Will of the People
5.5
Will of the People

Album de Muse (2022)

Avant toute chose, il me semble sage de préciser que Will of the People n'est toujours pas l'album du retour aux sources que certains continuent d'espérer de la part du groupe. Oui, les standards de Muse ont baissé depuis une quinzaine d'années mais ils ont surtout changé ; les britanniques continuent leur transformation musicale à travers des titres certes beaucoup moins subtils qu'autrefois mais autrement plus expérimentaux, à la recherche de nouvelles sonorités et défiant toujours la limite entre le bon et le mauvais goût. Un exercice d'équilibriste qui n'a pas toujours été une réussite chez Muse : dans Simulation Theory, le concept de l'album synthwave n'est pas poussé jusqu'au bout et donne lieu à des titres peu mémorables. L'album d'avant Drones se voulait être un retour au rock brut mais finit par être le plus inconsistant du groupe. Encore avant en 2012, The 2nd Law est un immense bric-à-brac de chansons qui n'ont aucune espèce de lien entre elles. Et finalement Will of the People reprend un peu cette formule d'album fourre-tout, qualifié par le compositeur-chanteur-guitariste-pianiste Matthew Bellamy lui-même d'album « best of Muse » où chaque chanson revisiterait un style qu'ils auraient déjà expérimenté par le passé. Il n'empêche que Will of the People est un album étonnamment frais où cohabitent certes des chansons qui rappellent les sonorités de précédents albums (Liberation, Kill or Be Killed) mais aussi et surtout des OVNIs musicaux pêchus qui sortent des carcans habituels (You Make Me Feel Like It's Halloween, We Are Fucking Fucked, paye tes noms à rallonge). Et par-dessus tout, Will of the People est un album très terre-à-terre qui raconte des événements du présent tels que Bellamy les racontait autrefois sous le spectre de la dystopie. C'est finalement une nouveauté de l'album qui n'en est pas vraiment une : le monde qui inquiétait Muse dans Absolution ou The Resistance devient réel et, sous un air de « on vous l'avez bien dit », décrit le présent dans un contexte alarmant où catastrophes écologiques, guerres et pandémie mondiale sévissent. Will of the People est une ode à la réalité qui se déroule devant nos yeux, un terrifiant mélodrame se concluant sur ce qui sonne comme un constat d'échec glaçant : We Are Fucking Fucked.

Alors que retenir de ce mélange de genres déroutant ? On retrouve sans le moindre doute l'album le plus dansant de toute la discographie de Muse : impossible de résister au groove de Compliance ou de You Make Me Feel Like It's Halloween, les deux singles "pop" de cet opus. Le premier est totalement soutenu par sa ligne de basse, ses paroles et son synthé entêtants, tandis que le second, fourmillant de subtiles références au cinéma d'horreur, reprend tous les codes halloweenesques classiques pour nous délivrer un des titres les plus rythmés de toute la discographie du groupe. Deux singles qui font selon moi partie du haut du panier de l'album (le solo de You Make Me Feel Like It's Halloween est génial quoiqu'un peu court). Viennent ensuite les expérimentations metal : Won't Stand Down est le single phare de l'album reprenant tous les codes du nu metal moderne façon Slipknot (screams, breakdowns) pour en définitive accoucher d'un titre plus soft sur les couplets et pas très original dans l'ensemble ; Kill Or Be Killed, probablement le meilleur morceau de l'album – et aussi le plus long – se paye le luxe d'un magnifique break contenant un solo de tapping complètement épique. Avec son approche progressive la chanson ne ferait franchement pas tache au milieu d'Absolution. Will of the People se démarque des précédents opus par le grand retour des chansons au piano et dont la première, Liberation, est un hommage assumé à Queen dont on pourra difficilement pousser le concept davantage. Alternant couplets calmes et refrains survitaminés avec chœurs et vocalises d'opérette, la chanson se termine sur une très belle dernière minute poétique où piano et guitare acoustique accompagnent la voix de Bellamy. Hommage expéditif puisque la chanson ne dure que trois minutes, faisant d'elle la plus courte de l'album qui lui-même est le plus court de la discographie de Muse. Quant à Ghosts (How Can I Move On), il s'agit d'une ballade minimaliste où Bellamy est seul au piano, venant apporter un peu de calme au milieu d'un album déchaîné à la manière d'un Soldiers' Poem dans Black Holes and Revelations. Cette ballade assez poignante est surtout remarquable pour ses paroles subtiles comme on en a plus depuis des lustres chez Muse. Vient ensuite Verona, une chanson d'amour planante qui évolue lentement et qui rappelle les expérimentations synthwave du précédent album ; le chant de Bellamy est fabuleux sur celle-ci en particulier. Euphoria est un morceau rock qui suit la formule Muse assez classique avec un refrain power pop qui n'est pas des plus mémorables mais on y revient pour son riff bien senti et son rythme effréné sur les couplets. Enfin pour conclure Will of the People, l'étrange et clairvoyant We Are Fucking Fucked décrite par Bellamy comme « la face B la plus sombre et la plus bizarre que Muse n'est jamais sorti » et il n'a pas forcément tort. Aux premiers abords on a du mal à entendre la patte Muse mais cette chanson assez déroutante à la première écoute est un gros délire cathartique qui risque de faire son petit effet sur scène. Ne trahissant jamais ses inspirations originelles, le refrain sonne comme un rappel à la Marche funèbre de Chopin et le solo final – qui n'est pas sans rappeler celui de Knights of Cydonia – fait partie des meilleurs moments de l'album.

Qu'y a-t-il de plus à ajouter à propos de Will of the People ? En vrac : Dominic Howard le batteur du groupe est l'homme fort de cet album avec une utilisation intelligente de la double pédale et des patterns très différents d'un morceau à l'autre (il est également à la tête de la direction artistique de l'album). On peut noter des textes engagés plutôt pas mal, qui captent l'instant présent assez justement et mettant le doigt sur des sujets politiques brûlants comme les atteintes à la démocratie, qu'elles viennent du système politique (Compliance) comme du peuple lui-même (Will of the People), ou bien sur l'état de la société en général en évoquant des évènements qui ont marqué l'actualité en 2021 et en particulier celle des États-Unis (où deux des trois membres du groupe ont vécu durant la création de cet album) comme l'attaque du Capitole, la gestion de la pandémie ou les manifestations Black Lives Matter (Liberation). Actualité qui n'a pas seulement marqué Bellamy dans les textes mais aussi dans la production, il va sans dire que la disparition de Van Halen puis la séparation des Daft Punk l'année dernière sont deux événements qui ont influencé Will of the People qui fut au même moment en cours de production (l'influence du premier se ressent sur le synthé de Compliance tout comme dans les solos de You Make Me Feel Like It's Halloween et de Kill Or Be Killed). Sur un tout autre sujet, l'absence du mot "soul" usé jusqu'à la moelle dans les textes de Bellamy depuis le tout premier album est assez remarquable pour être souligné. Et j'ajouterai, car le groupe est indissociable à ses performances live, que Muse a opéré un retour sur scène absolument sidérant en 2022 pour accompagner la sortie future de leur album, donnant une nouvelle jeunesse à des titres de la grande époque et magnifiant des singles flambant neufs comme Won't Stand Down et Compliance dont la plus-value live est assez énorme. Kill or Be Killed, jouée durant toute la tournée de festivals d'été avant d'être publiée sur internet fut une surprise magistrale en fin de set. Il me semble évident que Will of the People a plus que jamais été pensé pour déchainer les foules dans les stades qu'ils rempliront en un rien de temps.

Une fois n'est pas coutume Muse nous pond un album saisissant, frais, plein de consistance et qui renaitra sur scène comme le groupe a si l'habitude de le faire. Le ventre mou de Will of the People est probablement la chanson éponyme qui fait peut-être un peu trop dans le minimalisme absolu musicalement parlant pour une ouverture d'album de Muse – bien qu'elle soit une parodie populiste hilarante – de même qu'Euphoria aurait pu nous offrir un refrain plus inspiré qu'un remake de Revolt (il a le mérite d'être un titre largement plus intéressant que ce dernier). Par ailleurs, il est regrettable qu'à part sur Compliance, le talentueux bassiste Chris Wolstenholme soit autant en retrait. Mais globalement Will of the People envoie du pâté et déborde de détails dans sa production ; le plaisir que le groupe a pris en produisant ce disque est communicatif. Muse entre dans une nouvelle ère intéressante et bien qu'on soit encore loin du génie des premiers albums, à chaud, je dirai que la bande à Bellamy s'y rapproche nettement plus avec Will of the People que sur les trois, sinon quatre, derniers albums.

mattriochka
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le 27 août 2022

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