Comment peut-on être français ?

La parution au mois de mars du premier volume de Á nos amours, de Jean-Paul Nishi est intéressante à plus d'un titre : elle tranche par rapport aux séries habituelles et les morceaux de vie que Jean-Paul Nishi nous propose forment un tout des plus agréables à lire dans l'ordre que l'on veut !


Chacun appelle barbarie ce qui n'est pas de son usage


Un mangaka japonais qui explore les curieuses créatures que les français.e.s sont. Voilà une démarche que l'on ne rencontre pas tous les jours ! Et le constat s'impose : nombre de gestes qui vont de soi pour nous n'ont rien de naturel pour un japonais. Le tome abonde de ces situations du quotidien qui l'interpellent, le mettent mal à l'aise. Certes le manga ne donne pas à voir toutes les pratiques mais fournit un aperçu suffisant pour avoir du grain à moudre. Et s'il y a des éléments qui prêtent à rire, d'autres soulignent certains travers. On ne sera pas étonné quand cela concerne Paris, avec ses serveurs peu aimables et ses taxis (un argument en faveur d'une libéralisation du secteur ?). Séjourner en France est une aventure, et l'on verra que le sprint réalisé par le personnage de Claire Dearing dans Jurassic World reste une exception : courir en talons demeure un exercice périlleux.


La mise en scène de la vie quotidienne


Un des événements marquants dans l'existence de Jean-Paul Nishi va être sa rencontre avec celle qui deviendra sa femme : Karyn Poupée (Karyn Nishimura-Poupée par la suite). Et contrairement aux configurations où c'est le mari qui est le gagne-pain principal, etc. ici c'est l'auteur qui occupe le rôle d'homme au foyer et s'occupe du bébé. On peut ainsi voir comment peu à peu il apprend à être père et mari...


Comme le rappelle Michel Bozon dans Pratique de l’amour, ce dernier n'existe pas en tant que tel mais se manifeste par des paroles, des gestes. Il se construit au fur et à mesure de la vie conjugale, au quotidien. On retrouve une telle perspective au fil des pages entre les mots doux, les marques d'attention, les baisers... On voit aussi comment un malaise peut naître lorsqu'on a l'impression que l'autre donne trop et que l'on ne parvient pas à lui rendre...


Au fil des quinze épisodes du volume on est parfois interpellé par la manière dont l'auteur raconte certains évènements. Jean-Paul Nishi nous explique par exemple sa jeunesse et son accumulation de connaissances via des revues pornos, commente telle ou telle action de son fils sans tomber dans l'idolâtrie parentale... et porte sur lui-même comme sur sa femme un regard qui stimule la réflexion : ainsi de sa vision d'être un demi-chômeur qui questionne le rapport des japonais au travail, de l'évocation de la différence d'âge avec Karyn Nishimura-Poupée ou ou de son analyse des mots doux de sa moitié et de son impuissance face à la répartie de cette dernière.


Aller-retour


Par un effet de retour on peut aussi apprécier le Japon à travers les pages du manga. Jean-Paul Nishi nous montre toutes ces particularités de la vie japonaise qui surprennent tant les personnes extérieures. Il y en a pour tous les goûts. Le manga propose aussi quelques anecdotes utiles au détour d'une case, d'une planche. Citons deux exemples : le voyage en Nouvelle-Calédonie qui est l'occasion d'évoquer, brièvement, la présence japonaise sur cet archipel ; les débats entre les deux futurs parents autour du prénom de leur fils rappellent que c'est un acte réclamant pas mal de réflexions et que le prénom est un marqueur important de notre existence.


Du côté de l'édition, le manga se lit en sens de lecture occidental. On pourra noter quelques rares coquilles mais la lecture demeure agréable et amusante. Le graphisme de l'auteur est assez minimaliste mais retranscrit bien les émotions, variations qui se font jour dans les histoires proposées en plus de faire ici et là des clins d'œil à d'autres œuvres, personnages.


Besoin de Japon


Á nos amours ne reflète pas tant un choc qu'une rencontre des cultures. Jean-Paul Nishi et Karyn Nishimura-Poupée n'avancent pas au même rythme dans l'apprentissage de la langue de l'autre. Même son fils progresse plus vite que lui ! Outre cette vie de famille le volume offre nombre de petits moments amusants, d'autres incitant à la réflexion : que demander de plus ?


Une version un peu plus longue et illustrée est consultable par ici.

Anvil
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le 5 avr. 2017

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Anvil

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