Après Modest Mouse, c’est au tour de Built To Spill de sortir son nouvel album en 2015, six ans après le fantastique There Is No Enemy. A croire que ces deux groupes font tout pour être liés à jamais dans mon esprit : avoir droit à une double dose de mes groupes préférés après tout ce temps d'attente c'est presque trop, c'est limite l'overdose ! Si le premier abord de Strangers To Ourselves se fait plutôt direct et frontal, la découverte de Untethered Moon est moins évidente. Il faudra sans doute laisser plus de temps à cet album pour faire son effet et mesurer sa portée et sa place dans la discographie de Built To Spill.


La première chose qui frappe, toutefois, est l'énergie déployée dès l'introduction All Our Songs qui semble renouer avec une puissance et une âpreté que le groupe avait abandonnées depuis You In Reverse. La batterie cogne, et les guitares rugissent avec une distorsion prononcée, tellement loin des atmosphères éthérées et planantes du précédent disque. Cela surprend, on sent que le groupe souhaite renouer avec un rock plus puissant, plus musclé, même si cela doit se faire au détriment d'une production moins léchée.


Enfin, malgré l'aspect brut de décoffrage, la distorsion des guitares est un effet que Built To Spill maîtrise à la perfection, et ce qui semble à la limite du crade est suffisamment tranchant pour donner du souffle aux compositions. All Our Songs est ainsi un fantastique morceau qui allie justement l'énergie foutraque du groupe et l'urgence mélodique qui finissent par fusionner pour livrer un final terriblement accrocheur, le genre de final qui semble décoller et transcender la chanson dans son ensemble sans avoir l'air d'appuyer franchement sur l'accélérateur.


J'aime beaucoup ce genre de morceaux, où la mélodie de base ne paraît pas forcément très inspirée mais finit malgré tout par nous conquérir grâce à l'énergie que le groupe arrive à y insuffler. Malheureusement, je trouve que All Our Songs symbolise tout à la fois les forces et les faiblesses de l'album. Dans l'ensemble, Built To Spill a du mal à renouer avec les mélodies fascinantes, à la fois lumineuses et puissantes, qu'il a pu composer par le passé. Sans l'énergie et la foi que le groupe est encore capable de mettre dans ses chansons, les mélodies paraissent telles qu'elle sont : plutôt convenues, et surtout sans cette touche de merveilleux et de sublime qui caractérise le groupe.


Untethered Moon a un peu de mal à décoller et à révéler ses bons moments. A part All Our Songs, il n'y a pas vraiment de pic d'émotion, de passage intense, vraiment marquant. Cela me fait mal de le dire mais l'album manque franchement de personnalité. There Is No Enemy était peut-être mou pour certains, mais c'était un disque incroyablement beau, bourré de personnalité, doté d'une vision et d'une ambition mélodique sans commune mesure, tout ce qui faisait de lui une œuvre magnifique et attachante au possible. Ce n'est pas le cas de Untethered Moon qui reste une simple collection de chansons écoutables mais qui manquent indéniablement de cohérence et de densité.


Par exemple, les promesses de l'introduction ne sont pas vraiment respectées. Avec les chansons qui suivent on ne sait finalement jamais si le groupe a vraiment souhaité renouer avec le rock d'antan ou continuer malgré tout à exploiter l'héritage mélodique du précédent album. Un peu des deux, mais sans vraiment trancher, et surtout sans vraiment arriver à fusionner les genres, ou alors trop rarement. La plupart des titres est assez calme, mais la production n'est pas assez riche et trop dépouillée pour atteindre l'ambiance onirique de There Is No Enemy.


Le final When I'm Blind est assez révélateur du manque d'inspiration artistique de Untethered Moon, puisque le groupe se contente de nous refourguer un énième long morceau, composé en grande partie d'un pont en forme de jam bruitiste. Je pardonne beaucoup à Built To Spill, mais je n'ai pas peur de dire que When I'm Blind n'a aucune utilité dans le répertoire du groupe. C'est peut-être aussi pour cela que l'album me paraît si court alors qu'il ne l'est pas tant que ça (45 minutes), When I'm Blind prend trop de place pour pas grand chose. On est à mille lieues de Tomorrow sur There Is No Enemy, plus grand final et un des meilleurs (si ce n'est le meilleur) que Built To Spill ait jamais composé !


Mais oui, je pardonne beaucoup à Built To Spill, et au fond j'aime bien Untethered Moon, je ne pourrais jamais en dire franchement du mal. Comme je le disais au début, cet album continuera à grandir avec le temps... ou pas, mais un peu de recul sera nécessaire pour mieux le juger. Si je fonde quelques espoirs là-dessus (sans pour autant me voiler la face), c'est parce que j'aime tout de même beaucoup les quatre premiers morceaux qui proposent beaucoup plus de choses que la première écoute le laisse paraître.


Avec son introduction démentielle, Living Zoo aurait pu être une véritable tuerie, digne de figurer parmi les meilleurs titres de Built To Spill, mais de manière inexplicable le groupe décide d'en faire autre chose et de laisser tomber son riff de début jubilatoire. Il m'a fallu dépasser cette frustration pour commencer à apprécier le morceau, et ses multiples découpages qui ne sont pas aussi spectaculaires que par le passé (rien n'égalera jamais Keep It Like A Secret) mais qui se défendent bien.


On The Way et Same Other Song sont plus classiques, mais ce sont sans doute ces morceaux qui contiennent les meilleurs mélodies de l'album, ce qui explique le fait que je les apprécie autant. Same Other Song est carrément une excellente chanson, l'ambiance et le lyrisme soutenus par une production cette fois-ci très puissante, très dense, mais avec un rythme assez lent me rappelle le magnétisme de certaines chansons de There Is No Enemy. Je l'apprécie sans savoir si c'est une bonne chose pour l'album, puisque comme je le disais c'est le genre de titre qui brouille les pistes sur la direction artistique voulue par le groupe. Enfin si ce dernier s'était déjà contenté de livrer des chansons de qualité comme All Our Songs et Same Other Song, quel que soit le genre, j'aurais trouvé moins de choses à redire.


Pour l'instant, les autres morceaux de l'album n'ont toujours pas réussi à me marquer (sauf peut-être Another Day), et je crains qu'ils n'aient tout simplement pas assez de particularités à faire valoir, qu'ils ne soient que des morceaux tout venant de la part de Built To Spill qui ne nous avait pas habitués à autant de facilité (je ne comprends toujours pas le fade out de Horizon to Cliff, on a l'impression d'écouter un extrait sur Amazon, cela me surprend à chaque fois). Seul le temps pourra révéler la véritable valeur de Untethered Moon, même si je pense que la vérité se situe quelque part au milieu : ce n'est certes pas une déception totale, mais le groupe livre sans doute ici le moins bon album de sa carrière (et vu la qualité de sa discographie, cela reste tout à fait honorable).

benton
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le 13 sept. 2016

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