Un retournement de veste légendaire pour un album qui l'est tout autant.

Ressenti publié dans le cadre de mon classement intégral de la discographie de David Bowie, composée de 26 albums studio.

Numéro 7 : The Rise And Fall Of Ziggy Stardust And The Spiders From Mars

Nous sommes en fin 1971 et David Bowie continue son petit bonhomme de chemin, amorçant de nouvelles sessions au studio pour son cinquième album. Son précédent, Hunky Dory, avait été salué par la critique sans être pour autant un succès commercial. David Bowie était certes un artiste à la progression musicale intéressante (de la folk à une pop léchée et inspirée, en passant par une case heavy) mais n'en était pas un connu du grand public, et encore moins une figure importante de la scène musicale.


Il est toujours accompagné des "Spiders From Mars" ("les araignées de Mars"), groupe qu'il a créé et qui l'accompagnera durant toute sa période Glam. La composition du groupe est la même que pour l'album précédent, Mick Ronson est à la guitare, Trevor Bodler à la basse et Mick Woodmansey à la batterie. Ces derniers seront plus que jamais sous les directives de David Bowie qui pour ce cinquième opus, est particulièrement impliqué et voit les choses en grand.


En effet, pour cet album, Bowie veut faire un concept. Raconter l'histoire d'un personnage, comme cela avait déjà pu être le cas avec celui de Major Tom dans la chanson "Space Oddity", mais cette fois-ci, au travers d'un projet entier. Ce personnage sera un extra-terrestre créer par le chanteur lui-même, portant le nom de Ziggy Stardust. Alors que le monde tend vers une Apocalypse imminente, ce fameux Ziggy arrive sur Terre. Rockstar androgyne, l'alien connaitra un succès faramineux avec son groupe, les Spiders From Mars, mais il finira par être rattrapé par son égo. Une histoire au postulat intéressant et soulevant des thématiques qui seront récurrentes dans la carrière de Bowie. Cependant, l'histoire sera racontée de manière plutôt vague et tous les tenants et aboutissants ne seront pas clairs pour ceux qui écouteront l'album. Cela s'explique du fait que l'album est constitué de titres qui se répondent parfois bien mais en vérité, le but n'était pas nécessairement de constituer une histoire complète de bout en bout à travers toutes les morceaux constituant le projet.


De plus, l'artiste anglais ne veut pas limiter son concept à une histoire et une musique. Pour rendre la chose plus tangible, il prendra lui-même l'apparence de son alter-ego. Il portera ses traits aussi bien lors de séances photos qu'en tournée et en passant par des émissions télévisées. La présence de Bowie dans la petite lucarne sous cette apparence ô combien extravagante -notamment pour l'époque, provoquera l'effroi et l'indignation de certains qui jugent l'artiste comme un être décadent. Le coming-out de Bowie à ce moment-là (dont l'honnêteté du chanteur sera sur ce point parfois remise en cause) n'apaisera pas les choses et le chanteur deviendra sujet à de nombreuses interrogations, faisant de lui un ovni dans une sphère où il est désormais identifié.


Un an et des poussières plus tard, nous approchons la fin d'une tournée longue et spectaculaire pour soutenir l'album qui s'est bien vendu et qui a reçu de très bonnes critiques. Entre temps, l'album suivant, Aladdin Sane est sorti (qualifié par Bowie comme une sorte de "Ziggy Stardust aux États-Unis") et le chanteur se ravit, au fond de lui, de la fin de la tournée qui arrive. Cette dernière a totalement éreintée le chanteur et ayant été pendant presque deux ans sous les projecteurs en portant les traits de son personnage, il finit totalement épuisé psychologiquement. Un dernier concert aura lieu où le chanteur tuera sur scène Ziggy Stardust, en annonçant que le concert vécu et qui était sur le point d'être terminé, allait être le dernier. Dernier, non pas de la tournée, mais tout simplement le dernier. Le public est stupéfait et les premières notes de "Rock'N'Roll Suicide" retentissent. Le concert est capté par les caméras et sortira sous forme de film, clôturant presque deux années qui seront légendaires pour le chanteur (bien que cela créera une crise le poussant aux drogues..), son public et quelque part, aussi pour la sphère musicale et la culture populaire de manière générale.


En effet cet album, ayant pratiquement à lui tout seul amorcé le mouvement glam, est à ce jour l'album le plus cité de son auteur et est considéré de manière répétée comme étant l'un des plus grands albums de tous les temps. Une réputation qui dépasse même le cadre musical de l'album et qui dépasse même, peut-être, David Bowie lui-même.


À peu près quarante ans après la sortie de l'album, j'ai quatorze ans. Je découvre pour la première fois une chanson de David Bowie, grâce à ma soeur. Ne cherchant pas à en savoir plus sur l'artiste, je me contente totalement du titre découvert et m'en délecte. Puis, je décide d'écouter l'album dont il est issu. Cet album, c'est Hunky Dory et la première chanson était "Life On Mars?". Après la satisfaction d'avoir découvert cet album, je décide d'écouter un autre projet du chanteur, dans lequel se trouve un autre morceau que m'a sœur m'avait fait découvrir. L'album, c'est Aladdin Sane et la seconde chanson était "Time". Il aura fallu attendre presque deux ans pour que j'écoute enfin ce fameux "Ziggy Stardust machin chouette", voyant sans cesse la pochette d'album dans des listes ou classement regroupant des albums majeurs "à écouter impérativement avant de mourir". J'étais donc conscient que l'album que j'allais écouter était sacrément côté et appréciant beaucoup le peu que je connaissais de Bowie, c'est avec un grand intérêt et une joie certaine que je lance ce qui est indéniablement décrété comme son meilleur album. Et là, douche froide..


Je n'ai pas compris ce que j'ai écouté, mais sincèrement pas compris. Mes souvenirs sont forcément quelques peu floues autant pour les années qui passent que par cette première écoute qui aura tout été pour moi sauf marquante. Ce dont je me souviens le plus, c'est ma presque sidération une fois l'album terminé, me disant "mais c'est fini? C'est ça Ziggy Stardust ?". L'écoute n'avait pas été catastrophique, je ne trouvais pas l'album nul, mais je ne comprenais juste pas. À cette époque j'aimais déjà beaucoup la chanson "Lady Stardust" et "Starman" donc je suppose que ces moments devaient être cools lors de cette fameuse première fois.


Parfois, nous sommes confrontés à ces immenses albums, auxquels sont collés tant d'histoires voire même des légendes. Les aborder n'est pas toujours simple, certains résonnent en nous comme des évidences car nous parle avant tout musicalement, ou à travers les textes, l'ambiance, ect.. d'autres méritent peut-être d'être appréhendés différemment, au bon moment. Certains sont surtout des albums qui sont plus importants de par le contexte de leurs époques et de ce qu'ils ont apportés que par leurs facultés à durer dans le temps. En prenant certains de ces paramètres (il y en a encore sûrement pleins d'autres), on a des éléments de réponses à question qui est de se dire pourquoi certains "indispensables" nous paraissent au contraire totalement dispensables. Et puis, il faut aussi parfois totalement accepter que certains albums ou certains artistes ne sont tout simplement pas faits pour nous et que malgré toutes les qualités que l'on puisse y trouver, la magie n'opère pas.


Je considère vraiment la personne que j'étais ado comme passionné. J'étais parmi ces petits jeunes curieux de découvrir de nouvelles sonorités et de creuser profondément lorsqu'ils y trouvent des choses susceptibles de leur plaire. J'avais cette flamme et ne trichai pas avec mes émotions, la musique aidant aussi parfois à se découvrir, surtout à ces âges-là. Si je repense donc à cette époque avec beaucoup de tendresse, je vois tout de même quelques différences notables entre l'auditeur que j'étais et celui que je suis, au-delà des goûts, bien entendu.


Ma curiosité n'était certes pas à remettre en cause mais elle m'empêchait pas parfois d'avoir des avis arrêtés et parfois de manière (très) précipitées. Une seule écoute du The Velvet Underground & Nico m'avait suffit pour croire que cet album n'était pas fait pour moi, alors qu'il aurait fallu probablement qu'une écoute de plus pour que je saisisse qu'il me correspondait parfaitement. J'étais certainement trop sûr de mes goûts.


En l'occurrence, l'album de Bowie est un cas plutôt différent. J'avais déjà créer un lien avec cet artiste avant de d'écouter le disque et je pense avoir autant si ce n'est plus été influencé par la réputation de l'album que par sa musique. Je ne comprenais pas comment cet album pouvait être à ce point considéré comme le meilleur de sa discographie quand les deux seuls autres que je connaissais me paraissaient infiniment supérieurs.


Tout d'abord, ma subjectivité m'avait peut-être sévèrement aveuglé. À l'époque, Queen était mon groupe préféré et était celui qui m'avait mené au classic-rock. Ce que j'adorais le plus chez eux était cette période où le groupe était très baroque et grandiloquent dans leur musique, invoquant fantaisie et extravagance musicale que je trouvais charmante. Je voyais de cela sur Hunky Dory et Aladdin Sane bien que je trouvais le premier bien plus maîtrisé et donc plus sage que la musique de Queen que j'aimais et le second plus bizarre encore que ce dont m'avait habitué la formation de Freddie Mercury. Comme je savais que la période de Queen que j'aimais tant (de 73 à 75) était estampillé "glam", ce mot m'était associé à cette folie musicale que j'évoquais. Je considérais donc Hunky Dory et Aladdin Sane comme des albums rentrant dans la catégorie, contrairement à celui qui est le sujet de cette chronique. Ironique quand on sait que c'est l'album Ziggy Stardust qui a quasiment créer cette mouvance. Enfin bref, tout ça n'est que sémantique et définitions. Voilà donc globalement pourquoi le consensus autour de l'album dont il est question aujourd'hui était l'une de mes plus grosses interrogations ado.


De mes 17 à 19 ans, je quitte le rock et donc Bowie par la même occasion et ce n'est qu'en 2018, lorsque j'en ai 20, que je le retrouve. Si je reprends beaucoup de plaisir à réécouter les deux albums cités plus haut, je découvre avec émerveillement d'autres pans de sa discographie qui me sont aujourd'hui très chers. L'occasion de retenter ma chance avec son fameux chef-d'oeuvre.


Eh bien, y avait du mieux, vraiment. J'aimais toujours autant -si ce n'est plus encore, "Lady Stardust" et "Starman", je redécouvrais totalement des titres comme "Five Years" et surtout "Moonage Daydream". Des titres pour lesquels j'ai une grande estime et donc réécouter l'album devient une surprise mi-agréable. Ce sentiment positif est contrebalancé par un sentiment (encore une fois) de déception. Déception puisque je ne comprenais toujours pas pourquoi c'était CET album qui était à ce point plus mis en avant que les autres. Grosso modo, cet album c'était pour moi "un titre super, le suivant bof, un titre génial, l'autre anecdotique" et ainsi de suite. Je m'ennuyais pendant presque la moitié de l'album. Et je parle là de scènes qui pouvaient encore avoir lieu il y a encore deux-trois ans. Alors, qu'a-t-il pu avoir changé depuis?


Je pense que tout part de "Rock'N'Roll Suicide" que je vois en live durant le film sur le dernier concert de Ziggy Stardust. Je me rends compte de la force du morceau en voyant Bowie interpréter brillamment ce titre, pour la dernière fois sous les traits du plus connu de ses alter egos. Les prochaines écoutes du morceau me permettront de me rendre compte de la pleine puissance du titre. C'est à ce moment que je me suis dis "cet album a quand même un titre d'ouverture qui est juste génial, celui de clôture l'est encore plus et au milieu il y a quelques chef-d'oeuvres. La structure est extrêmement solide et cela mériterait d'essayer encore une fois". Et je l'ai fais, encore et encore.. puis le miracle a eu lieu.


"Five Years" est une superbe ouverture, l'apocalypse est annoncée de bien belle manière et plante le décor, avançant de maniere parfaitement maîtrisée jusqu'au splendide climax. "Soul Love" est un titre sympathique, dans tous les sens du terme. Si la planète va exploser, autant profiter et vivre heureux en attendant. Typiquement le genre de titres dont je me fichais éperdument fut un temps mais en vérité, il est cool. Le son suivant se nomme "Moonage Daydream" et attention, c'est un chef-d'œuvre. Ziggy se présente dans un titre si merveilleusement percutant, d'une sensualité explosive. Juste exceptionnel. S'ensuit "Starman". Que deux titres pareils s'enchaînent semble juste irréel. Il y a des titres iconiques et marquant qui ne perdront jamais de leurs superbes, c'est ici le cas. Les couplets, le refrain, la guitare de Ronson, la chanson de l'espoir et du sourire. Intemporel. Seul petit regret : trop court, j'aurais voulu que ce soit le Hey Jude de Bowie, que ses "la la la la la" se répètent aussi longuement que les "na na na nanana" de McCartney. Je chipote et il reste un chef-d'œuvre dont on ne peut se lasser. "It Ain't Easy" est la seule reprise de l'album et elle est plutôt sympa, pas très originale mais les petites retouches la rendent cohérente dans le projet, et Bowie y est très bon vocalement. "Lady Stardust"... d'une beauté indescriptible, un conte nous élevant jusque dans les cieux. C'est beau, c'est fort, c'est simple. Du grand Beatles à la sauce Bowie, le genre de bonbon qui ne se refuse pas et qui ne donne aucune carie. "Star" est l'un des derniers titres que je me suis pleinement pris dans ce projet, terriblement efficace, c'est endiablé avec un rythme d'enfer et un Ziggy si stimulant. "Hang On To Yourself" a une place importante dans la dramaturgie narrative de l'album puisque c'est à travers ce titre que Ziggy se mènera seul vers sa propre chute. Malheureusement, l'album n'est pas à la hauteur du rôle qu'est le sien. Cela dit, aucun titre n'est mauvais dans ce disque et donc il s'écoute bien, ce fut pourtant si dur à une époque de voir de bonnes choses dans ce morveau. Aujourd'hui, sa légèreté rythmique me parle bien. On arrive au titre éponyme (si l'on doit enlever les dix autres mots du titre de l'album), qui étonnamment ne m'a jamais parlé plus que ça, bien qu'il fasse parti de ces chansons du diable qui restent en tête pour des années. Un morceau avant tout porté par ses paroles, narrant de manière synthétique le passé et le destin du personnage principal. Un titre que j'aime vraiment, mais pas autant que ce que la chanson représente. "Suffragette City" était lui aussi un titre si difficile à apprécier par le passé, et si on est loin de l'amour fou, dans l'énergie qu'est celle de l'album, il fonctionne plutôt bien et je n'ai pas à me plaindre. Enfin, "Rock'N'Roll Suicide", immense. Moins de 3 minutes mais la progression dramatique est telle que ces 3 minutes passent comme des secondes. Ziggy nous clame son amour avant de mourir. Une fin d'album pour l'histoire.


Nous sommes donc dans un virage personnel qui n'est pas loin d'être à 360°, l'album "The Rise And Fall Of Ziggy Stardust And The Spiders From Mars" est grand, très grand. Voir l'album partiellement joué sur scène aura été le déclic, pour le reste, l'album se suffit en lui-même. Les quelques titres qui me plaisent moins me plaisent tout de même et sont totalement sublimés par le reste, l'album ayant des sommets rarement atteint dans la discographie de son auteur. La production est millimétrée au point où ça en fait presque peur, Bowie est dans une forme vocale qu'on ne lui connaitra peut-être plus, les années sombres de la cocaïne approchant à grand pas. Mark Ronson montre une nouvelle fois à quel point il aura été important dans la musique de celui qui interprète Ziggy. Quant à Ziggy, bah il n'y a qu'à voir des images de lui sur scène, une véritable rock'n'roll star.. David Bowie, je m'excuse..







nassim-starless
9
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le 3 mars 2023

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