvelle histoire sordide, qui est censée exprimer la mentalité de ces hors-la-loi italiens expatriés.

Affrontements au flingue (pages 19-20), meurtre gratuit de trois prostituées en pleine rue (page 30), violences physiques révoltantes exercées par le vieil Amerigo sur son épouse(pages 41, 46, 84), quête tragico-comique du même vieux voyou pour trouver de bons motifs de continuer à bastonner sa femme (pages 42-46). "Un homme qui, comme moi, a connu l'excitation de torturer, de blesser et surtout de tuer ne peut oublier ces merveilleuses sensations", confie le vieux page 28 : ça donne le ton. Chantages minables (pages 48-54), culpabilité des femmes torturées cherchant à se faire frapper encore plus (page 53) ou à obtenir dans la religion une improbable rédemption (page 62), cocufications familiales...

L'humour noir est bien là : un prêtre justicier qui se tue en glissant sur son propre crucifix (page 36), et la destinée de l'indigne fils de mafieux (page101)...

Les scènes de flash-back sont dessinées au moyen de contours redoublés, mais allégés de leurs ombres et des lourds encrages noirs.

Belle série noire, assez répugnante moralement dans la mesure où on se dit que tout cela n'est peut-être pas que de la fiction amusante pour amateurs de faits divers glauques. Mais on est dans la critique sociale.
khorsabad
7
Écrit par

Créée

le 7 avr. 2013

Critique lue 159 fois

1 j'aime

khorsabad

Écrit par

Critique lue 159 fois

1

Du même critique

Gargantua
khorsabad
10

Matin d'un monde

L'enthousiasme naît de la lecture de Gargantua. Le torrent de toutes les jouissances traverse gaillardement ce livre, frais et beau comme le premier parterre de fleurs sauvages au printemps. Balayant...

le 26 févr. 2011

36 j'aime

7

Le Cantique des Cantiques
khorsabad
8

Erotisme Biblique

Le public français contemporain, conditionné à voir dans la Bible la racine répulsive de tous les refoulements sexuels, aura peut-être de la peine à croire qu'un texte aussi franchement amoureux et...

le 7 mars 2011

35 j'aime

14