Entre deux averses par Nina in the rain

Pendant tout le vingtième siècle, durant ses quatre-vingt et quelques années de vie, Giuseppina n’est pas réellement sortie du lot. Elle a été la même femme que les autres, jeune avant la guerre, résignée à la fin, coincée entre modernité et tradition. Abandonnée par sa mère qui l’avait conçue « dans le péché », accueillie par une tante qui vit dans la campagne italienne, abandonnant son premier mari impuissant, accueillant la famille du second… Elle aura élevé quatre enfants avec un homme absent, comme tant de nos aïeules. Et vieillie, puis veuve, elle a pris sa revanche.

Souvent, on considère toutes les femmes des années cinquante comme des battantes, des personnages extraordinaires que rien n’atteint. Arnaud Le Roux, lui, décrit une vraie femme, pas un mythe. Et du coup, peu importe qu’elle soit la grand-mère de Marion Laurent : elle devient un peu toutes les grands-mères. A travers des petites interviews imaginaires de personnages disparus, les auteurs dressent un panégyrique. Reste à la famille, bien vivante elle, à se remémorer tous les défauts, sautes d’humeur, méchanceté… oublis souvent. Les deux faces de Giuseppina sont étudiées au microscope, à travers des souvenirs que la vieille dame amnésique ne maîtrise plus.

Marion Laurent a choisi la simplicité d’une bichromie pour raconter cette histoire très linéaire. Les personnages, presque naïfs, ne cherchent pas à voler la vedette au texte. Ils ne sont presque là que pour l’illustration, et c’est une des particularités de cet album que de présenter un dessin quasiment redondant par rapport aux bulles et aux cartouches. Marion Laurent ne cherche pas à en rajouter, à dire d’autres choses. Elle montre ce qui est dit, renforçant singulièrement l’impact de la narration.

Entre deux averses n’est pas un album qui se regarde, c’est un album qui se lit. Il va du particulier vers le général, avec comme point de départ ces épreuves que sont les visites en maison de retraite. C’est peut-être, depuis la « renaissance » de Futuropolis, l’album qui touchera le moins facilement. Mais il nous parle cependant à tous, car qui n’a pas connu de Giuseppina ? Et qui n’a jamais voulu retracer une mémoire perdue ?
Ninaintherain
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le 4 juin 2013

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