Jun
6.5
Jun

BD (divers) de Keum Suk Gendry-Kim (2020)

Le calvaire des familles ayant un enfant autiste n’est pas loin d’être le même partout, même si le développement des structures d’accueil et d’éducation varient énormément d’un pays à l’autre, et si l’ostracisation dont sont généralement victimes ces enfants va être plus ou moins violente en fonction des critères culturels locaux. En tous cas, en lisant "Jun", chronique de la vie au fil des années d’une famille sud-coréenne dont le fils aîné est autiste, on a le sentiment très vif que tout ce qu’on lit ici se passerait à peu près de la même manière en France.


Peu d’exotisme donc dans ce beau récit de Keum Suk Gendry-Kim (… et c’est très bien comme ça !), si ce n’est que le talent musical hors du commun de Jun va se réaliser à travers une forme d’Art coréenne peu connue ailleurs, le pansori (une forme de récit chanté, accompagné par un seul tambour, donnant lieu à des spectacles pouvant durer plusieurs heures !), ce qui en soit est intriguant et passionnant… Et montre combien l’Art peut être à la fois libérateur et formateur, que l’on soit atteint ou non d’autisme (… mais ça, c’est une extrapolation !).


En lisant "Jun", il nous est revenu le souvenir très net d’un parcours similaire effectué voilà désormais plus de 20 ans aux côtés de David B., qui nous racontait sa vie de jeune frère d’un épileptique d’une manière finalement assez comparable : que cela soit l’impact de la maladie sur la famille et son fonctionnement qui peu à peu se centre – pour le pire parfois, mais aussi pour le meilleur – sur l’enfant « différent » et donc « en danger permanent », ou la difficulté de grandir en tant que frère / sœur à qui si peu d’attention est donnée face au drame qui phagocyte l’énergie du reste de la famille, que l’on parle des moments tragiques comme des instants heureux d’une vie qui ne sera jamais « ordinaire », c’est le même mélange d’empathie et d’anxiété qui nourrit en profondeur ces deux œuvres. Qui plus est, on peut même trouver, et c’est un hasard qui fait bien les choses, des similitudes dans le dessin, noir et blanc très structuré, ordonné, comme si au chaos de la maladie devait répondre le calme de la narration.


Bien entendu, il y a une différence fondamentale entre "l’Ascension du Haut-Mal" et "Jun", c’est qu’ici, l’espoir est toujours permis, que demain peut être et sera meilleur qu’aujourd’hui et qu’hier. L’accomplissement de Jun comme chanteur et pianiste le mène à une certaine reconnaissance, qui ne changera rien à son isolement, bien entendu, mais offre une sorte de célébration de sa différence. Qui ne sera jamais admise par la société, mais acquiert donc presque une raison d’être.


"Jun" est un livre que ceux qui passent par les mêmes épreuves que la famille de Jun prendront certainement beaucoup de plaisir à lire, parce que quelque part il contribuera à son niveau à rompre un peu leur isolement. C’est surtout un livre simple, juste, émouvant qui parle avec clarté et franchise de situations qui sont la plupart du temps tenues cachées, comme honteuses, alors que la société continue d’avancer, en regardant ailleurs, à son rythme inhumain. Un livre que tout le monde devrait donc lire.


[Critique écrite en 2020]
Retrouvez cette critique et bien d'autres sur Benzine Mag : https://www.benzinemag.net/2020/09/22/jun-une-famille-sud-coreenne-reunie-autour-de-lautisme-dun-enfant/

EricDebarnot
7
Écrit par

Créée

le 22 sept. 2020

Critique lue 202 fois

3 j'aime

2 commentaires

Eric BBYoda

Écrit par

Critique lue 202 fois

3
2

D'autres avis sur Jun

Jun
Fatpooper
6

Jun aime la musique

Ça se lit gentiment. L'idée est intéressante : s'intéresser à un autiste, mais aussi à sa famille qui doit supporter cet enfant. Malheureusement l'auteure ne tient pas tellement sa promesse ; elle...

le 7 déc. 2020

Du même critique

Les Misérables
EricDebarnot
7

Lâcheté et mensonges

Ce commentaire n'a pas pour ambition de juger des qualités cinématographiques du film de Ladj Ly, qui sont loin d'être négligeables : même si l'on peut tiquer devant un certain goût pour le...

le 29 nov. 2019

204 j'aime

150

1917
EricDebarnot
5

Le travelling de Kapo (slight return), et autres considérations...

Il y a longtemps que les questions morales liées à la pratique de l'Art Cinématographique, chères à Bazin ou à Rivette, ont été passées par pertes et profits par l'industrie du divertissement qui...

le 15 janv. 2020

190 j'aime

104

Je veux juste en finir
EricDebarnot
9

Scènes de la Vie Familiale

Cette chronique est basée sur ma propre interprétation du film de Charlie Kaufman, il est recommandé de ne pas la lire avant d'avoir vu le film, pour laisser à votre imagination et votre logique la...

le 15 sept. 2020

185 j'aime

25