Philibert, jeune homme sympathique et d’apparence candide, mène une vie « normale » dans un monde particulièrement déréglé. Dans le dessin, Philibert, avec sa volumineuse houppe orangée, assure au long de l’album la présence d’une couleur chaude et attrayante, dans un univers sur le déclin, où abondent les bruns, les gris, les verdâtres, qui vous imprègnent d’amertume et de pessimisme.

Le dessin, ligne claire fine aux contours nets, séduit le regard, et l’on s’attend, au vu de la couverture, à quelque histoire drôle sur fond de mésaventures juvéniles en période de vacances. Un spring break gentillet qui sera oublié dès que vécu, en somme.

Oui, mais on en est loin. Dès qu’on détache le regard, en couverture, de la bonne tête de Philibert, de son pif réjouissant filiforme et retroussé, de son sourire d’homme équilibré et espiègle, on accroche à des détails qui font beaucoup moins « Spring Break » : la présence sur la plage de plusieurs femmes pétant l’obésité par tous leurs plis, et des enseignes de bord de mer vantant de la bouffe à vendre, et pas n’importe quoi : le cœur de la « junk food » : bidoche, pizza, fast-food...

L’album est tout en distanciation satirique et acide : le gentil Philibert est médecin légiste expérimenté (déjà, de la viande froide à tous les menus, ça promet), il a l’air d’aimer ça, et cela nous vaut des effusions de vocabulaire d’anatomie médico-légale qui valent leur pesant de technicité (planches 18, 19, 22, 25-26, 45). Si Philibert est équilibré tout en incisant des cadavres à longueur de journée, c’est parce que son entourage quotidien n’est pas plus appétissant : sa logeuse et sa voisine, pour qui il va gentiment acheter des protéines sous leur forme la plus répugnante (rognons, steak, tripes, gélatine...), sont des tonneaux obèses pétrifiés dans leur viandasse qui ballotte, et on ne parle pas de la bouchère du coin (planche 5), monstre de trois cents kilos et de deux mètres et demi de haut, en comparaison de qui les pouponnes replètes et surtendues de Fernando Botero font figure de filles de Manara, à la taille irrésistible et au cul addictif.

Si vous n’avez pas envie de vomir devant le spectacle de ces sacs de graisse d’au moins un quintal, qui étalent sur la plage leurs lipides flottant sous un épiderme à bout de souffle (planches 10, 11, 14), c’est que vous êtes déjà vous-même, en fait, un bon candidat à la bronzette des pachydermes dessinée un peu partout dans l’album. On se réjouit que Mazan en envoie plein la gueule à l’idéologie bien-pensante qui nous édicte à trouver « normaux » de telles monstruosités, et à faire semblant de ne rien voir quand des mémères (ou des pépères) de cent cinquante kilos arrivent en face de vous sur le trottoir, qu’ils fissurent à chaque pas.

Evidemment, histoire d’amour entre Philibert et Léa, une maigrichonne sur-névrosée, végétarienne extrémiste (voir le menu, pourtant réaliste, de la planche 17), fanatique de l’hygiène et du lavage de mains permanent (planches 29-32, 36,38-39), phobique de toute forme de saleté, bronzant sur la plage avec un masque à gaz. En somme, l’âme-sœur dans l’enfer toxique de notre civilisation. Déjà, moi, j’aime pas trop Léa. Mignonne, certes, mais, les cheveux courts, ça fait déjà féminité mal assumée, et anorexie qui va avec. Ajoutons ses obsessions hygiéniques, et je peux témoigner, par mon vécu, qu’il ne fait pas bon se frotter à ces maniaques-là, fussent-elles très sympas. On verra ce qu’il en advient avec Philibert, dans lequel je me reconnais pas mal.

Donc, dans cet épisode, on parle de bouffe, de malbouffe, et des dégénérescences qui s’ensuivent. Mais pas que. On est aussi dans un monde surpollué, où des grosses fumées noires ont ravalé le bleu du ciel au rang des contes et légendes incroyables pour enfants sages, où les pluies acides ont rongé les arbres (planches 11, 21), où les vaches elles-mêmes ont dégénéré au point d’avoir des gueules humaines (c’est vous dire l’horreur ! – planche 6).

On apprécie les références graphiques un peu rétro, qui donnent une tonalité familiale à ce récit : la 4-Chevaux vieillissante (planche 4), la boucherie Sanzot (planche 4), la page de calendrier humoristique à effeuiller de nos grands-mères (planche 9). Joyeuse mise en boîte des prétentions langagières des amateurs de Beaux-Arts (planches 33-34).

L’ironie mordante de cet album constitue, à son tour, une véritable pluie acide sur notre mode de vie, explosant de surconsommation, d’OGM, de produits toxiques, d’obésité, de flemme physique, et content de mourir à petit feu. La prochaine génération, s’il y en a une, devra prévoir des sièges à trois places dans les classes d’école et dans les transports publics, pour accueillir les culs des joyeuses têtes blondes que les cachalots actuellement adultes auront mis au monde.

C’est pas mon monde. Pas du tout. Merci à Mazan de l’avoir dit.
khorsabad
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le 17 mars 2014

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khorsabad

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