The Top est un album clivant: Bâclé pour les uns, génial pour les autres, il divise les fans et sera longtemps déconsidéré par la tête pensante du groupe. Malgré les conditions extrêmes de sa réalisation, cet album reste un des disques les plus symboliques de l'esprit Cure et offre un large éventail de styles musicaux et d'humeurs.
Le succès de "The Lovecats" a amené Robert Smith à reconsidérer l'avenir du groupe. Même s'il reste membre à part entière des Banshees, il compte bien pondre un successeur à "Pornography". Les escapades pop ont maintenu le groupe sous respirateur et il peut compter sur une nouvelle formation solide .... ou presque pour le réaliser. En effet, Phil Thornalley n'étant pas seulement bassiste, il sera absent en cette fin d'année 83, parti filer un coup de main à Duran Duran en Australie. Robert se coltinera donc la guitare, la basse, le chant et une bonne partie des claviers, Lol Tolhurst étant de plus en plus amoureux de la bouteille. Pour ne rien arranger, il enregistre au même moment "Hyena", le nouvel album des Banshees. Programme plus que chargé donc, et qui peut se résumer ainsi: 9h-18h sessions avec Siouxsie, puis rendez-vous au pub à l'autre bout de Londres pour se vider moultes pintes jusqu'à minuit, puis sessions avec Cure jusqu'au petit matin, avec l'aide des tisanes magiques qu'a préparé Andy Anderson, et ainsi de suite.... La sortie de cet album tient donc du miracle.
Musicalement, l'album démarre sur les chapeaux de roue avec un "Shake dog shake" sombre, toutes guitares dehors, et faisant écho au morceau d'ouverture de l'album précédent. Pourtant, Cure va prouver qu'il n'a pas pondu un "Pornography n°2". "Birdmad girl" va dissiper les nuages et dévoiler une chanson pop sautillante assaisonnée de guitares acoustiques (une première pour le groupe). "Wailing wall" écrit lors d'un passage de Siouxsie à Jérusalem plante un décor arabisant et très dans l'esprit des Banshees, Robert ressortira ses flutes pour l'occasion. "Give me it" laisse exploser la rage sur un tempo rapide, Porl Thompson, guitariste des débuts signe son retour avec un solo de saxophone bruitiste au possible. "Dressing up" finit la première face avec une pop-song assez courte et majestueuse. Justement, un bon tiers de l'album est composé de morceaux assez courts, ce qui peut donner une impression de disque bâclé constitué de morceaux de remplissage.
La deuxième face débute par "The Caterpillar", le single de l'album, qui constitue en quelque sorte une suite au thème animalier de "The Lovecats", le morceau est une étrange pièce exotique fortement réussie, les percussions d'Andy Anderson fonctionnant à merveille. "Piggy in the Mirror" est sans aucun doute le morceau le plus solide du L.P. les paroles hallucinées se mélangent à la charge émotionnelle de l'instrumental. "The empty world", marche militaire dont le texte est adressé à Simon Gallup précède le bizarre "Bananafishbones". L'album se termine de manière magistrale avec le planant morceau-titre, Robert scandant des "Please come back" sur l'entêtante ligne de basse.
"The Top" est un disque aux milles facettes, celui d'un groupe revenant aux affaires sérieuses mais sans jouer un remake du passé. Ni trop sombre, ni trop pop, plus accessible mais sans être commercial , cet album ancre Cure dans un statut de groupe-culte du mouvement new-wave dans son sens large. Quelque uns des morceaux constitueront d'ailleurs des classiques du répertoire live. Un album à écouter une fois acclimaté au son de Cure, dérangeant et profond.