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Un dixième DoggyBags plus éclectique qu'à l'accoutumée, sans thème central pour lier les motifs : malchance, vengeance et démences en ambiances de l'art. Les équipes à l'œuvre sous la direction de Run sont ici entièrement inédites et l'on retrouve, hors des habituelles ambiances cryptiques, 


le plaisir de se laisser embarquer à la découverte des virées en cauchemars



de ce petit monde, dans la richesse des traits et des personnages offerts en récits. Avec la surprise d'une courte nouvelle de littérature populaire, l'humour noir, la violence et le gore restent les ingrédients majeurs du sandwich de contes rances ici proposés.


Le bal s'ouvre à l'est avec Unlucky, un récit scénarisé par Sztybor et illustré par Ivan Shavrin.
Le travail graphique de ce dernier est d'ailleurs saisissant de très beaux aplats de couleurs sous traits gras et vifs, servis en montages audacieux de pleines pages, de bandes de couleurs dominantes, et de cases informelles tranchées là avec un grand sens du rythme. L'ambiance faussement aérée qui s'en dégage joue autant la morosité et l'angoisse du personnage qu'elle lui permet de continuer de respirer sous le dôme d'une société


où la malchance des uns se juge et se condamne pour préserver la chance de tous les autres.




 Quelqu'un nous a appelés au sujet d'un gang de poissards. On doit y
aller. 



Quand le personnage principal, membre d'une Brigade de la Chance, part à la chasse aux poissards après avoir joué avec le verre malencontreusement brisé de sept ans de malheur, il traîne la mort autour de lui. Sa malchance s'accélère en une rapide descente d'escaliers, jusqu'à s'en étouffer. Sombre, malsain et dérangé, le conte apocryphe développé par Sztybor est saisissant de plaisir macabre. Dépressif à souhait.
Le second récit s'installe à New York dans les portraits cassés et éclatés à l'écho des dialogues portés sur plusieurs cases de mafieux russes. Phalanga accomplit sa vengeance avec un peu trop d'ardeur, court à l'affrontement sans aucun signe de faiblesse ni de pitié. Le scénario de Simon 'Hutt' T, rehaussé des dialogues de Run, est


d'une froide efficacité, implacable.



Mojo a le trait gras et jovial, façon manga à l'américaine sous d'éclatantes couleurs pastels, retenues. Il distille avec justesse la dose d'expressions faciales nécessaires à planter le caractère des personnages en quelques ébauches, saisit les émotions d'une case à l'autre sur le vif. Triture à loisir les mains, le visage du vieil ennemi, démon décomposé. Et illumine les flashbacks en interludes légendaires et mystiques d'un passé ressassé en vitraux orthodoxes resplendissants d'ocres orangés magnifiques, pleins, et partiellement tachés des sangs séchés aux origines. 


Messianique presque, tant le démon s'insinue à l'envie, hante les pages.




L'injustice dont j'ai été victime me tiendra éveillé jusqu'au terme
de ma vengeance. Mes mains insensibles et froides en seront les
instruments. 



Sans relâche, la détermination de ce vengeur, né du froid et du feu, en quête d'accomplissement entraîne le récit avec la puissance russe d'un seul coup de poing, fulgurant, intense. Jusqu'au final magnifique en plongée abyssale : la vengeance a deux lames qui restent aveugles et quand elle tue, elle n'épargne ni l'oppresseur ni sa victime. Le vengeur était déjà mort de toutes façons. 
Nouveauté dans ce numéro, un auteur est publié sans le vecteur graphique de la bande-dessinée, à peine une – sobre mais très belle – illustration pour Spécimen(s), une nouvelle de Tanguy Mandias. Transport cannibale : un accident de la route, un honnête routier qui survit à l'horreur, et bientôt la terreur face à ces monstres affamés échappés de sa remorque.


 Elle hurle, on dirait une louve ; je hurle, on dirait un chien. 



L'humour se mêle à la terreur dans la nudité franche et directe du verbe de l'auteur, un récit suspendu dans l'action aux limites de quelques élastiques qui claquent, 


haletant de tension narrative.



Le dernier récit, confié à Valérie Mangin, explore les ruines de Motor City autant que celles des humanités qui y survivent côte à côte en s'ignorant. La mort s'expose dans le grand vide, l'enfance s'adapte.


 Detroit n'est plus qu'un cimetière géant. Et encore... Même les
pierres tombales comment à disparaître. 



Une bande de minots sauvages survit dans les quartiers désertés de la ville. Un vieil homme, féru de cuisine et de taxidermie les accueille parfois au Museum d'Histoire Naturelle. Bientôt, un photographe trop souriant pour être honnête les aborde, cherche à se laisser guider par eux dans ce monde qui lui est inconnu. S'il vient de la côte est où la vie ne s'est pas comme ici arrêtée, il s'intéresse malgré tout aux ruines, à la vie qui fuit, à ce qui reste des bâtiments qui s'effondrent, à ceux qui y survivent, à ce souffle qu'ils échappent à l'échec. Les enfances de l'art, 


où chacun compose de la mort de l'autre.



De la mort des choses et des êtres.
L'exposition finale de photographies gores d'un désossage exprime la violence démesurée des enfances perdues, abandonnées à un système qui ne s'intéresse qu'au profit sans jamais saisir les beautés de l'existence. Ces beautés qui de toutes façons n'existent plus que dans la contemplation d'un rêve passé.


La dixième fournée des contes violents et macabres qui composent DoggyBags est d'une excellente qualité. Outre le plaisir de la découverte avec les duos inédits et de nouveaux styles graphiques qui s'assument dans le clair obscur de pleines lunes destructrices, les saveurs narratives y sont attentivement dosées, développant dans le format imparti de courts récits à l'impact affûté sous 


le poids des humanités qui se perdent en société,



où la faim a toujours prise sur le cœur et la raison.

Créée

le 3 juil. 2018

Critique lue 206 fois

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