Anticipant le passage dans le domaine public de l'œuvre de George Orwell le 1er janvier 2021, la maison d'édition Grasset a fait paraître début novembre 2020 la première adaptation du fameux roman en bande dessinée. « L’atmosphère envoûtante et le dessin aux teintes fantastiques [...] alliés à la modernité de la traduction [...] nous offrent aujourd’hui une magnifique édition de 1984 [...] Il s'agit d’un des événements éditoriaux les plus importants de l’année à travers le monde », indique modestement le dossier de presse. En quelques lignes, tout est dit : il s'agit non pas d'un événement littéraire ou artistique, mais bien éditorial. Autrement dit : commercial. Ainsi en témoigne le nom de George Orwell, placardé en grosses lettres au sommet de la couverture, alors que celui de Fido Nesti, qui est pourtant le véritable auteur de cet imposant roman graphique, est relégué en bas à droite, trois fois moins gros. Entre le grand écrivain britannique et un artiste brésilien inconnu, on ne demande pas qui fait mieux vendre !
Passé ce détail, on voit apparaître sur la page de garde un autre nom, celui de la traductrice Josée Kamoun. Chez Grasset, on ne s'est visiblement pas embêté à traduire directement le texte de Nesti du portugais au français ; on s'est juste contenté d'acheter à Gallimard les droits de la récente traduction du roman - de l'anglais au français - commise en 2018, qui avait fait couler beaucoup d'encre en raison de choix discutables. Mais justement, ça avait fait du bruit, et mieux vaut une mauvaise publicité que pas de publicité du tout ! Il faut donc supporter, au long des quelque deux cents pages du pavé, les « néoparler », « mentocrime », « mentopolice » et autres néologismes ineptes. En revanche, tout le hors-texte (les entrées du journal, les affiches et écriteaux dans les rues, les pensées, les onomatopées, etc) a été laissé en anglais, ce qui laisse une impression de travail à moitié fait.
Mais ce ne sont pas les moindres défauts de cette œuvre, loin de là. Ce qui rend cette lecture pénible, ce ne sont pas tant les dessins (plutôt réussis dans l'ensemble bien que les expressions des personnages, et notamment leurs yeux, soient ratés), ni le choix des couleurs (de manière prévisible, essentiellement sombres et ternes pour coller à l'ambiance du récit) ou le découpage (moderne et rythmé, il faut le reconnaître) ; mais bien la façon de raconter l'histoire. En faisant le choix de restituer fidèlement le déroulé du roman et d'en expliquer par le menu les moindres détails, Fido Nesti encombre ses cases de texte et rend la lecture fastidieuse. Et la lourdeur de la traduction, évidemment, n'aide pas ! Au final, l'effort est louable et mérite d'être salué, mais le résultat montre surtout la futilité de vouloir adapter en images un roman qui utilise essentiellement des idées, des concepts, des théories politiques et des émotions.
Je suis curieux de voir à quoi ressemblent les trois autres adaptations en BD sorties au mois de janvier...