Third
7.5
Third

Album de Portishead (2008)

C'était il y a quatorze ans, déjà presque une éternité, un intrigant trio britannique surgissait de nulle part avec un album, Dummy, et, surtout, un single qui allaient entrer dans l'histoire. Le lancinant Glory Box, brûlot soul blues reposant sur une hypnotique rythmique synthétique, ne se contentait pas d'inventer le trip-hop : il devenait aussitôt le morceau définitif, emblématique du genre.D'autres que Beth Gibbons, Geoff Barrow et Adrian Utley se seraient contentés de gérer tranquillement une carrière balisée et lucrative de maîtres artisans d'une musique d'ambiance haut de gamme, aussi consensuelle que boulever­sante. Mais les trois Portishead sont tout sauf des épiciers, sont aussi iconoclastes qu'obstinés. Leur passion commune est la recherche de sons et de nouveaux horizons pour faire jaillir de toujours plus profondes émotions.Portishead aura donc mis dix ans avant de réapparaître avec cet audacieux Third, sombre successeur de leur album éponyme. Audacieux parce que clairement peu soucieux de flatter un quelconque confort d'écoute. Bien sûr, la voix di­vine, à la fois vibrante et spectrale, de Beth Gibbons est toujours bien présente, insufflant à la musique de Portishead ce supplément d'âme qui fait défaut à tant de formations pop-électro. Mais tandis que Goldfrapp s'est récemment tourné (avec succès) vers les confins d'une délicate pop bucolique et orchestrée, Barrow et Utley - par provocation ? - semblent avoir délibérément durci le ton. A la lisière parfois du « bruit blanc », ils ont tissé de longues nappes, électriques, électro­niques, souvent captivantes, parfois dérangeantes, mais qu'ils s'amusent à faire alterner avec des chansons plus dépouillées, proches du folk progressif organique de Björk. Les deux compères auraient voulu faire de Third un hymne à l'existence, basculant continuellement entre angoisse et apaisement, qu'ils ne s'y seraient pas pris autrement.Portishead a choisi son camp : celui de l'imprévisible, de l'expérimentation, des sensations. Ceux qui recherchaient leur dose de lounge de luxe en seront pour leurs frais. Les autres se régaleront. HC


Depuis quelques mois, la rumeur annonçait le grand retour de Portishead après dix ans d’hibernation volontaire. La rumeur se trompait : elle aurait dû évoquer le grand départ de Portishead. Car c’est bien un bond en avant, et non une remontée aux sources, que le groupe de Bristol accomplit sur son nouvel album. La distance qui sépare Third de la trilogie formée par Dummy (1994), Portishead (1997) et le live Roseland NYC (1998) ne s’inscrit pas que dans le temps : elle s’imprime aussi et surtout dans l’espace, tant le fossé esthétique qu’elle creuse est marqué. Quand beaucoup de vieux groupes endormis jugent bon de se reformer, Portishead, lui, a choisi de se transformer. Oubliez la perfection plastique de ses chansons passées, qui donnait une tonalité classique à un langage paré de tous les signes de la postmodernité, recyclant à froid des éléments arrachés au hip-hop, à la soul, à la pop, aux musiques de films, au jazz ou au blues. Le visage de Portishead, aujourd’hui, n’est le plus souvent que traits accidentés, angles vifs et profils taillés à la serpe. Avec Third, le trio ne s’est pas contenté de déchirer une bonne fois pour toutes le cliché encombrant de “groupe fondateur du courant trip-hop” qui lui collait au front : il s’est complètement refait le portrait, au point d’en être parfois méconnaissable. Ce ravalement de façade plutôt radical n’est pas sans évoquer les gros travaux de rafraîchissement entrepris jadis par Radiohead dans Kid A. Les Anglais n’ont pas détruit le majestueux palais des glaces à partir duquel ils avaient fondé et étendu leur royaume. Mais ils en ont considérablement bouleversé les plans et les structures, et ils en ont également décapé les murs, débarrassés de tous les tags sonores – scratches, samples et autres grésillements de vieux vinyles – qui ornaient la surface de Dummy et de Portishead. Leur musique n’est plus une forteresse imprenable, close sur elle-même, comme imperméable aux turbulences du monde extérieur. Elle laisse aujourd’hui entrer de violents courants d’air qui, de mélodies répétitives dignes du krautrock en pilonnages rythmiques, de perturbations électroniques en distorsions sonores, lui donnent l’aspect d’un poste avancé en terrain hostile, assailli de toutes parts par des forces qui menacent à tout moment de la réduire en poussière.  Même si elle continue de creuser dans ses textes des obsessions très personnelles, Beth Gibbons, elle, ne chante plus comme une princesse emmurée dans son donjon, perchée dans quelque haute et inaccessible solitude. Impliquée comme jamais, promue au rang de réalisatrice sonore au même titre que l’apprenti sorcier Geoff Barrow et le guitariste Adrian Utley, elle participe activement à un chaos dont on devine qu’il lui aura été aussi inconfortable que libérateur. Désormais, sa voix est à la fois le point focal et l’insaisissable ligne de fuite d’un paysage sonore moins enchanteur qu’en chantier, en recomposition permanente.Privé de tout confort, l’auditeur doit, quant à lui, dépasser l’impression première de traverser un disque en travaux, dissiper la troublante sensation d’être confronté à une œuvre si brute qu’elle paraît parfois inachevée. Il faut s’y faire : exprimés et assouvis sans le moindre compromis, les désirs de Portishead font aujourd’hui désordre. Fatigués et pourtant rayonnants, tels deux explorateurs ayant survécu à une invraisemblable odyssée, ils décrivent avec un plaisir palpable les deux sentiments qui les habitent et les animent : la satisfaction du travail de sape accompli, et la joie d’avoir modelé un nouveau langage qui, enfin, répond à leurs plus hautes exigences. (Inrocks)
En science comme en art, la pertinence de la démarche en trois étapes a fait ses preuves. Le triptyque (ou trilogie) englobe trois éléments uniques qui se suffisent à eux-mêmes. Simultanément, elle propose un système en trois parties complémentaires dont la dernière pousse une logique à son terme. Third est cette phase terminale, cette synthèse hégélienne des albums de Portishead. Mais le titre fait aussi référence à la composition du groupe lui-même. On se rappelle que pour ces deux premiers Lp’s, Dummy (1994) et Portishead (1997), il était, par contrat, considéré comme un duo par Go! Beat, son label. Soit la chanteuse Beth Gibbons, née en 1965 et bercée par la culture pop, doublée du producteur Geoff Barrow, né en 1971 et vite plongé dans le hip hop. Avec la signature chez Island, le troisième pilier de Portishead, aussi bien compositeur que musicien hors pair, est enfin reconnu officiellement : Adrian Utley, né en 1957 et disposant d’un conséquent passé jazz. Des personnalités disparates mais si complémentaires. Musique électronique, acoustique ou électrique… À l’instar de Radiohead, ce genre de catégories propres au dernier tiers du XXe siècle n’existe plus chez Portishead. Elles sont transcendées, tout comme l’étiquette trip hop – qui servit jadis à qualifier la musique du groupe faute d’autres termes plus appropriés – est devenu un carcan trop limité. Il en résulte une charge explosive à ne pas faire circuler entre toutes les mains. Third n’est pas facile à appréhender. Rassurons dans un premier temps les fans transis. Jusque dans les manières de les baptiser, certaines compositions rappellent le Portishead que l’on connaissait. Il en va ainsi de Hunter, de Small ou de Threads. D’ailleurs, le disque contient avec Magic Doors un tube imparable intégrant une magnifique mélodie vocale et une alternance couplet/refrain de toute beauté. Mais par ses choix en matière d’orchestration et de traitement du son, Third est un disque radical, notamment dans la noirceur qu’il produit. Si l’aspect soul est toujours présent, notamment dans le traitement de la voix et les claviers, il est malmené par des guitares qui, par bribes, apparaissent torturées et agressives (Silence, We Carry On). De ce point de vue, on pense parfois à Sonic Youth, mais, plus souvent encore, à The Cure période Pornography (1982). Il faut dire que les percussions, bien que minimales, jouent un rôle décisif comme dans l’album rouge et noir du groupe de Crawley. Elles peuvent être cold ou industrielles et parfois devenir le seul support musical (Machine Gun:, le premier single). On est loin des rythmiques downtempo tournant en boucle qui ont fait le succès mondial de Portishead. À ce tissu sonore tendu, s’ajoutent des changements brefs et impromptus d’ambiance qui sont une marque de fabrique de Portishead depuis ses débuts, comme dans Glory Box (1994). Plus largement, Third est un album dense et ouvert à l’expérimentation qui intègre des références multiples. Deep Water propose d’étranges chœurs doo woop sur une ballade folk, The Rip convoque un synthé années 70 que n’aurait pas renié Tortoise ou Air et Nylon Smile plonge l’auditeur dans une ambiance gainsbourienne digne de L’Homme À La Tête De Chou (1975), une influence dont on connaît l’importance pour le groupe. Un très grand disque. (Magic)
Il faut s'y résoudre. Dix ans après le "Roseland NYC Live", Portishead ne fête pas les retrouvailles le sourire aux lèvres. "3", loin de tout glamour, confirme la noirceur indélébile du groupe, pas désireux de rameuter les basses profondes, le sampler de couleurs, les mélodies et inflexions soul qui ont contribué à définir un son unique. Le disque cultive plutôt l'austérité et va voir ailleurs : rythmiques hachoirs, électro dure et répétitive, synthés archaïques mêlant les souvenirs des BO les plus cauchemardesques ("Midnight Express" vs "1984"), rien de très aimable dans cette collection de morceaux qui n'a les airs ni de la promenade bucolique ("Out of Season") ni même de la virée urbaine à la limite du fantastique ("Portishead"). Après tout, pourquoi se répéter ? "Dummy" est sorti dans une vie antérieure et les teenagers qui découvrent la musique au son de Gossip, The Dø ou MGMT ne connaissent pas le groupe. Il faut donc saluer le panache, et le vague soupçon de suicide commercial, de cette entreprise. Plus, il faut souligner comment l'intransigeance se transforme ici en manifeste esthétique, et livre l'oeuvre au noir la plus cohérente et inspirée depuis... le "Mezzanine" de Massive Attack (il n'y a pas de hasard). Portishead se réinvente donc en rebattant les cartes de son désespoir : après une intro parlée en brésilien (fausse piste), "Silence" dévoile peu à peu les atouts de la partie. Roulement rythmique continu, guitare corrosive, voix plaintive et plus malmenée que d'habitude, multitude de détails d'arrangement et de production dont Geoff Barrow a le secret. "Hunter" prolonge et modifie la donne : Beth Gibbons, plus souveraine dans la mélodie, se fait méchamment déstabiliser par les ruptures et complètement bouffer le refrain par la séquence électro. Il faut attendre "The Rip" pour trouver, momentanément, un peu de douceur, la voix se posant sur une ligne de synthé très prog' 70's. Ensuite, commence le grand tremblement dont les résonances se font entendre dans le studio d'enregistrement transformé en bunker du groupe : pales d'hélicoptères doublées rythmiquement, syncopes et éclats synthétiques ("Plastic"), sonneries d'alarmes, martèlement tribal, guitares saturant le crescendo final et réminiscences de Björk (les choeurs) et Silver Apples ("We Carry On" en traité de la déflagration sonore). Petit intermède loufoque ("Deep Water" aux faux airs folk, avec choeurs du Mississipi en sourdine) et la charge reprend pour ne plus cesser : "Machine Gun", morceau explicite sur lequel Beth Gibbons lutte vaillamment contre l'imposant concassage rythmique, sans doute le single le plus ingrat, sorte de techno-indus aride, qu'on ait entendu depuis des lustres. "Small", parti sur les bases mélodiques d'une ballade hantée, vire méchamment au psychédélique, se reprend puis repart en vrille (morceau flippant, un de plus). "Magic Doors", un des plus ambitieux du lot, joue de la virtuosité rythmique (percus/caisse claire/piano) et du contrepoint étonnant d'une sorte de bande inversée, de cuivres et de claviers, pour permettre à Beth Gibbons de donner le meilleur d'elle-même. Quand sur l'hallucinant finale de "Threads", la chanteuse abandonne son rôle de victime propitiatoire et se met à hululer à l'unisson des guitares, des chœurs étouffés et que les cornes de brume emplissent l'espace, la messe est dite. Il fait définitivement froid dans ce monde.(Popnews)
Autant vous prévenir tout de suite, cette chronique risque d’être chargée en superlatifs, alors on ne va pas tourner autour du pot, "Third", le nouvel album de Portishead, attendu depuis dix ans, est un pur chef d’œuvre de beauté malade. Dix ans de silence, à part pour lancer divers projets solos. Dix ans d'absence, durant lesquels l'attente s'est faite plus insistante, amplifiée une fois de plus par Internet. Mais faisons abstraction du ramdam autour la sortie de "Third" pour nous plonger dans les méandres des onze morceaux qui s’offrent à nous. Alors que les ambiances mi-mélancoliques mi-groovy de "Dummy" avaient permis au groupe de trouver un large public, notamment grâce au tube Glory Box, Portishead choisit de moins caresser l'auditeur dans le sens du poil avec "Third". Adieu les scratches trop marqués, et bonjour tristesse : les atmosphères de ce disque sont d’une grande froideur. "Third" démarre sur une première grosse décharge émotionnelle avec le sublime Silence, sensationnelle transition entre le trip-hop du début et les terribles paysages enneigés qui vont suivre. Le magistral Hunter mélange une rythmique de guitare acoustique particulièrement ascétique avec quelques samples bruitistes et saturés. Heureusement, cette composition glaciaire laisse une fois de plus la part belle à l'interprétation de Beth Gibbons qui monte encore d'un cran dans la fragilité charnelle absolument troublante.  C'est un étrange sentiment de quiétude et de plénitude qui accompagne l’écoute des remarquables Nylon Smile, Plastic, ou encore Machine Gun. On navigue dans une espèce de krautrock froid, entre rythmiques répétitives et claviers poignants ; le chant, triste et bouleversant, transcende la musique et transforme "Third" en une longue complainte pluvieuse qui place une grosse boule dans le fond la gorge. Par instants, Portishead retrouve quelques ambiances acoustiques comme le saisissant Deep Water joué au ukulélé. Une bien jolie bouffée d’oxygène, sur laquelle la voix de Beth Gibbons réussit à se lâcher un peu plus qu’à l’accoutumée. Difficile de rester insensible face à une telle classe, difficile de ne pas prendre une grande claque à l’écoute de "Third"... Mais plutôt que de continuer d’égrener les superlatifs, on préfère rester sur un silence admiratif. (indiepoprock)
bisca
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le 3 mai 2022

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le 12 avr. 2022

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