Début septembre, sous pli discret et parfaitement anonyme, comme s'il s'agissait d'un document classé secret défense, You Could Have It So Much Better nous parvient enfin. Ainsi complété et reconfiguré, le second Franz Ferdinand balaie aussitôt nos craintes du départ. Il ne s'agit plus du tout d'une photocopie du premier, l'effet de surprise en moins. Il contient bien certains des hymnes internationaux auxquels personne n'échappera au cours des prochains mois, notamment, et dans le désordre, The Fallen, You're the Reason I'm Leaving, Outsiders en plus des imparables I'm Your Villain et Do You Want to, pastiche, en beaucoup plus atomique, du Girl U Want de Devo. Mais là où Franz Ferdinand parvient à nous cueillir sur place, c'est lorsqu'il aligne sans sommation trois titres un peu plus ralentis où vient perler, au-delà d'un simple savoir-faire, un songwriting de haute classe. Il y a d'abord Walk away, qui résume en moins de quatre minutes ce que les Libertines cherchent à faire depuis deux albums. Le cafteur Pete Doherty, à propos de Take Me out, nota qu'il s'agissait d'un plagiat d'un vieux single boudiné de Ringo Starr, Back off Boogaloo. Avec un peu d'imagination, on peut lui donner raison. Mais Walk away, dans le registre du faux morceau calme, bordé de guitares acoustiques et serti d'une mélodie aristo, redonne largement la main à Franz Ferdinand dans cette guéguerre stérile entre les deux phénomènes rock des dernières saisons. Un clou enfoncé avec le somptuaire Eleanor Put Your Boots on, ballade languide digne du meilleurs Ray Davies, dont le sujet concerne probablement Eleanor Friedberger, qui partage la vie d'Alex et dont le groupe, The Fiery Furnaces, partage lui aussi ses initiales avec Franz Ferdinand. Pour compléter ce tiercé de gâteries ? le premier album, qui maintenait tout du long un tempo mitraillette, n'en contenait aucune ?, Fade Together laisse le piano et la guitare entamer un dialogue à la belle étoile, dans une intimité brumeuse d'où parvient l'écho annoncé du All Things Must Pass de George Harrison. Le contraste est d'autant plus saisissant que le morceau succède à une déflagration binaire sous inspiration Wire/The Fall, tendance qui nourrit un bon tiers de l'album.
Peu de commentateurs avaient jusqu'ici prêté à Franz Ferdinand d'autres vertus que celles d'un groupe de divertissement, au jeu de scène inventif et au rayonnement vaguement iconique dans les pages mode des magazines, via ses accointances avec Hedi Slimane. Pour Alex qui avant tout ça possédait une seule chemise Dior, achetée 50 pounds dans un genre d'Emmaüs (Oxfam) à Glasgow, le temps est venu de tout concentrer à nouveau sur la musique, de prouver aux zélateurs et aux circonspects que son groupe possède sa part d'ombre, une épaisseur charnelle que ne laisse pas forcément apparaître son image bidimensionnelle, graphiquement impeccable, ni la jovialité de ses membres. Sur la pochette enfin dévoilée de You Could Have It So Much Better, parodiant le constructiviste russe Aleksandr Rodchenko, une femme met sa main en porte-voix pour brailler au monde le retour de Franz Ferdinand. La portée de cette annonce pourrait bien ressembler à une lame de fond. (Inrocks)


Parce que la nature humaine est foncièrement mauvaise (si, si), nombreux sont ceux qui rongeaient sévèrement leur frein en espérant que la sensation de l'an 2004 allait revenir avec un album, oh, même pas décevant, mais simplement tièdasse, une sorte de fac-similé grossier de ce premier disque éponyme qui continue de résonner sur les platines du monde entier. Ils pensaient, ces vilains, pouvoir modifier le titre de l'un des singles les plus pernicieusement accrocheurs de ces dernières années en un Take Them Out revanchard et, après tout, pas volé pour ces quatre godelureaux dont tout le monde, de gré comme de force, a fini par s'enamourer. Depuis un an, vous, nous, les autres spéculaient sur les successeurs de ces nouvelles idoles, s'entichant d'à peu près chaque formation qui se risquait à glisser un orteil hors de la Perfide Albion. Si l'on avait su, on aurait sans doute économisé notre peine. Parce qu'à l'écoute de You Could Have It So Much Better, force est de constater que personne ne peut décemment espérer rivaliser avec Franz Ferdinand. Ces coqueluches des temps modernes ont donc passé avec une embarrassante facilité ce que d'aucuns considèrent dans le monde impitoyable de la musique pop "la délicate épreuve du deuxième album", étape que pas mal de leurs congénères ont atrocement foiré. Armés d'une intelligence largement au-dessus de la moyenne, les quatre amis ont réussi à bonifier ce qui est devenu depuis quelques mois leur marque de fabrique, soit cette perversité à proposer dans un seul et même morceau ce qui semble être trois ou quatre chansons différentes. Ruptures dynamiques et mélodies exaltées sont donc bien au rendez-vous, dès The Fallen, intelligemment placé en ouverture, mais aussi dans un premier single hautement contagieux, un Do You Want To qui fait du pied avec insistance à la My Sharona des météoriques The Knack. C'est d'ailleurs la surprise du disque: heureux qui comme Franz Ferdinand a fait de beaux voyages et découvert, entre autres, les grands espaces du Nouveau Monde. Car la seule présence à la production de l'Américain Rich Costey ne saurait expliquer que Well That Was Easy explose comme une bombe Atomic dès les premiers accords ou que Evil And A Heathen ne revêt les atours d'un rockab' déjanté à filer le blues aux White Stripes. Pas avares en (bonnes) idées, les Écossais (ou assimilés) flirtent avec la disco sur un Outsiders que l'on n'hésite pas à jouer gagnant, piquent le riff de Miss You sur les couplets d'un I'm Your Villain qui pourrait bien les conforter dans leurs rôles de héros. Coincées entre des cavalcades pugnaces (This Boy, le morceau-titre), deux ballades ornées de jolis motifs de piano (Eleanor Put Your Boots On en l'honneur de la petite amie d'Alex Kapranos , Fade Together) montrent une nouvelle facette de ces musiciens facétieux qui viennent chatouiller l'ego de Paul McCartney, avant de délivrer à la face de leurs contemporains cet indicible Walk Away, pirouette mélodique en forme de valse pop moderne, LA chanson d'une année en cours déjà riche, pourtant, en hymnes potentiels. "When I woke up tonight/I said I'm gonna make somebody love me", chante un Kapranos goguenard sur Do You Want To. Peut-être ne se doutait-il pas qu'il allait provoquer une émeute. Quoique...(Magic)
Le deuxième disque de Franz Ferdinand reste dans la veine du premier, mais en plus riche, avec la même attention pour le song-writing complexe, le développement imprévisible des mélodies ou des rythmes, tout en gardant une pêche contagieuse ("This Boy") et un groove imparable ("Evil And A Heathen"). Au-delà d'un sens étonnant du refrain accrocheur, ce qui fait que les morceaux deviennent addictifs c'est précisément cette complexité cachée sous une couche de sucre pop-rock vintage : c'est comme si on faisait de la télé-réalité avec des bac+3, du divertissement pas con, une petite infusion de subtilité dans la culture de consommation. C'est à la fois une performance et une ironie, ce désir de faire un album comme une collection de hits sans renoncer à être soi-même et sans se limiter au service minimum. Cette fois, les quatre gars de Glasgow gardent même une ou deux cerises pour les âmes sensibles, leurs premières ballades, "Eleanor Put Your Boots On" et "Fade Together", mais ils arrivent à être tout aussi convaincants. L'originalité par rapport à leurs débuts c'est que le style semble avoir glissé un peu plus vers les années 70, avec un soin particulier pour la production ; les arrangements et même la voix d'Alex Kapranos rappellent un tas de bons souvenirs, parfois même certains morceaux des Beatles. Seul "Outsiders" sonne plus contemporain, mais on sort en tout cas du revival eighties ambiant, un peu essoufflé. Même s'ils ne prennent pas de vrais risques, les Franz Ferdinand parviennent tout de même à proposer un album qui se bonifie à chaque écoute et dont on découvre progressivement les saveurs surprenantes. (Popnews)
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le 27 févr. 2022

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