Crise de la quarantaine précoce: en 2006, Jason Lytle envoie tout valdinguer, son groupe Grandaddy et par la même occasion sa ville natale de Modesto, Californie. Lassé, fourbu, autant par les abus divers que par la pollution (dixit l'intéressé), il se réfugie dans le Montana, où il souhaite prendre un nouveau départ, tant du point de vue artistique que physique, et donc mental.


Yours Truly, The Commuter est le fruit de ces nouvelles aspirations, et reflète parfaitement cette vie d'ascète que doit mener Lytle à présent. Adieu les grosses guitares, les mélodies vintage bruitistes... Les morceaux de l'américain naissent désormais de quelques accords de guitare sèche, et si l'on retrouve bien tous les tics qui ont fait de Grandaddy le combo magique de pop lo-fi tel qu'on le connait (synthétiseurs cheap, arpeggios ambient, bidouillages électro, une voix fragile et lyrique), il y a un on-ne-sait-quoi de profondément changé. Troublant, déstabilisant. D'abord parce qu'on sait que les escapades solo sont rarement aussi percutantes que les efforts passés, et ensuite parce que l'image d'un groupe que l'on a profondément aimé colle au cerveau et aux oreilles, et que la comparaison est inévitable.


Alors, qu'est ce qui différencie un album de Jason Lytle d'un autre des barbus californiens ?
Déjà, peut-être cette léthargie superbe qui survole le disque, après 3 titres d'introduction relativement enlevés, certainement destinés à rassurer les fans ("Yours Truly, The Commuter", "Brand New Sun", "Ghost Of My Old Dog")... Car bien sûr, Grandaddy n'a jamais été particulièrement gai, mais l'interprétation, plutôt dynamique, de chansons mélancoliques en faisait avant un tout un groupe pop efficace avant d'être réellement personnel. Mais c'est à partir d' "I Am Lost (and "The Moment Cannot Last)" que le disque s'enfonce irrémédiablement dans une sorte de catatonie dont il ne sortira vraiment jamais, à l'image de cette note interminable de synthé pitché qui fait office de solo sur "Rollin' Home Alone".
On réalise alors combien les anciens compères de Lytle avaient leur importance au sein du groupe, bien que le leader ait toujours tout écrit. Leur présence seule s'imposait naturellement. On savait qu'il étaient là, éléments immuables et indissociables du son Grandaddy. On imaginait Burtch la clope au bec en train de taper nonchalamment ses fûts. On imaginait Fairchild s'appliquer sur sa guitare en rêvant de pouvoir un jour composer à son tour, Garcia bourré et impassible derrière sa basse, et enfin Dryden, l'homme invisible entouré de ses claviers.


Sur Yours Truly, The Commuter, leur absence est partout, et Lytle, qui ne triche pas (l'instrumentation est plus que minimale) nous montre cette fois-ci la chair de son songwriting à nu. D'où ce grand sentiment de solitude, non pas morne, mais franchement mélancolique qui ressort de ce disque. D'ailleurs, jamais on avait entendu autant de piano (instrument soliste par excellence) depuis The Sophtware Slump; album qui semble aujourd'hui peut-être un peu trop tiraillé entre les aspirations purement solo de Lytle et celles, plus abordables, d'un ex-futur super groupe.


Ainsi, aussi incroyable que cela puisse paraître, Yours Truly, The Commuter, pourtant considéré comme trop sage par son auteur, est une vraie réussite, une sorte de condensé de tout ce qu'il pu réaliser de plus introspectif et minimaliste au sein de son groupe précédent. Immaculé, à l'image de cette neige qui recouvre les paysages du Montana la moitié de l'année.

Créée

le 28 août 2018

Critique lue 55 fois

François Corda

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