L’une des qualités du monde très particulier des comics, c’est que l’arrivée d’un nouvel auteur talentueux peut relancer une franchise en perdition ou lui donner un nouveau souffle. Ce fut le cas dans les années 80 avec Daredevil et Batman sous la direction de Frank Miller, et ce fut le cas également pour les X-men en 1975 sous la plume de Chris Claremont. Difficile à croire actuellement que cette franchise phare, tant sur papier que sur pellicule, n’a pas connu tout de suite le succès. La première version crée par le fondateur Stan Lee, n’était en effet pas arrivé à convaincre, les histoires jugées trop simplistes et les méchants manquant de charisme. La toute première équipe ne contenait alors « que » Cyclope, Jean Grey, Iceberg, le Fauve et Angel. Ce n’est donc que bien plus tard qu’apparurent pour la première fois des mutants devenus emblématiques, tel Tornade ou l’omniprésent Wolverine. Oui, même Wolverine, présent quasiment dans chaque équipe de X-men ou d’avengers, personnage central des films et le seul à bénéficier de films solo.
Cette nouvelle version se veut plus hétéroclite avec des membres venant d’un peu partout dans le monde. Ainsi Wolverine est canadien, Tornade africaine et Colossus russe. Une mixité ethnique pour mieux appuyer le message sur la tolérance et la différence.

Il est intéressant de constater que l’univers des comics diffère pas mal de celui des films, qui possède sa propre identité.
Les comics ressemblent aux autres séries marvel en le sens où les aventures des X-men sont variées et les emmènent tout aussi bien partout sur Terre, dans l’espace ou dans d’autres dimensions. Magnéto est un ennemi similaire aux némésis des autres super-héros, mégalomane et avide de pouvoir, et s’avère différent du méchant ambigu des films (mais qu’il deviendra plus tard dans les comics), aux motivations trouvant leur origine dans un passé douloureux et dont la cause pourrait être noble sans les moyens extrêmes qu’il déploie.
Les X-men affrontent également tout un tas d’autres adversaires (Trask et les Sentinelles, le comte Néfaria, Protéus, la division Alpha…), là où les films se concentraient sur le maître du magnétisme, avec des histoires plus terres à terres et réalistes, plus proches d’ailleurs de la version « ultimate », sans les costumes colorés qui auraient probablement paru kitch à l’écran.
Enfin, le format ciné se concentre sur la thématique de la tolérance autour de la persécution des mutants, d’où une plus-value apportée par la réflexion. Les films ont également la bonne idée de mélanger les deux équipes, ancienne et nouvelle. A noter que la nouvelle trilogie commencée par Matthew Vaughn développe d’autres éléments mis de côté par Bryan Singer (les Sentinelles, Apocalypse).

La force de Chris Claremont ? Des personnages développés et une bonne dynamique d’équipe.
Sa première histoire voit donc la première équipe et la toute nouvelle collaborer ensemble sur l’île vivante de Krakoa. Une manifestation de pouvoirs très enthousiasmante pour des dessins agréables à regarder.
Cyclope est promu leader des nouveaux X-men, et s’il y met toute sa volonté, la responsabilité lui pèse sur ses épaules. La perte d’un des membres dès le début l’affecte lourdement, mais plus encore la transformation de la femme qu’il aime plus que tout, Jean Grey, dont il n’imagine pas pouvoir se séparer. Ayant grandi dans un orphelinat, il a connu toute sa vie la solitude, et comme pour beaucoup, l’école du professeur Xavier est sa seule famille.
Tornade, fille de l’orage ou déesse des vents, a elle aussi grandit dans la solitude. Des parents décédés lorsqu’elle était jeune fille, elle a dans un premier temps grandit parmi une bande de voleurs avant de s’aventurer seule dans les plaines africaines. Là elle fut vénérer comme une déesse par les populations. A noter que la version ciné est bien moins charismatique. Sur papier, lorsqu’elle déploie ses immenses pouvoirs, elle respire la puissance. C’est le x-(wo)man le plus puissant, à noter que le choix d’une femme est un signe de plus de la volonté de l’auteur de mettre en avant une « minorité » sous-estimée, les super-héroïnes étant bien souvent les plus faibles de leur équipe. Mais malgré sa force, elle n’est pas sans connaître des faiblesses, telle une claustrophobie paralysante. Elle se montre aussi affectueuse, comme lorsqu’elle prend sous son aile Kitty.
Wolverine, autrefois membre de la division alpha des services secrets canadiens, était las des missions qu’on lui confiait sans égard pour lui, aussi accepta-t-il sans hésiter de rejoindre Xavier (ce qui déplu fortement à ces anciens employeurs…). De nature violente, il découvrit d’autres moyens d’agir et eu du mal à s’intégrer, notamment à respecter l’autorité.
Colossus lui contrairement aux autres avait déjà une famille en Russie, de modestes fermiers. Aussi il accepte difficilement d’être séparé d’eux, et remet parfois en question son choix. Il a rejoint l’équipe pour une grande cause, mais il laisse derrière une famille qui l’aime. Ce qui ne l’empêche pas d’être très loyal et dévoué.

L’autre force des histoires de Claremont c’est la continuité très marquée. Alors qu’à cette époque les histoires (par numéro) se suffisent la plupart du temps à elles-mêmes, Claremont instaure dans chaque numéro des éléments pour introduire les futures intrigues, comme la récupération de Magnéto, l’évasion de Protéus, ou la venue de la princesse Shiar sur Terre. Dans l’intégrale 1979, il sépare même les équipes pour leur faire vivre des aventures séparées de par le monde.

Mais c’est surtout l’arc du Phénix noir qui est un parfait exemple de cette continuité, et qui au total se déroule sur un grand nombre de numéro (presque une année entière). Une intrigue devenue un modèle du genre, au dénouement tragique qui fait date. Ainsi quelques temps après sa transformation en phénix et l’apparition de grands pouvoirs, Jean Grey est manipulé sans le savoir par le Club des damnés, avec dans leur rang Emma Frost au tempérament de glace. Au bout d’un certain temps, le Club des damnés attaquent les x-men alors qu’ils tentent de recruter de nouveaux membres (première apparition de Kitty et Dazzer), ce qui les pousse en retour à contre-attaquer dans leur manoir. C’est à l’issu de cet affrontement qu’apparaît le Phénix Noir, avatar maléfique de Jean Grey sous l’influence du Phénix, incontrôlable et avide de destruction. L’intrigue devient alors cosmique lorsque le Phénix noir quitte la terre pour dévorer des systèmes solaires entiers, attirant l’attention des Shiars. Une héroïne devient alors responsable de la mort de milliards de vie. Les X-mens sont alors confrontés à un dilemme moral : ils veulent plus que tout sauver leur amie, mais ils ne peuvent ignorer le danger qu’elle représente. Même s’ils arrivent à la faire redevenir elle-même, comment s’assurer qu’elle ne perde pas de nouveau le contrôle ? Et peut-elle être vraiment pardonnée pour toutes les vies qu’elle a prise ?
Une histoire prenante mais dont je fus quelque peu déçu par le dénouement : après une montée en puissance, le récit ralentit avant le dénouement tragique. Mettre cet événement à la fin de la montée en puissance aurait rendu le climax plus intense encore.
Dans la présentation de l’intégrale, il est dit qu’initialement une autre fin avait été proposée, mais jugée trop facile et peu cohérent avec la noirceur du récit. Finalement, je suis content que cette décision ait été prise. Ce traitement d’une super-héroïne, des crimes impardonnables et sa mort comme seule rédemption possible a marqué l’univers des comics et celui de marvel. Aujourd’hui encore, ces événements ont des répercussions (notamment avec Cyclope dans le crossover « x-men vs avengers »). Même si lorsque l’on découvre ces récits des années et des décennies plus tard, savoir déjà ce qui se passe atténue l’effet de ces histoires.

Cette intégrale contient également une histoire avec la division Alpha, l’équipe de super-héros canadien. Elle contient des membres intéressants et charismatiques qui me donnent bien envie de m’intéresser d’avantage à cette équipe qui a eu droit à sa propre série.
Enlak
8
Écrit par

Cet utilisateur l'a également ajouté à sa liste Top 10 BD

Créée

le 18 févr. 2015

Critique lue 1K fois

4 j'aime

3 commentaires

Enlak

Écrit par

Critique lue 1K fois

4
3

D'autres avis sur 1980 - X-Men : L'Intégrale, tome 4

1980 - X-Men : L'Intégrale, tome 4
McReady
10

Incontournable

Sous la plume de Claremont et les crayons de John Byrne, les X-Men vont connaître leurs aventures les plus connues et reconnues, et cette intégrale propose l'incroyable, l'unique, la dramatique Saga...

le 6 sept. 2018

2 j'aime

1980 - X-Men : L'Intégrale, tome 4
ThomasHarnois
10

Un des sommets de la bande dessinée !

« X-men, l’intégrale 1980 » est pour moi un des sommets de la bande dessinée. Le personnage central de cette tragédie est Jean Grey qui lutte contre un pouvoir sans limite capable de menacer...

le 24 mai 2021

1 j'aime

Du même critique

Interstellar
Enlak
9

"Nous sommes les fantômes de l'avenir de nos enfants"

Tout d’abord, l’annonce que Christopher Nolan se lançait dans un nouveau projet de science fiction, et dès l’annonce du concept, l’attente fébrile avait commencé. Un vaisseau qui allait visiter des...

le 20 nov. 2014

56 j'aime

13

Minority Report
Enlak
9

Critique de Minority Report par Enlak

Deuxième adaptation de Philip k Dick la plus réussie, après « Blade runner ». Vu, revu et rerevu à une époque où les films disponibles étaient limités, ce qui explique mon affection personnelle pour...

le 11 sept. 2013

49 j'aime

4

Transcendance
Enlak
5

De très bonnes idées gâchées par un traitement maladroit

Des scientifiques tentent de mettre au point la première intelligence artificielle, dans le but de changer le monde, d’accéder à une nouvelle étape de l’évolution et de régler les problèmes que...

le 30 juin 2014

37 j'aime

8