Ce tome fait suite à la série Conan essentiellement écrite par Kurt Busiek. Il comprend les épisodes 0 à 7 de la série suivante, initialement parus en 2008/2009, écrits par Timothy Truman, dessinés par Tomás Giorello pour le temps présent, et par Richard Corben pour les scènes du passé consacrées à Connacht, le grand-père de Conan dans les épisodes 1 à 7. La mise en couleurs a été réalisée par José Villarrubia. Giorello a dessiné la couverture de l'épisode 0, et Frank Cho celle des épisodes 1 à 7.


Dans son bureau, l'écrivain contemple sa machine à écrire : il se souvient. Il se souvient des bois sombres, des collines encore plus sombres, des cours d'eau qui coulent sans bruit, colline après colline : la Cimmérie, le pays de des ténèbres et de la nuit profonde. Conan se retrouve nez à nez avec un groupe de cinq éclaireurs en provenance de Vanaheim. Au cours du combat, il les passe au fil de l'épée, l'un après l'autre. Puis il dit au jeune homme avec sa lyre de s'en retourner chez lui. Enfin il peut contempler tranquille les montagnes enneigées de sa Cimmérie. Il reprend sa chevauchée. Trois ans plutôt, il avait quitté son pays natal, et avait parcouru le monde comme voleur et assassin, découvrant des cités merveilleuses que les gens de son peuple n'avaient jamais admirées. Maintenant il est de retour dans son pays, progressant sur des routes traîtresses où la glace et la neige peuvent briser les os, et le vent est cruel et mordant comme une flèche. Soudain son cheval est atteint par une flèche et s'écroule mort, le crâne de Conan allant heurter un rocher. Un groupe de guerriers Vanir s'approche pour le dépouiller. Il tue le premier qui se trouve à sa portée, les deux autres s'en vont sans demander leur reste car ils ont repéré une silhouette qui s'approche. Il s'agit d'un ermite vêtu d'un long manteau. Il aide Conan à sortir de sous la masse de son cheval, et le ramène chez lui pour qu'il reprenne des forces.


Une fois au chaud, l'ermite se rend compte qu'il reconnaît Conan, et ce dernier aperçoit la marque de son propre grand-père sur un mur. Pour passer le temps et prouver sa bonne foi, l'ermite raconte dans quelles circonstances il a rencontré Connacht. Ce dernier était un voyageur. Un jour, Connacht tua le fils d'un chef de tribu, pour une dispute sur un cheval. Peu inquiet de la colère du père, Connacht s'en servit comme prétexte pour partir et voyager loin vers le sud une fois la frontière passée, il prit la direction de l'Est, à travers les marais créés par la fonte des neiges. Le deuxième jour, il aperçut de la fumée dans la distance. Il savait qu'il aurait dû éviter le feu, bien sûr il n'en fit rien. Après être descendu de cheval, à l'abri des regards dans un bosquet, il observait la cérémonie du peuple des marais qui se déroulait un peu plus loin autour du feu. Un homme masqué passait une corde autour du cou du femme et la jetait dans la rivière, sous les yeux de ses deux enfants.


Pas sûr que le lecteur soit ravi de la reprise de la série par Timothy Truman dont l'adaptation du texte inachevé de RE Howard pour les épisodes 47 à 50 était très plan-plan. L'éditeur Dark Horse commence par proposer une adaptation ou plutôt une mise en images d'un poème de l'écrivain, une ode à la Cimmérie. Giorello a eu le temps de peaufiner ces 16 planches : les paysages, le combat sanglant et l'évocation des aventures passées de Conan sont épiques à souhait, bien complétés par une mise en couleurs un peu terne (sauf pour le rouge du sang), en cohérence avec la faible luminosité évoquée par le poème. Le lecteur reprend confiance dans les capacités de ces deux créateurs. Il découvre ensuite la première couverture de Frank Cho, tellement pétrie de clichés visuels qu'elle en devient parodique. L'exagération de la virilité de Conan par des dessins trop propres sur eux fait plus sourire qu'elle n'impressionne, sans même mentionner la frêle jeune femme fort dénudée présente sur plusieurs de ces 7 illustrations de couverture. Vient alors le moment d'entamer le récit proprement dit.


Le lecteur peut supposer que l'occasion fait le larron, sans savoir ce qui est advenu en premier de l'œuf ou de la poule, d'un scénario suivant deux lignes temporelles, ou de la disponibilité de Richard Corben. Quoi qu'il en soit, le récit comprend des scènes au présent pour Conan et des scènes dans le passé pour son grand-père dans la force de l'âge. Le récit au temps présent raconte le retour de Conan dans son pays jusqu'à son village natal. Bien évidemment la situation est un peu compliquée : cette petite communauté de cimmériens se retrouve impliquée dans une alliance entre deux autres villages, scellée par un mariage entre une femme d'un village, et le fils du chef de l'autre village, et la donzelle a préféré s'enfuir du second village avant le mariage. Sans grande surprise, elle tombe dans les bras de Conan… Ah non, elle croise la route de Conan et sait fort bien manier l'épée, car elle n'a rien d'une jeune écervelée. Mais la situation est encore un peu plus compliquée que ça, entre paix fragile remise en cause par la fuite de Coallan, et manigances peu glorieuses du fils du chef, sans oublier que Caollan et Conan ont eu une relation amoureuse par le passé, la première pour l'un comme pour l'autre. Au début, le lecteur se dit qu'à nouveau l'intrigue va être un peu légère d'autant qu'elle n'occupe que les deux tiers ou les trois quarts de chaque épisode, mais en fait le scénariste tisse bien les fils et les enjeux finissent par être consistants.


Cette partie est donc illustrée par Tomás Giorello qui bénéficie d'un peu plus de temps pour finaliser ses planches, puisqu'il en dessine moins par mois. À nouveau le lecteur est frappé par l'intelligence visuelle de la palette de couleurs choisies par Villarrubia : il sait donner une impression naturaliste remarquable, tout en remplissant ses objectifs, à savoir rehausser discrètement la lisibilité de chaque case en faisant se détacher les formes contigües, et souligner l'ambiance. De son côté, l'artiste est toujours autant investi dans la représentation des personnages et de leur tenue vestimentaire. Le lecteur peut admirer le long manteau de l'ermite, la cape de fourrure de Caollan et son armure, la cape de Conan et ses bracelets, la coiffe de loup de la sorcière Olva, la face monstrueuse des Skrae, la frêle silhouette de Fiala et sa chaude robe, les vêtements un peu plus élaborés de Brecan, le fils d'un chef de village. Cette attention portée aux tenues vestimentaires donne plus consistance à ces communautés. L'inconvénient, c'est que le lecteur éprouve des difficultés à croire que certains hommes portent des habits à manche courte et peu épais, alors que la neige recouvre tout le paysage. En revanche, Giorello continue de mettre en œuvre des trucs et astuces éprouvés pour ne pas trop dessiner les décors : les habitations sont plutôt bien représentées, par comparaison avec les paysages naturels de Cimmérie qui manquent de consistance et de caractère.


L'autre fil narratif suit Connacht dans plusieurs de ses aventures. Le scénariste se montre plutôt habile, les pages consacrées au grand-père racontant une aventure entretenant un lien direct avec celle de Conan dans le même épisode, certaines se déroulant sur deux épisodes. Et puis, c'est l'occasion de découvrir de nouvelles pages de Richard Corben, un plaisir qui n'a pas de prix. Certes il ne réalise pas les couleurs lui-même, mais Villarrubia se montre à la hauteur, avec des teintes différentes de celles utilisées pour les pages de Giorello, et une réelle capacité à accentuer la profondeur et le relief de chaque surface, sans abuser de dégradés lissés systématiques. Les dessins de Corben ne sont pas au goût de tout le monde, avec des morphologies donnant l'impression que les personnages sont parfois un peu empâtés, des expressions de visage un peu appuyées, une case de temps à autre qui peut apparaître comme naïve. Pour autant, le lecteur éprouve rapidement la sensation que les paysages sont plus consistants que ceux de Giorello, même si Corben n'en représenta pas plus. Les protagonistes sont plus vivants et plus crédibles, malgré quelques expressions caricaturales, et une direction d'acteurs un peu plus théâtrale. Les combats sont plus brutaux, même s'ils sont moins sanglants. Les barbares sont plus barbares même s'ils sont moins réalistes. Le lecteur a vite fait d'oublier que Corben ne dessine pas Conan, tellement il prend plaisir à suivre Connacht le barbare.


Nouvelle série pour bien marquer que le scénariste de départ est parti écrire d'autres choses, et la participation exceptionnelle de Richard Corben pour quelques pages par épisode. Bonne surprise : Timothy Truman a écrit un scénario étoffé, montrant le retour de Conan au bercail, et évoquant la vie de son grand-père. Tomás Giorello est en bonne forme pour donner vie aux personnages, de façon naturaliste, avec une ardeur impressionnante au combat. Il est moins convaincant pour représenter des paysages consistants et plausibles. À sa manière, Richard Corben réalise de pages moins naturalistes, et beaucoup pourtant beaucoup plus crédibles, libéré de la contrainte de respecter les caractéristiques de Conan, et plongeant le lecteur dans un monde primitif, au milieu de peuplades adaptées à leur environnement pratiquant des rites étranges et barbares.

Presence
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le 6 juin 2021

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