We Are Chaos
6.4
We Are Chaos

Album de Marilyn Manson (2020)

We are Chaos aurait du s'appeler tout simplement Marilyn Manson. Ce n'est pas un fantasme, c'est un fait. Véridique. Nous avons découvert le changement de titre en même temps que fut diffusé le premier single ainsi que la pochette de l'album sur lequel figure le titre finalement gardé.
Pourquoi avoir pensé à ce titre et pourquoi ce changement ? Il s'agit effectivement d'un album très personnel et comme toujours dans la discographie d'un artiste, mais encore plus chez Marilyn Manson, il est intéressant de mettre l’œuvre en parallèle avec la vie du bonhomme.


Déjà le single était surprenant ; We are Chaos avec son intro à la guitare sèche et son refrain très pop. Musicalement surprenant mais c'est aussi la première fois que l'on voit un Marilyn Manson aussi "bienveillant" si je peux dire. Effectivement, ce que dit le chanteur à travers ce titre est plutôt touchant si tant est l'on est attaché à l'artiste, à l'homme. En résumé, nous sommes tous plus ou moins chaotiques, nous avons tous un côté sale et honteux ; Marilyn Manson en fait le constat et va même, dans le clip, se porter caution pour l'humanité entière comme le symbole de cette noirceur. Bouc-émissaire mais aussi guide qui ne nous jugera jamais sur le simple constat de nos mauvais côtés : "In the end we all end up in a garbage dump but I'll be the one that's holding your hand" Non, vraiment, je ne me rappelle pas un Manson aussi bienveillant.


Le single fait partie de la première moitié de l'album ; de sa face A. Manson y implique pas mal autrui, la société ; comme en témoigne les paroles du single. Fidèle ou nostalgique de son influence sur les jeunes dans les années 90/2000, le chanteur rassure (We Are Chaos), et dénonce une nouvelle fois les hypocrisies des différents dogmes (Red Black and Blue) mais ici Manson ne met pas l'accent sur le dogme religieux même s'il concède des clins d’œil discrets


"Sick-sick-sick" dans Red Black and Blue


Ou encore


"Ring all the bells you can ring
There's a crack in everything
That's how the sunlight gets in"
dans Halfway & One Step Forward


Manson donne également des conseils à ses auditeurs que l'on imagine comme autant de leçons que le chanteur maintenant cinquantenaire a appris ou apprend encore (Don't Chase the Dead en est un bel exemple ou encore "Don't try changing someone else. You'll just end up changing yourself" dans Keep My Head Together)


La première moitié de l'album peut-être vue comme la première étape d'une analyse de soi de la part du chanteur dont la volonté claire de structurer son dernier opus est marqué. L'exemple le plus explicite est le titre Halfway & One Step Forward, littéralement "A mi-chemin et un pas en avant" chanson qui termine la première partie sur un "Past the point of no return" (passé le point de non retour) annonciateur de changement


La changement s'amorce musicalement avec Infinite Darkness : chanson la plus crue et énervée de l'album. Marilyn Manson, dans cette seconde partie, semble désormais se concentrer sur sa propre personne ; ses peurs, ses erreurs, ses doutes. Ce dernier vieillit et la mort approche à mesure que les jeunes années s'éloignent. Manson attache d'ailleurs la violence de ce constat et l'ébranlement que provoque celui-ci au refrain le plus violent de tout l'album dans Infinite Darkness lorsqu'il répète, impitoyable comme la mort elle même "You're dead longer than you're alive"
De là, on assiste à un apaisement musical progressif au fil des titres ; de Perfume qui partage un penchant violent avec le titre précédent mais sans le même implacabilité dans le refrain. Jusqu'à la ballade finale Broken Needle.


Comme c'était le cas dans la première partie, Manson a bien travaillé les paroles. Chaque chanson mérite que l'on s'attarde sur elles. On aurait aimé moins de répétitions par moments et plus de variété. Plus de texte quand on voit leur qualité. Mais bon moins c'est mieux paraît-il, et n'est-ce pas un des pouvoirs de la poésie : la synthèse de sentiments complexes en quelques vers ?. Effectivement, la plupart du temps dans cet opus, Manson concentre son propos dans de courtes phrases répétées qui ont un sens plutôt profond. Et cela fait plaisir par rapport à Heaven Upside Down son album précédent, dans lequel il se vautrait dans la provocation gratuite, facile, surannée et inefficace. Le chanteur livre sa meilleure performance d'écriture depuis... TRÈS LONGTEMPS tousse fort


Tout au long de l'album, et particulièrement dans sa face B, Marilyn Manson, fidèle à son nom, triomphe dans la duplicité : entre affirmation de soi, optimisme pour l'avenir et doutes existentiels, ressassement, regret des erreurs passées. En effet, dans Solve Coagula, il s'adresse à ce qui semble être un archétype de fan et dans laquelle il est fier à la fois de ses qualités et de ses défauts et qu'il ne souhaite pas devenir quelqu'un d'autre


So you think you can sing or clap
Well all you need is an ear
So listen
I'm not special
I'm just broken
And I don't wanna be fixed
No one else I, no one else I
Wanna be like


En revanche, dans Broken Needle (qui fait d'ailleurs écho à la toute première phrase de l'album "I can stick a needle in the horror and fix your blindness" Red, Black and Blue) propose un texte à plusieurs niveaux de lecture. Il se compare à une aiguille de lecteur de disque où les vinyles sont, on imagine, les femmes qu'il a pu aimer. Personnellement, j'y vois un courageux mea culpa de la part du chanteur qui assume avoir été un partenaire abusif à plusieurs reprises. Fini les allusions pré-pubères sur le potentiel romantisme d'un amour violent et vampirique comme ce fut le cas dans Eat Me Drink Me. Le ton est bien plus grave et Manson se fait plus vulnérable que jamais et ne passe pas par de grands détours pour dire son mal-être


"Are you alright?
'Cause I'm not okay
All of these lies
Are not worth fighting for"


Manson se décrit comme un causeur de douleurs qui profite de "la musique" de ses victimes, les rayent et les jettent sans plus jamais les écouter sans oublier que lui-même en joue de la musique car c'est son métier... La chanson et l'album se terminent sur une répétition de "I'll never ever play you again" et conclue enfin, avec une touchante ironie, sur un loop sonore qui, si l'on possède la version vinyle, ne s'arrête que si l'on vient retirer l'aiguille que l'on croit alors cassée... "Je ne te jouerai plus jamais mais jamais je n'arrêterai de te jouer ?" Est-ce cela que veut dire Manson conscient de l'impact d'actes qu'il regrette ?


La chanson peut aussi parler de l'auditeur qui se fout bien de la personne de Marilyn Manson et qui attend de lui une performance musicale solide. Cet auditeur est nostalgique de la période des années 90/2000 de l'artiste et de sa flamboyance, qu'un Manson de cinquante ans ne veut plus et ne peux plus recréer. Dans ce cas, il écoutera et, déçu par l'album le reposera et ne l'écoutera plus jamais. La conclusion ironique est transposable à cette interprétation ; le loop peut symboliser l'envie de Manson de se faire désespérement comprendre par ce genre de public exigeant en les "hantant" avec cette répétition anormale "Tu ne voudras plus jamais me jouer ? Eh bien mon loop va te jouer un tour et prolonger artificiellement ton expérience d'écoute avant que tu rendes compte que ton vinyle bug et que ton aiguille ne comprends pas ce qu'il se passe. Alors peut-être tu ne me réécouteras pas mais tu garderas comme dernier souvenir de cet album cette petite leçon.


Enfin, ce loop peut aussi bien signifier la répétition de cette alternance de pensées négatives et positives qui font partie de nos vies chaotiques et en premier lieu de celle de Manson lui-même.


Quelle attention ! La composition musicale ainsi que la production paraît en revanche trop simple face au texte. Tyler Bates était parvenu à déterrer Manson en lui donnant une nouvelle identité sonore collant mieux à son image actuelle, malgré des paroles majoritairement faiblardes (Pale Emperor) voir ridicules (Heaven Upside Down) Ici par contre, c'est l'inverse. Il faut reconnaître que la musique de Shooter Jennings sait mettre en relief la profondeur des paroles de Manson ainsi que la mélancolie qui en découle notamment avec de magnifiques synthés. Cependant, il ne parvient pas à égaler musicalement la densité de celles-ci. Sans être mauvaises, les compositions sont trop simples et sans surprises. Encore une fois, le duo à la manœuvre est déséquilibré et donne un (très?) bon album mais pas un chef d’œuvre. Cela nous laisse encore une fois cette frustration présente depuis plusieurs albums ; ce constat qu'il manque vraiment un petit rien pour que l'étincelle déclenche un envol artistique.
Voilà pour les reproches, mais ne boudons pas notre plaisir! J'ai l'impression que Manson a compris depuis plusieurs albums qu'il fallait mieux en faire moins qu'en faire trop. Moins de paroles et moins de titres. We Are Chaos fait 41 minutes et c'est l'album le plus court de toute sa discographie. Ça fait du bien, je retrouve l'intelligence d'un Marilyn Manson auteur de concept-album et chantre d'un art global ou l'immersion se niche dans des détails qui dépassent l’œuvre musicale et dans des paroles aux sens multiples. Car oui il est à noter que l'art work de l'album contient des peintures du chanteur et que l'une d'elles porte le même nom qu'une des chansons de l'album car elle en a été la source d'inspiration. Preuve de la porosité des différentes formes artistiques chez Manson et qu'il faut bel et bien juger l'artiste sur l'ensemble de ses créations et non pas que sur sa musique.


We are Chaos est extrêmement touchant. Et vraiment il aurait pu s'appeler Marilyn Manson ! Peut-être est-ce dans un sursaut pudique que l'artiste a caché son intention de se livrer derrière une universalisation son propos. Ou bien s'est-il ravisé face à un choix si riche de sens ? Appeler son onzième album par son propre nom quand on ne l'a jamais fait quand on s'appelle Marilyn Manson ce n'est pas rien. Voir ce dernier à ce moment de sa vie, comme cela ; après avoir été au sommet de sa gloire en provocant l'Amérique et en devenant son cauchemar ; après être tombé dans l'indifférence dans un désœuvrement psychologique et artistique. Alors qu'aujourd'hui personne ne semble se soucier de son personnage public et encore moins de sa personne privée ; Marilyn Manson s'ouvre enfin. Tous les êtres humains - vraiment et profondément humains - ont des idéaux, des pensées contradictoires, des consciences qui ne savent que faire de la violence et du négatif qui polluent leur espace mental. Tous ces humains trop humains se posent la question suivante parfois, le soir dans les ténèbres de la chambre à coucher que le sommeil à de plus en plus de mal à visiter : "Est-ce que je fais de ma vie quelque chose de bien ?" Et Marilyn Manson, bien que beaucoup (y compris lui-même) ont voulu nous faire croire le contraire, est peut-être l'un des êtres les plus humains qui soient. Faisant face à sa noirceur. Faisant face à la culpabilisation de la société vis-à-vis de nos défauts d'humains Il montre à tous que l'acceptation n'est peut-être pas le remède instantané aux tourments de l'âme mais bel et bien la meilleure voie faute de mieux à ce jour. Suivez le guide...


Note subsidiaire : Ma note et ma critique ne sont absolument pas objectives car je fais partie des gens qui aiment vraiment Marilyn Manson. Ces gens qui peut-être l'idéalisent mais qui voient chez lui un fil conducteur, celui d'une vie chaotique menée par un homme névrosé mais honnête et donc touchant aux yeux des autres névrosés qui voient en son art une documentation "d'un art de vivre" dans laquelle on peut s'identifier. Je ne suis pas objectif car j'aime Marilyn Manso, la personne, plus encore que son œuvre (de la même façon que j'aime quelqu'un comme Amélie Nothomb) car chacune de ses œuvres n'a jamais été aussi belle et complexe que lui-même à l'instant de sa création. C'est à nouveau le cas avec We Are Chaos. Si un Manson parvient à cet exploit, il aura alors signé son plus grand chef d’œuvre. Peut-être sommes-nous sur une bonne voie ? Sincèrement je ne pense pas qu'un jour Marilyn Manson face une œuvre plus belle que lui-même et ce qu'il représente. Il s'agit de ce genre d'artiste dont il faut embrasser la totalité de la production pour entrevoir ce qui fait sa spécificité et sa beauté. L'avenir nous le dira mais je pense que Manson est en train d'écrire une très belle histoire en plusieurs épisodes.

Petrichor_Bleu
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le 3 sept. 2020

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