Tug of War
6.8
Tug of War

Album de Paul McCartney (1982)

Je n’irai pas par quatre chemins : pour moi, Tug of war, c’est l’album où figure un bref morceau, furtif et emprunté, qui n’a rien de particulier ni de remarquable à aucun égard malgré les efforts de George Martin pour l’habiller : Here Today. Je survole le reste, et j’y reviens toujours. C’est injuste, mais c’est comme ça. Survolons donc pour commencer.


Après McCartney II, la parenthèse qui ne pouvait qu’en être une, si récréative et jouissive eût-elle été, se referme et Paul est toujours à la recherche d’une nouvelle orientation. On ne peut pas dire que Tug of war soit concluant à cet égard, mais faute de direction claire, Paul s’est entouré de pointures (Stevie Wonder, Stanley Clarke, Carl Perkins, Ringo Starr et surtout George Martin), et l’album possède en conséquence une musicalité certaine et une certaine unité.


Dress me up as a robber enchante par son swing léger, punchy et gracieux, mais pas autant que The pound is sinking, une succulente britisherie avé l’assan liverpoolien réminiscente du Scaffold du frangin Mike. Tonton Albert a son grand moment avec Wanderlust, et l’Amiral Halsey le bouscule méchamment dans Ballroom Dancing. Toutefois, et sans vouloir minimiser l’apport des autres et notamment celui de Stevie Wonder, la guest star du moment, autrement soulful que Michael Jackson dans Pipes of peace (question de goût ? oh please….), ce n’est nul autre que ce bon vieux Tonton George qui a porté Tug of war à bout de bras et en a fait l’album solaire et swinguant qu’il est pour l’essentiel. C’est bien grâce à ces orchestrations amples et subtiles, à ce son rentre-dedans et incisif, que l’Esprit est bien là et que Tug of war échappe en beauté à la vulgarité des ‘80’s. Je n’en veux pour preuve que Somebody who cares et Take it away : vous enlevez la production de Magic George, vous obtenez deux morceaux de Wings (et, dans le cas de Take it away, pas un de leurs meilleurs…).


Et nous voici arrivés ici, aujourd’hui.


Entre deux uppers particulièrement enlevés (What's That You're Doing et Ballroom dancing), l’hommage post-8 décembre de Paul à John frappe par son absence d’éclat, sa modestie pudique et, disons le mot, malhabile : Paul y cherche ses mots et sa musique plus qu’il ne les trouve. Un peu comme lorsque, sommé par la presse dès le 9 de dire « ce qu’il en pensait », il bafouilla « It’s a drag » (« ça craint »).


« Je pleurais quasiment quand j’ai écrit Here Today. C’est une sorte de dialogue avec John. Même quand il me cassait, je sentais qu’il ne le pensait pas vraiment, je voyais pourquoi il le faisait. Il devait solder les comptes et se démarquer, et moi aussi. Dans la chanson, John est censé m’entendre lui dire ça et me répondre : « Oh, va chier ! Tu ne me connais pas du tout. On n’a plus rien à voir ensemble. Tu me connaissais dans le temps, mais j’ai changé. » Mais moi j’estime que je le connaissais toujours. Alors j’essaie de lui répondre dans la chanson, tout en étant conscient que ça ne sert à rien puisqu’il n’est plus là, même si je n’arrive pas à le croire, encore aujourd’hui. Le « Je t’aime » a été dur à sortir. Une partie de moi disait : « Attends une minute, tu vas vraiment faire ça ? ». Et finalement j’ai dit : « Ouais, il le faut. C’est vrai. » (extrait de The Beatles: Off The Record 2)


Mais, plus encore que par celle des paroles, je suis ému par l’impuissance de la musique, tant elle trahit en creux, par son humilité, une admiration encore plus difficile à avouer que l’amour pour l’ombre écrasante de « Brother John », comme il l’appelle dans Let ‘em in.


Rien de tel dans All those years ago, l’hommage de George Harrison, tout aussi personnel et mille fois plus juste à tous égards (oui, ce qui convient c’est un tempo joyeux, ce qu’il faut dire de John c’est « You said it all though not many had ears » ce qu’il faut dire à John c’est « I always looked up to you », ce qu’il a envie d’entendre c’est « I'm shouting all about love / While they treated you like a dog »). Pourtant, l’échec plein de larmes de Paul et le dialogue de sourds qu’il met en scène sur une musique bien trop quelconque pour lui me touchent encore davantage que la joie résurrectrice, l’habileté involontaire et la flagornerie ingénue de George. C’est injuste, mais c’est comme ça.


Saviez-vous que Tug of war signifiait « Pomme de discorde » ? Je ne crois pas avoir trahi l’esprit profond de l’album en ayant accordé la part du lion à la tentative de concorde timide et pleine de tristesse qui se cache derrière tout ce swing, tout ce soleil, tout ce funk, tout ce prestige et toute cette virtuosité.


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Cette chronique fait partie de la rétrospective consacrée à l'oeuvre de Paul que j'ai entreprise :
https://www.senscritique.com/liste/Revisiting_Paul_Mc_Cartney_before_the_end_of_the_end/2221531

OrangeApple
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le 20 mars 2019

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