Far from Whack

Pitchfork n’a que rarement attiré mes faveurs : doté d’un système de notation pompeux, d’articles alternant l’éloge excessive et la méchanceté gratuite, ainsi que d’un style transpirant la condescendance, le magazine américain se plaît à s’ériger en garant exclusif du bon goût musical.

Si on ne peut nier un certain sens de la formule (la critique de Anthem of the Peaceful Army regorge de punchlines croustillantes), leur fâcheuse habitude à mettre en avant leurs postures politico-morales au détriment de l’aspect strictement musical (les ¾ de la critique de Ye sont consacrées au personnage de Kanye West plutôt qu’à l’album en lui-même) les rendent au mieux tout juste amusants, au pire franchement insupportables.

Toutefois, leur label Best New Music se révèle parfois propice à d’agréables trouvailles auditives. Preuve en est avec Whack World, le premier album de la rappeuse Tierra Whack. Fraîchement nominée aux Grammy Awards 2019 dans la catégorie Best Music Video pour son clip Mumbo Jumbo, la native de Philadelphia nous réinvite dans son univers joyeusement surréaliste au travers d’un projet au format bien particulier : Composé de quinze morceaux longs d’une minute exactement, cette curiosité est également accompagnée d’un mini-film reprenant l’intégralité de l’album, à la manière de Lemonade de Béyoncé ou Endless de Frank Ocean.

Et comme les deux projets susmentionnés, le visionnage de ce support cinématographique (disponible sur Youtube ici) est essentiel à la compréhension et à l’appréciation du projet de la jeune rappeuse de 23 ans. Le travail des deux réalisateurs Mathieu Léger et Thibaut Duverneix est remarquable, tant les quinze saynètes proposées ici captivent le spectateur, l’hypnotisant de visuels simples, décalés, et colorés.

L’univers musical de Tierra Whack y est fidèlement retranscrit : les couleurs vives des scènes joyeusement loufoques sont associées sonorités pop et R&B de Fruit Salad, Black Nails ou Silly Sam, tandis que les ambiances plus sombres servent de support à des rythmiques trap et neo soul comme sur Sore Loser ou Bugs Life.

Le format temporel de l’album, de prime abord déroutant, se révèle être une force. Ce qui apparaît comme une contrainte devient un véritable exercice de style, passé avec brio. Les morceaux à la production impeccable s’enchaînent sans aucun temps mort, et sans jamais donner l’impression d’avoir été bâclés comme on aurait pu le craindre. Malgré son jeune âge, la rappeuse impressionne par sa maturité et sa polyvalence, s’adaptant avec succès à chacun des styles auxquels elle s’essaye.

En définitive, Whack World est une expérience audiovisuelle fascinante, enchanteresse et unique en son genre. Pour un coup d’essai, c’est un coup de maître. Si on peut légitimement se demander comment la chanteuse va réussir à incorporer un tel projet à l’épreuve de la scène, nous sommes également en droit d’espérer un rendu à la hauteur de son talent et de la qualité de ce projet : ambitieux, délirant et spectaculaire.

• En quelques mots : La meilleure expérience audiovisuelle de 2018


• Coups de cœur : Flea Market, Cable Guy, Fuck off, Silly Sam


• Coups de mou : RAS


• Coups de pute : RAS


• Note finale : 8