Le rythm'n blues était bien sûr déjà l'influence principale des Dexys midnight runners première mouture, celle avec uniquement (!) la section cuivre en plus du combo rock/folk.
Dexys : la dexedrine, ou dextroamphétamine, était d'ailleurs une drogue de mods, l'un de leurs stimulants préférés. Musique de mods ? Les Dexys du premier album, avec une version originale et vitaminée d'une des musiques favorite des mods, la Northern soul, trouvaient un style très particulier par une approche post punk, peut être sur la trace d'une partie de London Calling, donc une interprétation ou un toucher nerveux, tendus par une forme d'urgence. Mais cet album ci apporte de grosses différences.

Ici, en parallèle à nouveau look collectif vraiment très loin de toute classe mods, une majorité du groupe a été renouvelée : beaucoup sont partis, usés par le comportement tyrannique de Kevin Rowland, et ce dernier a trouvé de nouveaux complices, en ajoutant aux cuivres une section cordes et un accordéon. On abouti donc à une hybridation avec la musique celtique (Kevin Rowland est Irlandais de Birmingham) mais c'est toujours principalement de la soul. Guitares, cuivres et cordes jouent remarquablement bien sur ce disque, et plus que le songwriting, c'est l'interprétation qui m'amène à l'honorer d'une telle note. Les compos sont vraiment belles, mais c'est surtout la forme, la mise en place du groupe, son dynamisme et son jeu, qui sont des merveilles. Cette musique met l'émotion en avant, d'une façon qui nous fait en réalité entendre l'influence du gospel.
Il d'ailleurs marrant que l'on soit en 1982, la date où U2 va imposer une forme de «rock héroïque» avec un engagement quasi mystique dans certains morceaux, une façon d'arriver à restituer en studio la fièvre des concerts, pas très éloignée de l'esprit qui règne ici. Mais on arrive avec tous les timbres présents dans les Dexys, avec l'influence si forte de la musique Noire, à une magie et une alchimie nettement plus puissantes selon moi qu'avec U2, un autre point commun avec les Dexys étant de transformer la moitié de leurs chansons en hymnes, lors du live. Plus qu'un groupe, nous avons ici un orchestre, mené de main de maître. Le son ne peut se démoder, contrairement au look "tramp" salopettes moches, ou alors le look cherche déjà à exprimer cette intemporalité : en 1982 alors qu'arrive la sophistication "glam" des néo romantiques, ici c'est aucun maquillage et look de clodo presque plus beatnik que Hippie, donc look démodé. Cette façon est-elle déjà un jemenfoutisme face aux années 80 ? On est ici dans un projet presque 100% acoustique, très bien enregistré.

Allez voir les diverses tentatives sur internet, en écrivant Come on Eileen + cover : personne n'arrive à reprendre correctement ce style de musique, cette niche si précise et hybride, et pas seulement à cause de la voix de Kevin.
Parlons en, de la voix de Kevin Rowland : ce timbre débarque d'on ne sais où, il a écouté plein de chanteurs noirs, et Van Morrison, mais rien n'explique ce timbre. Dans les années 80, j'aimais beaucoup celui de Kent, le Lyonnais des Starshooter, c'est le seul timbre qui pour moi se rapproche un peu de celui de Kevin, il possède cette force «amicale» complètement dingue et irrésistible, a friendly voice, alors que c'est une voix un peu pincée, sous et à l'arrière du nez, forts résonateurs dans les fosses nasales. Il a certainement écouté, enfant ou plus tard, de nombreux chanteurs de jazz et de comédies musicales. Et cette urgence, ce quasi chantage à l'émotion, qui avec tout autre chanteur nous semblerait au bord de la pleurniche, fonctionne si bien avec lui. Pourtant, techniquement, entre la chaleur de ses graves et la beauté de ses aigus, il est loin d'avoir la voix de Curtis Mayfield (ok je mets la barre très haut). Mais tous ses défauts lui vont si bien... il y a une joie, un vitalisme dans cette voix, qui sauve tout. Cet homme met dans son chant une naïveté très poignante, de douce et folle passion : il y a du Chaplin chez Kevin Rowland, dans les choix d'émotions données, une dialectique de la mélancolie heureuse.
La face A est quasi parfaite, comment délimiter si l'on se trouve sur un des titres les plus énergiques ou un des plus mélancoliques? La face B est à mon avis nettement moins bonne, en songwriting et orchestration, chœurs mis à part, puis on est cueilli soudain par une superbe balade soul, Until I believe in my soul, très théâtrale, où le silence est très bien utilisé, enfin Come on Eileen vient clore l'album sur un sommet, excusez du peu.
Les traces de live que l'on trouve, de la tournée de cet album, sont comme ce disque une majorité du temps des tueries, et montrent un groupe radicalement généreux, après un boulot de répétition dingue, y compris afin que l'effort ne s'entende pas, que cette musique semble spontanée. Un feu : les formations successives des Dexys, se consument à nos oreilles, ou sous nos regards.

RémiBienvenu
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le 11 déc. 2023

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Rémi Bienvenu

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