Vitalogy
7.1
Vitalogy

Album de Pearl Jam (1994)

Difficile de faire mieux après les énormes réussites que furent Ten et Vs. (deux albums adulés par toute une génération) pour un jeune groupe comme l'est Pearl Jam en 1994. Vitalogy arrive à point nommé, en effet, alors que la mort du grunge sonne en même temps que celle de son représentant le plus emblématique, Kurt Cobain, Vedder et ses potes décident de rendre un dernier hommage à ce genre, indéniablement voué à disparaître. C'est sûrement la raison pour laquelle Vitalogy est l'album le plus teinté de tristesse, mais aussi l'un des plus violents de Pearl Jam.

L'heure n'est plus à la rigolade pour le groupe, la gaieté et les thèmes parfois anecdotiques présents sur Vs. notamment laissent place à une orientation bien plus sombre et désespérée. "Last Exit", que certains verront comme un hommage à Cobain, instaure d'entrée de jeu cette atmosphère. Les mélodies se veulent beaucoup plus déstructurées, la batterie, assurée comme sur l'album précédent par Dave Abbruzzese et la voix de Vedder se complètent parfaitement, déchaînant toute la rage du groupe.

La voix justement a changé, comme un cri de rage, jamais le groupe n'a fait aussi peu de concessions que sur cet album. Sur "Spin the Black Circle" emmenée par un riff tout ce qu'il y a de plus simple mais d'une efficacité ravageuse, Eddie clame son amour pour les vinyles. Dans le même registre, "Whipping" ne fait pas dans la dentelle et donne envie de taper du pied, tandis que "Not For You" laisse libre cours à l'expressivité des guitaristes dans une montée à couper le souffle, toujours avec cette atmosphère étouffante, alors que cette voix transcendante joue sur les nuances et touche toujours dans le mille. "Corduroy", une des plus belle réussite de Vitalogy, sur la base d'un riff où la tension est palpable, termine en beauté, dans un déluge de guitares au sein duquel on a du mal à se retrouver. Intense.

L'autre nouveauté du groupe sur cet album est l'expérimentation. Dans un semblant déstructuré, des chansons comme "Pry To", "Bugs" (où l'accordéon fait une étonnante apparition), "Aye Davanita" ou encore le génial "Hey Foxymophandle Mama That's Me", appuient le volonté de Pearl Jam à ne jamais faire dans le commercial facile, comme certains auraient pu le croire au vu du succès des 2 précédents efforts du groupe. Par ailleurs, la lassitude et les angoisses de Vedder quant à la célébrité sont les questions récurrentes de Vitalogy. Certes il est contradictoire de critiquer un système dont on fait partie mais la mort de Cobain, incontestablement liée au succès de Nirvana, amène Pearl Jam à réfléchir aux préjudices d'un succès dont il ne veut pas être piégé. C'est pourquoi le groupe décide de rendre son style moins facile d'accès sur cet album mais propose surtout, dans le même temps, une critique de l'industrie musicale et de son souhait de s'accaparer la jeunesse (comme sur "Not For You"). En outre, une vraie réflexion sur les angoisses apportées par la célébrité ("Corduroy", "Bugs") semble indispensable au groupe dans cette période de doute. Vedder ne veut surtout pas être déifié et préfère l'humilité au statut de prophète ou que sais-je encore.

Enfin, comment pourrait on occulter les ballades acoustiques de Vitalogy, parmi les plus belles que Pearl Jam nous ait livré. "Nothingman" a du tirer les larmes à plus d'un et démontre encore une fois, si besoin était, le talent sans pareil d'Eddie pour le songwriting. "Better Man", même si elle semble plus joyeuse , aborde un thème cher au chanteur. Il s'agit en effet d'une des premières chansons que Vedder ait écrites alors qu'il ne faisait pas encore partie de Pearl Jam et dans laquelle il se demande pourquoi sa mère n'a pas pu trouver de meilleur homme que son beau père (qu'il croyait d'ailleurs être son père biologique jusqu'à la fin de son adolescence). Magnifique chanson en deux temps, "Better Man" fait maintenant partie des classiques du groupe. Que dire alors de "Immortality" , la plus belle, la plus émouvante des chansons de Vitalogy, peut-être même la meilleure chanson du groupe. Ici, le parallèle entre les paroles et le suicide de Cobain est troublant.

Ce troisième album de la bande de Seattle laisse présager une belle carrière à un groupe affublé dès ses débuts du statut de légende. Moins grandiloquent que Ten, plus dépressif que Vs., Vitalogy prend aux tripes et ne vous lâche pas une seule seconde.
TheRedOne
9
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Créée

le 10 juil. 2012

Modifiée

le 20 juil. 2012

Critique lue 828 fois

9 j'aime

TheRedOne

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