1972. Les britanniques de Uriah Heep sortent un 5e album, après deux albums déjà cultes mais méprisés de la critique Very'eavy... Very'umble et Salisbury, ainsi que l'excellent Look at Yourself. Gary Thain, le nouveau bassiste, est là depuis quelques mois et le groupe a déjà sorti un disque avec lui, Demons and Wizards, qui est un beau succès, sur lequel il compte pour enchaîner avec ce Magician's Birthday.

De réputation, le groupe est connu pour son hard rock extravagant, fortement teinté de prog (le meilleur exemple à ce jour reste le titre éponyme de Salisbury et ses 16 minutes incroyables.), au son incroyablement lourd. En témoignera pour anecdote un concert à Lille, vers le milieu des années 70, dans une petite cathédrale transformée en salle de concert, où le groupe fit éclater les vitraux à cause du volume et de la puissance sonore.

Niveau line-up, Uriah Heep est un groupe instable. Quand sort ce 5e album, seuls 3 membres d'origine subsistent : le fondateur et membre actuel Mick Box à la guitare et aux chœurs, son acolyte David Byron au chant (il quittera le groupe en 1976 et décèdera en 1985) et Ken Hensley aux claviers. On trouve ainsi Lee Kerslake à la batterie (le 5e batteur du groupe en 4 ans) et donc Gary Thain à la basse (leur 3e bassiste, présent de Demons and Wizards à Wonderworld). Précisons que Demons and Wizards sort bel et bien avant The Magician's Birthday, contrairement à ce que l'on peut voir sur certaines discographies officielles.

Mais venons-en à la musique, puisque c'est elle qui nous intéresse. La structure de l'album est sensiblement semblable à celle de Salisbury : Une succession de chansons courtes ou de longueur moyenne, et une conclusion épique sur le titre éponyme. Look at Yourself était plus dispersé, chaque face du disque centrée autour d'un titre fleuve.

Les hostilités démarrent avec le remarquable "Sunrise" et ses chœurs exaltés et surpuissants, une des marques de fabrique du son chatoyant d'Uriah Heep. Outre cette mélodie agressive, qui contraste avec le démarrage en fondu sur les claviers, on remarquera la lourdeur (pour l'époque) du riff de guitare. Le titre est une excellente mise en bouche, tout y est parfait, notamment cette alternance si atypique entre passages calmes (les couplets), et les ponts, bariolés et plutôt violents. Byron se fait conteur mystique dans ce titre superbe, sa voix étant à la limite du parlé sur les couplets. Les morceaux suivants sont tous plus ou moins dans un registre équivalent, oscillant entre un hard rock nerveux et rapide : "Spider Woman", très entraînant et guilleret, tout en guitare lancinante, avec son refrain simple à retenir, et un rock aux accents progressifs ou fusion (si, si) plus étendu sur "Echoes in the Dark", qui sonne presque space rock dès l'intro, quelque part entre le Pink Floyd de Meddle et le Hawkwind de Space Ritual ou des premiers albums. La présence du mot "Echoes" dans le titre ne me paraît pas anodine à ce niveau, si l'on considère les thèmes de basse et de guitare. Une étonnante relecture, en quelque sorte. On reste pourtant bien chez Uriah Heep, comme nous le rappellent les accords de guitare assénés avec lourdeur et emphase sur la fin du titre par Mick Box. Quant à "Blind Eye", on nage en plein folklore avec cette mélodie envoûtante aux accents celtiques et la guitare acoustique qui nous entraîne de bout en bout.

"Rain" est une ballade au piano et aux claviers chantée tout en douceur par Byron. On la rapprochera stylistiquement de morceaux comme "Come Away Melinda" (sur Very'eavy... Very'umble) ou "Lady in Black" (sur Salisbury). Le chanteur y fait une démonstration douce mais puissante et assurée de ses capacités vocales, son timbre chaud et délicieusement aigu est de toute beauté, même si le titre, minimaliste, me touche moins que les deux morceaux cités précédemment.
Ainsi se conclut la première face du disque, sans faute de goût notable et plutôt bien équilibrée.

L'entrée en matière du premier morceau de la Face B, "Sweet Lorraine", est un modèle d'agressivité criarde. Les claviers sont psychédéliques et le scratching de la guitare funky à mort (un peu comme sur Deep Purple In Rock, quelques années plus tôt). Le refrain est très accrocheur - impossible de ne pas scander "Sweet Lorraine!" en chœur avec le groupe à la fin , et le pont aux claviers, démentiel, dans un style très horror-show et tourbillonnant. Un titre étonnant, vraiment. S'ensuit l'avant dernier titre de l'album, la ballade folk "Tales", morceau d'une agréable douceur, où l'on décèle quelques curiosité sonores en arrière-plan, les claviers faisant des leurs, comme souvent dans les albums du groupe à l'époque. Le titre prend peu à peu de l'ampleur dans un délicat crescendo d'une belle intensité.

Si les paroles de l'album sont fortement teintées d'epic et d'heroic fantasy, aux accents merveilleux et cosmiques, le titre éponyme de l'album est un bijou du genre, au texte complètement farfelu. Nous voilà embarqués pour un voyage grandiloquent et baroque du 10 minutes, en route dans la forêt pour assister à l'anniversaire du magicien. La première partie du morceau décrit l'ambiance étrange et onirique qui pèse sur un jardin attenant à la forêt. Et puis voici la cérémonie, moment sidérant du morceau. A la fois hilarant, complètement décalé, joyeusement foutraque et naïf, à mi chemin entre la comptine pour enfant et le psychédélisme nourri au space cake. Bref, on chante "Joyeux anniversaire" au magicien sur fond de kazoo - non, vous ne rêvez pas - avant de reprendre le cours du morceau, qui nous amène à la tombée de la nuit. Fondu enchaîné, nouvelle ambiance, plus empesée, plus grave, toujours aussi flamboyante. Démarre alors une succession de tableaux musicaux gentiment dérangés, oscillant entre fusion rock et prog sous acide un brin inquiétant. Les musiciens se déchaînent dans une succession de soli de guitare et de break de batterie. Ce délire musical marque en fait l'arrivée d'une inquiétante apparition, celle d'une sorte de démon qui vient jouer les trouble fête. Tout se résout par un dialogue avec le magicien qui triomphe sur un bon mot. Le narrateur reprend alors les rênes dans une voix très haut perchée et clôt l'histoire sur des piaulements remarquables. Certes, on peut ne pas accrocher à ce genre de trip, mais le morceau envoie sévère d'un point de vue strictement musical, et le texte est plutôt surprenant, jouant habilement des codes du genre, sans compter sur la performance vocale de Byron qui incarne trois ou quatre personnages à lui seul, tout en chantant juste et dans une tonalité différente à chaque fois. C'est bien évidemment le sommet artistique de l'album, qui reste une des meilleures productions du groupe à ce jour, au son typique de l'époque et reconnaissable entre mille : claviers omniprésents, basse ronflante, chœurs survoltés.

Je terminerai sur quelques mots consacrés à l'artwork de ce disque. Uriah Heep est plutôt connu pour ses pochettes de mauvais goût (Innocent Victim et son serpent plutôt comique, Very'eavy... Very'umble et sa toile d'araignée, Salisbury et son char d'assaut...), mais je trouve qu'avec ce design rouge et bleu on atteint des sommets de laideur. Au moins les autres sont-elles marrantes. Là, ça fait juste saigner les yeux. Mais bon, autre mode, autre époque, et grand disque !
Krokodebil
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le 24 juil. 2013

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