5 renoi + un rebeu ça donnerait jamais ce qu'est le Saïan
Après le raz-de-marée que fut KLR, Saïan Supa Crew doit montrer que le succès n'était pas dû au hasard. La formation réalise alors, deux ans plus tard, un titre sans concession, légèrement moins facile d'accès : X Raisons. Le titre renvoie au morceau éponyme qui explique plusieurs des nombreuses raisons qui poussent les 6 jeunes à rapper.
X Raisons plus encore que KLR revendique les influences variés du Saïan Supa Crew. Musicalement on lorgne plus que jamais vers le reggae. Dans le même temps, la technique des rappeurs est encore plus prononcée. Ceux-ci n'hésitent pas à réaliser des joutes verbales en posant simultanément sur le même couplet. En terme de technique, cet album apparaît comme encore supérieur à KLR, pourtant un de mes 10 disques préférés dans le monde du rap.
X Raisons commence avec un renvoie à KLR avec le morceau éponyme qui terminait l'album. Le tout avec des voix du muppet show pour commenter méchamment cet album. On les retrouve sur la fin de Dernière Séance. Là encore, l'humour est ravageur.
Avec 21 pistes, Saïan Supa Crew s'est lâché en terme d'interlude, on en a vraiment pas mal, très variées le plus souvent. La sixième piste dont l'intérêt m'échappe un peu est un bon exemple. A l'inverse, Voodoo Chil repris en Beat Box est une très bonne idée. Soldat a le droit à une petite introduction qui sert aussi de piste spéciale. Mohammed et Sebastien rappellera quelques sketch des Inconnus. Mitaw Tao fera aussi rire alors que Le Chanteur Libre semble se moquer gentillement de notre cher Garou.
Et là, vous allez me dire que c'est bien gentil mais qu'il serait temps de parler des morceaux eux-même. J'y viens. Il faut dire que c'est assez vaste, globalement quasiment tous les titres me plaisent. Beaucoup sont vraiment marquants, quelques uns décevant. On a le droit à des sujets forts, des thèmes puissants.
Mon morceau préféré est clairement Au Nom de Quoi, un titre rapide, accrocheur qui évoque le mal que peut être la religion. L'hypocrisie des croyants est mis en avant. Le Saïan Supa Crew attaque très fortement les chrétiens et les musulmans. Que ça soit à propos de l'esclavage, du commerce de drogue, de la pédophilie, du machisme, ces sujets là sont évoqués avec agressivités. Le Saïan Supa Crew, de manière assez étonnante ne possède en effet aucun membre qui se revendique d'une religion. On est en droit de penser que l'attaque est donc brutale et entière même si il s'agit ici simplement d'une critique envers ceux qui usent de la religion ou s'y cachent alors que leurs actes sont profondément mauvais.
19, 20 ans est un titre beaucoup plus calme, mélancolique même. Il est cependant tout aussi enivrant et évoque un peu la jeunesse et le ressentie de chacun des membres vis à vis de cela. On y ajoute aussi beaucoup de notions vis à vis la paternité, traitée avec beaucoup de subtilité. Là encore un titre poignant.
On regrettera cependant que ce morceau succède à Ils étaient une fois. Ce morceau, qui débute l'album, raconte en effet la vie des différents protagonistes du Saïan Supa Crew. Cet aspect auto-biographique est plaisant, mais il devient un peu redondant malheureusement.
Plus tard dans l'album, on retrouvera cela avec J'entends dire. Ce morceau est beaucoup plus fou, plus dur à accroché aussi mais taillé pour le live en même temps. Ici, le groupe parle non plus des individus mais du Saïan entend que tel. Du succès rencontré mais surtout de l'amour de la musique. Une thématique qu'on retrouvera plus développé dans X Raisons.
L'album possède cependant des titres beaucoup plus matures, plus réfléchis et beaucoup moins auto-centré. Par exemple, 14/02/2002 remplie des fonctions multiples. Déjà techniquement, le refrain est un des plus incroyables puisque les voix sont multiples mais très variées. Un niveau assez dingue qu'on ne trouve que chez peu d'artistes. On pourrait même croire qu'il n'y a que Samuel qui chante sur des instrus, or, au contraire, les voix sont très nombreuses, l'oreille doit donc être tendue. Le morceau a aussi une morale, un message sur les dangers des MST, quelque chose qui touche le public. Mais on ne doit pas y voir un aspect moralisateur puisque l'intérêt principal de ce morceau à l'atmosphère oppressante c'est surtout de raconter une histoire à l'envers. La narration réussie mais mise à l'envers donne une grande puissance à ce titre particulièrement réussi qui compte parmi mes préférés de la carrière du Saïan Supa Crew.
Dans le même temps, on a aussi Police qui me touche bien peu en terme de son. Le minimalisme de l'instru ne me plait pas, il faut bien avouer que j'ai du mal avec cela. Cependant si chacun décrit sa vision, son rapport avec la police, Specta, qui termine le morceau, a l'intelligence de ne pas présenter la police comme des êtres mauvais mais plutôt de désigner le héros comme étant lui-même un criminel. De ce fait, le titre se termine sur un rappel du but premier de la police : arrêter les criminels et délinquants, quand bien même par moment, humainement, on peut voir des qualités chez le criminel et trouver que le policier est un vrai c*nnard.
Dans la série des titres qui ne m'ont pas plu, il y a Soldat, qui ne m'a pas touché. Le titre n'est pas mauvais, mais voilà, ça m'a pas touché, c'est tout. Idem pour Tourner la Page.
Globalement les autres ont toujours eu un petit écho.
Par exemple, Dernière Séance, de par la force de l'évocation du suicide ne peut laisser insensible. A Demi-Nue apparaît pour sa part comme un morceau très mal maîtrisé, assez captivant certes, mais où les rappeurs n'offrent pas un texte très unis. Malgré ces défauts, quelques passages restent cependant bien maîtrisés et rendent le morceau pas totalement inutile.
J'Avais, bien qu'évoquant l'enfance a une instru assez sensuel je trouve. C'est plaisant, et ça montre la diversité du groupe. A Co'Mow, de son côté, montre l'aspect très rapide et dynamique du groupe, un petit plaisir.
Enfin, je me rend compte que seul Maladie n'a pas été évoquée. Bien que relativement simple en parlant de la vanité des gens (le tout avec quelques sous-entendus, sur la violence conjugale par exemple), ce titre a tout d'un grand tube et est véritablement très puissant. Avec Au nom de quoi, il s'agit certainement de mon morceau préféré.
Le Saïan Supa Crew ne peut pas révolutionner deux fois de suite le milieu du rap francophone, mais ils dévoilent un peu plus avec ce second album, toute leur technique, toute la complexité. Ce second album, très mature, est très touchant. On pourra regretter que plus d'une fois la diversité musicale prend le pas sur l'aspect entêtant, que le Saïan décide, quelque part, de se referme un peu sur soi et de ne pas se rendre plus facile d'accès, mais dans le même temps ses textes se travaillent d'avantage et le groupe gagne de plus en plus à être écouté.
Plus que jamais, avec X Raisons, Saïan Supa Crew montre tout le talent de ses 6 jeunes rappeurs.
Note de fin : Les détails sont très nombreux dans les morceaux. En plus des nombreuses références cinématographiques, l'album est rempli de clin d'oeil à leur premier album (Darkness, Angela) mais aussi à leur défunt ami, KLR.
