Depuis leur victoire aux Grammy Awards il y a maintenant 3 ans, Macklemore et Ryan Lewis sont entrés dans une nouvelle dimension. Après quelques frasques personnelles du leader du duo, les voilà présentant This Unruly Mess I’ve Made, deuxième album studio censé les propulser à l’étage encore supérieur. A moins que la salle ne soit bas de plafond.


Quoiqu’ils fassent, quoiqu’ils produisent, quoiqu’ils tentent, Ryan Lewis et Macklemore ne feront jamais l’unanimité. Souvent pointés du doigt comme des petits parvenus de Seattle, comme des opportunistes capitalisant sur une fanbase aseptisée, quelque part entre les hipsters et la cible blanche pop, beaucoup n’auront pas digéré leur victoire sur Kendrick Lamar en 2013. Non pas qu’elle ne soit pas méritée. Non pas qu’ils ne soient pas un groupe de rap, comme le proclament idiotement leurs plus sévères détracteurs. En réalité, ce qui dérange réside dans l’image associée au mot « rap ». Gagner le Grammy du meilleur artiste et être associé au Hip Hop, pour la première fois qui plus est, n’est pas une mince affaire.


L’académie aura donc préféré représenter le monde urbain par celui qui a remis au goût du jour les friperies et les mèches blondes plutôt que par celui qui a dépeint par le biais de Compton non seulement une situation sociale, mais aussi par son recul, une situation sociétale. Pour les fans, pour les adorateurs, voilà que l’auteur de ces lignes fait encore un blocage médiatique qui n’a rien d’artistiquement justifiable. Cela aurait pu être vrai. Sauf que la fixette sur l’ego et la « starlettisation » de Macklemore est le principal artisanat… de Macklemore lui même.


3 ans se sont écoulés depuis cette satané nuit des Grammy. Pourtant, comme si c’était hier, c’est par là que Ryan Lewis et Macklemore débutent leur périple. Libérés de leur obscurantisme pre-médiatique, cette récompense est celle de la lumière au bout du tunnel – littéralement, avec « Light Tunnels ». Tour à tour, Macklemore semble remercier ses fans, faire preuve de fausse modestie en acceptant un titre qu’il n’aurait jamais du avoir. Le seul dérivé de ce qui aurait pu être un message de remerciement tardif et musical est une feinte de critique, en troisième vers, envers les récompenses « comme une grande émission de télé-réalité scriptée ». Bel éclair de lucidité, Ben.


L’individualisme a toujours été au centre de l’univers de Macklemore. Pour le meilleur, et pour le pire. Heureusement, il en est conscient et en joue. Toujours accompagné de son acolyte Ryan Lewis, ensemble depuis quasiment dix ans, l’auteur consacré chez le grand public avec « Thrift Shop » sait pertinemment qu’il lui faut jouer sur les codes de l’hipsterisme et du kitsch. Voilà pourquoi « Downtown » vient rapidement rassurer ceux qui ont dépensé leur fric sur iTunes. Après les friperies, le duo s’attaque… au mobylettes. Pourquoi pas. Comme toujours, on ne peut qu’être ébahi par l’attention à l’atmosphère et aux détails des 80’s de Ryan Lewis dans la production. Macklemore, lui, (dé)roule façon MC Hammer et s’entoure de grands noms pour légitimer sa cause – ici, Grandmaster Caz.


Hipsterisme de classe moyenne


A lire froidement la tracklist, les invités présents sur This Unruly Mess I’ve Made envoient un sacré paquet de rêves. KRS-One, DJ Premier, Chance The Rapper, Anderson Paak et même… Idris Elba. Sympathique. Sauf qu’à l’instar d’une équipe entraînée par Sven-Gorän Eriksson, les talents sont extrêmement mal gérés. Les MC, de KRS-One à Anderson Paak, sont passés par dessus la jambe, condamnés à quelques refrains ou un couplet de consolation. L’influence DJ Premier est minime sur « Buckshot ». Seul Chance The Rapper dévore encore une fois le micro sur « Need To Know », après avoir déjà bien mangé du Kanye sur The Life Of Pablo. L’anti-Future.


Évidemment, après une grande cure de désintoxication, Macklemore s’attaque de plein fouet aux drogues. De « Kevin », écrit pour un ami ayant succombé à une overdose à « St Ides » s’attaquant à l’alcoolisme en passant par « Need To Know », on retrouve à chaque fois l’écriture volante et plaisante, en toute bonne foi, de Macklemore. Dommage que le thème soit traité, comme souvent, par le prisme unique du nombrilisme de son créateur. Difficile d’échapper une quelconque leçon morale ou générale de ce cas particulier qui finit, à la longue, par agacer. D’autant plus lorsque Ryan Lewis accompagne les râles fragiles par des déluges de piano en fin de morceaux. Lourd. « Growing Up » et « The Train » viennent couronner ces histoires d’entre-soi, gentillettes et bien contées, certes, mais sans possibilités d’ouverture.


En contre-poids des déclarations personnelles, on retrouve bien évidemment les délires flashy, pop et kitsch de Macklemore. Entamé avec « Downtown », la mouvance est poursuivie par « Let’s Eat », ode à la grasse bouffe, et les quasi-parodiques « Brad Pitt’s Cousin » et le fameux « Dance Off » où Idris Elba prend la place de Vicent Price en lugubre présentateur à la « Thriller » de Michael Jackson. Le genre de morceau absolument imbuvable lors de sa première écoute, mais qui s’immisce lentement dans votre cerveau jusqu’à en faire, on ne sait trop pourquoi, un indispensable plaisir coupable. Allez savoir.


A faire les comptes, Macklemore et Ryan Lewis foncent là on les attend. Il ne reste plus que deux morceaux pour tenter de sortir des carcans. « Bolo Tie (feat. YG) » tente une échappée vers la trap. Clairement pas à l’avantage de son interprète. Reste « White Privilege II », soit la suite de l’iconique titre de 2005. Pour la première et dernière fois de This Unruly Mess I’ve Made puisque c’en est le titre final, Macklemore s’interroge sans bouffonneries ni références galvaudées sur l’état du racisme aux États-Unis. Entre interrogations fantasmées et vraies prises de positions, il interpelle, le plus honnêtement du monde, sur ses devoirs de citoyen autant que sur ses droits de revendications. Les pianos, les cuivres et les envolées gospel sont là pour témoigner du sérieux de l’initiative. Cette fois, même sa première personne est tournée en dérision. Un bref instant, Macklemore s’est exprimé sans son je-m’en-foutisme. Un plaisir bien trop rare.


Pour un deuxième essai studio, Ryan Lewis & Macklemore se retrouvent de l'autre côté de la barrière, dans le joyeux petit monde du succès où l'herbe est plus verte qu'ailleurs. Trop heureux d'être là au delà de leurs rêves les plus fous, les voilà s'éclatant à détourner les arc-en-ciels et à croquer à pleine dents dans la guimauve. Dommage que cette vision rosée ne serve qu'en un seul effort, "White Privilege II", à dépasser le cadre du cercle d'initiés. Sympathique mais dispensable.


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Hype_Soul
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le 1 mars 2016

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