Tormato
6.3
Tormato

Album de Yes (1978)

Allons, soyons honnêtes, la critique musicale sert principalement à écrire, en tout cas elle me sert à écrire et à déconner, peu importe le sujet. D'ailleurs aujourd'hui, tout le monde se fout de cet album, n'est-ce pas ? Et ils ont bien raison.

Mais bon... je m'étais décidé à écrire sur chaque album de Yes, et en commençant par les albums les plus sujets à caution (et celui-ci en est un) j' avais plus de marge de manœuvre pour la déconnade qu'en commençant par les classiques, devenus pièces religieuses quasiment inattaquables aujourd'hui (si tu n'aimes pas l'album "Close to the edge" par exemple, tu es forcément con, ou t'es aux Inrocks, ou t'es sourd de naissance, non ?)

Or depuis longtemps, Tormato m'apparaissait comme un album insupportable. Principalement dû au fait que la qualité de son de cet album était médiocre, et que les arrangements étaient hautement bordéliques.

Veuillez appuyer sur le bouton Dolby A

La version Remaster avait pu corriger un peu cela, comme par exemple en appuyant sur la touche "Dolby A", comme raconte très bien Brian Kehew lorsqu’il travailla sur les archives de cet album : "ils avaient simplement oublié d'appuyer sur Dolby !" Mais on se calme, car cela ne changeait en rien les parties clavier désastreuses de Rick Wakeman(ça y est, le nom est laché, oh purée j'suis chaud !)

Tormato... faut avouer qu'avec un titre pareil, c'était pas gagné.

Tormato est mal foutu, ça c'est certain, et pourtant ne te/me méprends pas : Yes a toujours la fougue, il est encore dans son présent, avec de magnifiques thèmes, des parties mélodiques et rythmiques étonnantes.

Le groupe navigue néanmoins sans producteur, après l'abandon de Eddy Offord (je suis en train de chercher pourquoi, mais en lisant entre les lignes, Eddy aurait pris trop de drogues et semblerait ne plus supporter la musique de Yes...enfin tu observeras l'emploi du conditionnel... ) et le choix du groupe de se produire lui-même entrava gravement la qualité générale de l'album. Pourtant, c'est ce qu'ils firent déjà en 1976, alors que s'est-il passé ?

La volonté de Jon Anderson au départ était d'enregistrer en Suisse, comme pour l'album précédent, "Going for the one". Or Squire et Howe voulaient rester peinard en pleine ville, à Londres, dans la pollution et les poubelles débordantes du quartier, plutôt que de se retrouver encore dans les montagnes Suisse, à boire des vins chauds et se taper des raclettes autour d'un lac. C'est donc dans deux studios Londonien que se déroulèrent les sessions. Ils étaient partis avec les meilleurs intentions, entouré du producteur désormais historique de Yes, Eddie Offord, monsieur Close to the edge. Mais pour une raison encore non élucidée, il se barra. Le groupe se retrouva donc seul, et décida de produire et d'enregistrer ainsi lui-même cet album au nom obscur : mauvaise décision ! Ce ne fut que le début d'une séries d'ennuis qui, après des années à tourner ensemble, à se côtoyer en permanence, eurent raison de la survie du groupe.

Les temps avaient changé, chaque membre du groupe avait changé, plus personne ne se supportait, et finalement, plus personne ne s'écoutait

Une auto-production sans garde fou et le cas Wakeman

La magie n'opéra pas comme dans le miraculeux "Awaken", cet album manqua de direction musicale, s'avéra brouillon. Tout le monde jouait en même temps !

C'est flagrant à entendre entre les parties de Howe et Wakeman, et aussi la basse de Chris Squire, non exempt de soloïte aiguë...
Chris raconte qu'on avait enregistré les accords joués par Anderson, un peu comme un conducteur, pour accompagner la chanson. Ces parties de guitares étaient enlevées au mixage final, mais cela s'avéra dommageable car quand Chapi tombe à l'eau, que reste-t-il ? Et bien les parties décousues des guitares et des synthés. Plus rien ne tenait.

De plus, le jeu de Wakeman fut systématique, et plus grave encore, ses sons de synthé furent horribles et ne s'harmonisaient pas avec l'ensemble. La faute au Birotron alors, le nouveau synthé dans lequel il s'était investi ? Hummm....d'ailleurs, Wakeman reconnut un an plus tard, en 1979 donc, qu' "il n'était pas "satisfait" de ses parties (excusez du peu), qu'il les trouvait à 60 % bonnes, 40 % mauvaises". C'est marrant moi j'aurais plutôt dit 80 % mauvaises, 10 % bonnes et le reste... à définir...

Le monde avait changé

Je crois que tout simplement cet album reflète un état psychologique général du groupe, dans ses relations internes, plus personne ne s'écoutait donc, et dans leur rapport externe : vois-tu, cela crée du stress et des incertitudes d'être désormais appelé "Dinosaure", t'avoueras...(seulement 6 ans après Close to the edge)

... une période d'obscurantisme s'était abattue sur le rock au milieu des années 70, et nivela tout vers le bas, à coup de bière, de nihilisme, de piercing, de pisse et de vomi : la génération punk venait de naître (et de mourir), et le monde avait changé : c'était le cycle de la vie, que veux-tu....

Je reste quand même surpris que la Maison de disque n'ait pas renvoyé le groupe à leur copie, ou qu'elle n'ait pas imposé un producteur extérieur, pour leur plus grand bien. Il faut croire que les Labels n'écoute plus les disques, et qu'à partir du moment où ils ont un tube (ici "Don't kill the whale"), le reste, ils s'en foutent.

Téléportation en 1978 : une expérience extraordinaire

Ecoute, j'ai plusieurs suppositions à te soumettre. Vois-tu, je vais tenter une expérience jamais réalisée jusqu'ici. Nous allons nous téléporter en 1978, et nous allons ensemble refaire cet album. Et j’opérerais sous le nom de...euh...Captain San'sibeul

Allez, c'est parti : d'abord trier les titres bons, ceux à fort potentiel à corriger, puis on ira piocher dans les démos (mince 8 titres (!) en plus et une face-B genre musique pour dessin-animé sympa, mais...sympa quoi...)
L'idée de départ est que beaucoup de parties synthé sont à refaire, ou à supprimer, parfois certaines parties guitares et qu'il faut revoir certaines structures musicales, viser plus de cohérence.

Mais mon idée est de revoir complètement la direction musicale de cet album à l'aide des démos. Car les démos nous offrent un autre angle, plus posé, en opposition à ce monde en folie : une direction que n'a alors jamais tenté le groupe... des titres qui respirent, et surtout Yes qui prend tout le monde à contre-pied...

  • Jon : "Yeah, it sounds great !"
  • Captain San'sibeul : "La ferme Jon. Bon maintenant vous m'écoutez"
  • Rick : "ah ah ah aha aha !"
  • CS : "Bon Rick fais pas le malin, parce que cette bouillie, t'es en partie responsable. Dis, ils ont changé tes pilules ou quoi ? Alors voici les titres qu'on garde tels quels : ce sera Madrigal, Don't kill the whale et Onward. 3 titres bons sur 8, vous vous foutez de qui ? Big Generator a un même ratio, mais c'est 3 titres mauvais sur 8 bordel !!
  • Chris : "Big generator ?"
  • CS : "Merde jouez pas aux malins avec moi ! Tout ça va finir dans un album des Buggles, vous l'aurez cherché !"
    "Autrement on garde aussi "Release, release", "On the silent wings of freedom", "Future times / Rejoice" et "Circus of heaven", mais il va y avoir de la coupe, je ne le vous cache pas !

"Bon Release, release: superbe introduction rythmique en contrepoint : remarquable, j'ai ça en tête depuis 20 ans - oui, t'occupe- oui, 20 ans que je connais, c'est mon droit, non ? Le couplet parfait, même si le pont me rappelle par moment "La salsa du démon", mais bon passons, on a assez de travail comme ça. Le retour sur cette séquence rythmique est démentielle, avec du chant dessus : parfait. Le refrain ok, mais le solo de synthé à partir de 2'20 est de trop. La seconde partie avec le public est géniale, et le final renversant, mais encore une fois, virez-les solos de Rick. C'est n'importe quoi, en pleine roue libre le gars....

On the silent wings of freedom, très beau titre au passage. Intro ok, on est dans le suspens, mais c'est un peu long, ça sent trop l'impro à 2 grammes tout ça, pour arriver à ce qui m'intéresse à 2'00-2'21, ce magnifique thème. Bon Chris, vous me revoyez ça. Purée non, il faut pas 2 minutes pour arriver à ce putain de thème !! Lorsque le chant arrive, j'y suis, je me fais dessus tellement c'est bon, tout est en place, les réponses synthé / guitare, la rythmique en place, l'émotion. C'est du bonheur jusqu'à 3'21, après qu'est-ce qui se passe, c'est open bar ? C'est quoi cette harmonisation, il n'y a plus rien qui tient ! Et la langue ici, c'est du Coréen ou quoi ? Chouette retour au couplet, par contre les synthés à partir de 4'05 c'est quoi, t'y vas au pif ? T'écoutais un autre morceau au même moment ? A 4'26, de mieux en mieux, on se lance dans des tra lala lala que je pressens être un foutage de gueule. Par contre l'interlude qui nous mène à 5'23 à cette modulation en mode mineur avec la cloche, est juste magnifique, qui nous ramène au couplet du début, par contre, les synthés solos à 6'17 sont désastreux - que dieu ait pitié de nous pauvres pêcheur d'eau douce - Clairement cette fin est impossible, à raccourcir. Hé Rick ! C'est franchement n'importe quoi la fin de "Silent wings" : l'improvisation, c'est dans ta salle de bain si tu veux, mais ici, attends, c'est toi qui joue sur "Awaken" ? Mais c'était géni...mince, j'ai envie de pleurer, là c'est du sabotage.."
- Rick : "Mais j'ai toujours joué comme ça..."
- CS : " Mais tu comprends pas que le monde a changé, que si tu veux survivre, va falloir écouter Plastic Bertrand (tube interplanétaire en 1978), car je sens que ça risque aussi de planer pour toi dans pas longtemps !"

Et enfin Circus of heaven, que j'étais à deux doigts trois phalanges d' exclure de l'album. J'adore l'ouverture, c'est planant, c'est plastic on est dans le ton ! Puis vient cette rythmique reggae en filigrane , si t'es musicien, tu l'entends avec l'afterbeat de la grosse caisse, tu suis !!? Puis solo de clavier absolument free lance et bordélique à 2'17, mais tu vois, là, Rick, dans "Circus", t'es dans l'ton. Puis vient la grâce à 2'25 : j'en ai la chair de poule, et cette troisième partie comme un rêve, une rêverie, et tout ce cirque final, on coupera le synthé à la fin.

"Maintenant voyons les démos :
Picasso est aérien, façon western, magnifique. Some are born est un super titre de Jon, un tube en puissance. You can be saved de Chris et Jon, est renversant d'émotion. High contient les germes d'un grand hymne, avec quand même des paroles hippies "you're high on tuesday, you're high on wednesday", descends un peu Jon ! Days est un vocal folklorique excellent, peut-être à compléter avec une guitare acoustique... Countryside après son intro dramatique, révèle un morceau léger au rythme latin, un autre tube en puissance. Puis enfin ce trésor, la version orchestrée de Onward.
"Par contre "Everybody's song", je l'ai déjà entendu dans un album des Buggles qui s'appelle Drama, donc on laisse...
- Bien sûr, toutes les démos devront être retravaillées
L'album va s'appeler Onward car c'est le point d'accroche de l'album, en ouverture avec sa version instrumentale, puis plus tard vers la fin, la chanson de Chris - ne rigole pas Rick, sinon tu vas encore te plaindre que cet album a été pour toi un "Onion", c'est malin au passage d'avoir dit ça, je rame toujours pour faire reconnaître "Union" - laisse tomber, je sais que tu comprends pas."

"Donc voici la nouvelle set-liste :

  • Onward (instrumental) : en ouverture, ça donne le ton, c'est comme si on entrait dans une musique de film, tout le monde va chialer, c'est parfait !
  • Madrigal, on est encore dans le rêve, un classique baroque guitare / clavecin qui me rappelle "Turn of the century". Merveilleux
  • Don't kill the whale, voilà, c'est pas trop violent, le tube arrive
  • You can be saved, grand moment d'émotion
  • Release, release, avec sa rythmique démente, retravaillée
  • Coutryside, super titre léger
  • Some are born, magnifique tube de Jon à améliorer
  • Picasso, merveilleuse délicatesse
  • Future times / Rejoice, dynamique, moins les parties synthés solo
  • High, future hymne moderne, avec ça vous avez un billet pour les 80's
  • Days, petit interlude vocal
  • On the silent wings of freedom, plus ramassé, concentré vers l'émotion
  • Onward, la chanson de Chris, grand moment d'émotion, ça veut dire quoi au fait onward ?
  • Circus of heaven, réarrangée, avec suppression de certaines parties solos de synthés", et sa fin qui s'évapore...

"Voilà, cela nous fait 59 minutes et 29 secondes, mais avec le ramassage de certains titres, on peut tirer vers 58 mn. Quoi Steve? Cela ne rentre pas dans un LP ? Vois-tu, Dylan en 1976 avec "Desire" a réussi à mettre 30 minutes par face. Sinon t'as toujours le cd.
Quoi tu connais pas le cd ?"

Les remasters, une aubaine

...Ainsi, le Remaster et Expanded, avec ses 17 titres tout de même, nous gratifie de démos parfois supérieures aux titres finalement retenus et développés sur cet album. A toi donc de faire ta soupe, avec le numérique, tout est possible. Et pourquoi pas refaire complètement cet album, hein... mais ça c'est une autre histoire.
Rappelle-toi seulement que Tormato (Onward) contient encore beaucoup de vitalité, des morceaux de bravoure, malgré tous ses défauts, et c'est justement ce qui le rend attachant.
Et il fut malgré tout un succès commercial...étonnant, non ?

A lire, recueil d'anciennes critiques et d'articles sur Yes, recueillis par NSDS (Nous Sommes Du Soleil) secte fanatique dévouée à Yes, et on y trouve deux critiques complètement lèche-cul de Best et Rock&Folk à propos de Tormato. Navrant et rigolo. Tiens, maintenant je comprends pourquoi des gens ont commencé à cracher sur cet "etablishment"...

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le 23 oct. 2022

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