This Is a Long Drive for Someone With Nothing to Think About par benton

Ces derniers temps, je refais une fixation sur Modest Mouse. Ce groupe ne m'a jamais vraiment lâché, et ne me lâchera jamais vraiment, puisqu'il fait partie de mes groupes préférés depuis que j'ai écouté The Lonesome Crowded West pour la première fois. En fait c'est surtout la sortie récente de Strangers to Ourselves, le dernier album de Modest Mouse - huit ans (oui, huit ans) après le génial We Were Dead Before The Ship Even Sank - qui m'a replongé dans la spirale infernale, à l'époque où je pouvais écouter le groupe en boucle. Les fans de la première heure vont très certainement renier ce nouvel album, comme ils l'ont fait avec le précédent, tant il prolonge les inspirations pop mélodiques exubérantes et irrésistibles qui sont désormais la signature du groupe. Tant pis pour eux, s'ils sont incapables d'apprécier les bonnes choses et la musique positive, enjouée et communicative, parfois à l'excès, mais avec sincérité et sans retenue.


Cela étant dit, découvrir ce nouvel album m'a étrangement conduit à redécouvrir un autre album du groupe que j'avais jusque-là délaissé, pensant n'avoir pas grand chose à en tirer après une première écoute un peu hâtive. Je veux parler de This Is a Long Drive for Someone With Nothing to Think About, sorti en 1996, un an avant The Lonesome Crowded West qui reste la pierre angulaire du groupe. Je l'avais trop vite relégué au rang de brouillon avant le grand chef-d’œuvre, n'ayant rien trouvé d'aussi spectaculaire et percutant qu'un Heart Cooks Brain ou Trucker Atlas.


Finalement j'ai eu l'occasion d'acheter l'album, un peu par hasard, après l'avoir trouvé dans le bac d'un magasin à ma grande surprise (je n'ai pas l'habitude de voir des albums de Modest Mouse dans nos contrées). Je me suis dit "pourquoi pas ?". L'album ayant tout de même une bonne réputation, j'avais toujours à l'esprit que j'avais pu rater une chose que tout bon fan de Modest Mouse ne pouvait ignorer éternellement. Et voilà, effectivement il n'a pas fallu longtemps pour que je me rende compte de mon erreur, la sortie du nouvel album du groupe mettant encore plus en lumière les particularités assez foutraquement détonantes de This Is a Long Drive.


C'est le premier véritable album du groupe mais il contient déjà tout ce qui fait de Modest Mouse un groupe unique en son genre, fou, visionnaire, bancal et incroyablement attachant. Ce qui est génial avec ce disque c'est qu'on sent vraiment les premiers pas d'un groupe qui met en place sa musique, de manière parfois hésitante et avec une production très limitée, voire inexistante, mais l'univers sonore original, à la fois rageur et onirique, explose quasiment à chaque morceau. This Is a Long Drive est un album aussi rebutant, rempli d'aspérités, qu'un véritable délice mélodique, enivrant, voire carrément hypnotisant, recelant quelques unes des chansons les plus magnétiques du groupe.


C'est le genre de chose qu'il est difficile de percevoir lors des premières écoutes, car l'oreille est surtout dérangée par les saillies électriques grinçantes que le groupe balance sans retenue. On ne retrouve jamais vraiment la concision puissante qui sera la signature de Modest Mouse au fil du temps : les morceaux ont plutôt tendance à partir dans tous les sens sans soucis de caresser l'auditeur dans le sens du poil. C'est crade, c'est rêche, ça éructe, c'est presque punk, post-punk ou je ne sais quoi. On sent là l'héritage des tripotées de groupes qui sont passés avant Modest Mouse, ne serait-ce que les Pixies dans la manière dont Isaac Brock a de gueuler certaines phrases. Mais le groupe n'a aucun mal à affirmer sa personnalité par la qualité des atmosphères qu'il arrive déjà à tisser.


Malgré l’âpreté du son, Modest Mouse arrive ainsi à élaborer un univers novateur, mélancolique, bizarrement déprimant et beau. C'est ce contraste qui rend This Is a Long Drive si singulier, en tant qu'album tout court, mais également au sein de la discographie de Modest Mouse. C'était vraiment une erreur de ne voir là qu'un essai brouillon avant la concrétisation de The Lonesome Crowded West. Il y a évidemment plein de choses en germe sur ce premier album, mais l'ambiance est assez différente, l'austérité donnant presque plus de force aux passages mélodiques soigneusement élaborés par le groupe. Des chansons comme Dramamine et Custom Concern ne ressemblent à rien d'autre, elles tiennent à peine debout mais tissent de longues atmosphères captivantes, sur la base de quelques arpèges répétitifs et hypnotiques.


C'est définitivement ce que j'aime le plus dans This Is a Long Drive, ces chansons qui flirtent davantage avec les mélodies détraquées, qui ne sont jamais vraiment belles en tant que telles mais dégagent un magnétisme viscéral sublime. Des envolées de lyrisme déglingué qui ont réussi à me faire découvrir une nouvelle facette du génie de Modest Mouse et à me rendre encore plus amoureux de ce groupe, si c'est possible. J'ai lu quelque chose qui résume l'essence même de ce premier album et de l'identité du groupe à ses débuts, à savoir que Modest Mouse est capable d'étirer ses idées sur de longues plages sans jamais être ennuyeux ou tomber dans l'excès. On aurait au contraire envie d'en avoir plus, et que ça ne s'arrête jamais. C'est exactement cela. D'autant plus sur ce premier disque, même si un morceau comme le génial Trucker Atlas basera toute sa force sur cette idée.


Ici, c'est l'aspect bancal et amateur de la production qui renforce la puissance du concept, puisqu'on a le sentiment que les chansons vont finir par s'enliser et s'écrouler alors qu'elles tiennent et poursuivent imperturbables leurs longues mélopées envoûtantes, comme si le premier groupe amateur venu n'avait d'autre idée que de faire durer inutilement ses chansons pour remplir son album alors que c'est le cœur même de sa musique et qu'elle n'aurait aucune raison d'être sans cela. Franchement, je ne sais pas trop comment Modest Mouse s'y prend pour réaliser une telle chose, mais force est de constater que le magnétisme est là et ne nous lâche plus.


On a ainsi déjà droit à certains des meilleurs morceaux du groupe, que ce soit Dramamine ou Custom Concern, donc, mais aussi Talking Shit About a Pretty Sunset, ou bien encore Lounge, Beach Side Property et Ohio, autant de titres qui ont l'art d'être ou de se muer en morceaux atmosphériques et mélodiques surgis d'un autre monde. Un monde un peu déprimant, désespérant, grésillant, mais foudroyé par des fulgurances lumineuses, des ruptures de tons tétanisantes qui font déjà de Modest Mouse un des meilleurs groupes de rock indé existant.

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le 13 sept. 2016

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