STOP THE WAR / Musique et contexte explosifs (3) : Larysa

Chers amis de Sens critique ceci est une nouvelle déclinée en épisodes et imprégnée du contexte de la guerre en Ukraine qui pourrait si j'en avais le temps dériver en roman. A chaque séance d'écriture je baigne dans l'écoute du disque (ou du groupe) excellent que j'utilise pour trouver mes mots. Uniquement des musiques explosives. Si vous en avez le temps je serai enchanté de recevoir vos critiques ou plutôt, devrais-je dire vos ressentis, vos avis. Vos conseils seront aussi les bienvenus.
Bien à vous et merci !

Episode 1 ici : https://www.senscritique.com/album/parrhesia/critique/266840369
Episode 2 ici : https://www.senscritique.com/album/weightless/critique/266878880
Episode 3 :
- Viens Vitali, tu dois te reposer, tu as fait ton travail, rentrons ! C'est au tour de Pavel et de Volodymir. Il nous reste quelques gâteaux secs et un peu de viande séchée. Tu pourras aussi te laver, viens, allons, cela te fera du bien.
En disant ces paroles Larysa laissait reposer sa main sur la nuque de l'homme qui lentement déplia son grand corps puis vouté s'engagea dans l'intestin de gravats.
- De retour ? Alors, dit Pavel, qu'en pensez-vous ? On n'est pas loin de sortir ?
- J'emmène Vitali il a besoin de se laver, dit Larysa.
Dans la pénombre trouée par une petite lampe à alcool, les visages brillaient faiblement, plongés dans un clair obscur diffus qui masquait leurs traits tirés et leur abattement.
- Ecoutez, d'abord mangeons un peu, dit Volodymir, que reste-t-il ?
Tout le monde s'assit en cercle puis Kalyna s'approcha d'une petite cantine, l'ouvrit religieusement et distribua à la ronde quelques biscuits et un peu de lard fumé. Elle s'abstint de dire qu'il ne restait presque plus rien car de toutes façons, hormis les petits tous savaient. Ensuite elle s'approcha de ses enfants et sur un torchon posé à même un vieux matelas déposa les victuailles.
C'était peu de choses mais cela leur fit du bien et Vitali se reprit à sourire, maigrement mais il sourit. Il ne pouvait lui, le colosse montrer ses faiblesses, il devait tant qu'il y aurait de l'espoir afficher sa force, pour lui, pour eux, pour les enfants. Après ce maigre repas Volodymir et Pavel se levèrent pour se rendre au tunnel, Kalyna les suivit ainsi que ses deux adolescents. Roman avait 14 ans, sa sœur Lilia 16. Les rôles étaient bien répartis, les deux hommes creusaient se relayant à l'avant puis ils faisaient passer les gravats à l'arrière. Alors Kalyna et ses "ados" les sortaient du conduit.
Profond silence à peine perturbé par le choc sourd et lointain des outils qui forent dans la nuit du ventre d'un serpent. Sueur grasse de particules coulant sur les visages et les corps. Bouche ouverte aspirant un air vicié de poussière qui s'insinue dans les poumons. Membres alourdis, peinant à lever l'outil, à remuer les charges. Mains abimés, gonflées, écorchées. Pâle lumière éclairant un souterrain carcéral. Travail harassant dans ce couloir terrible sombre et sale. Visages graves de mineurs luttant pour la survie. Alors la pensée dérive vers ces hommes qui se sont tués à la tâche et qui se tuent encore au "fond", enfouis dans des trous pour le profit des autres, pour une quête hypothétique, une envie de richesse, le mirage de l'or, des pierres précieuses ou juste pour de l'eau. L'espoir est une fumisterie, une drogue dure. Il attire les plus faibles, ceux qui n'ont rien. L'espoir brille il est la lueur en apparence inoffensive sur laquelle de petits papillons de nuit ignorants viendront se brûler les ailes. Alors ne pouvant plus voler, ils chuteront au sol et seront irrémédiablement balayés, écrasés.
Larysa saisit la main de Vitali et le guida vers les toilettes. L'eau coulait toujours, garantissant une agonie plus longue s'ils n'arrivaient pas à sortir avant que leurs forces ne soient épuisées. Avec douceur elle déshabilla Vitali. Puis puisant de l'eau et à l'aide d'une éponge et d'une savonnette elle entreprit de laver le grand corps. L'eau était fraiche, les mains douces, Vitali ferma les yeux et se laissa aller à ce moment d'amour, ce moment où une personne fait un acte pour une autre sans rien demander. Bien sur il ne put rester insensible et Larysa ne fit rien pour diminuer le feu de la passion, du désir qui montait en lui. Elle frotta tendrement sa poitrine son dos et n'oublia aucune partie de son corps, s'accroupissant pour lui laver les pieds. Ensuite se redressant, elle planta ses grands yeux noirs dans ceux de l'homme et lui tendit l'éponge. Calmement elle se déshabilla sentant le regard et le trouble qui la couvraient totalement. Alors Vitali entreprit avec la plus grande douceur qu'il le put de laver, à son tour la femme qu'il sentait s'offrir à lui. Il n'était point question de beauté, d'anthropométrie ridicule calibrant les corps et les visages, stéréotypant les hommes ou les femmes soumis à des idéaux consuméristes. Il s'agissait juste de deux êtres, d'un moment d'amour, de douceur, d'abandon, d'oubli. La main large armée de son éponge couvrait presque entièrement la poitrine de Larysa. Celle-ci fermait les yeux, se tournait au besoin, s'offrait du mieux qu'elle le pouvait aux caresses. Puis, quand ce fut terminé, Vitali l'empoigna par la taille la souleva tendrement et debout, bien campé sur ses jambes puissantes il lui fit l'amour.
Un rayon de Soleil matinal traversait gaiement la vitre, Larysa y porta la main et lorsqu'il se posa sur ses doigts elle le caressa amoureusement, jouant avec la lumière. Derrière la fenêtre, l'astre d'or se levait placidement, et déployait au ciel un éventail transparent de rayons mordorés, dans la prairie les gouttes de rosée scintillaient comme de minuscules perles de cristal, les oiseaux plein de joie printanière faisaient une fête, animant l'aurore de leurs pépiements agréables, les champs brumeux, la forêt, toutes les choses de la nature accueillaient l'astre bienfaisant qui gommait les ombres de la nuit. Clignant des yeux, Larysa sortit de sa rêverie. Ses doigts jouaient avec une mèche des cheveux de Vitali la tournant dans un sens, dans un autre. Malgré la faim elle se sentait bien. Allongés sur ce vieux matelas, les deux amants se reposaient, bientôt il faudrait retourner au 'trou" qui, peut être, qui sait, les avalerait. Son visage anguleux, son nez busqué sous ses grands yeux noirs accentués par l'air renfrogné qu'elle affichait en permanence ne reflétaient plus de peur, elle découvrait autre chose, un être qui malgré son aspect impressionnant était plein de douceur. Depuis dix jours qu'elle l'observait elle s'était bien rendu compte de ce contraste et immédiatement elle avait apprécié cet homme alors qu'elle avait pris pour habitude de les fuir, de les détester. La cicatrice qu'elle avait sur son sourcil comme une coquetterie et l'autre bien plus longue caché sous ses cheveux de jais nourrissait sa haine mais aujourd'hui il n'en était rien. Doucement elle laissa ses émotions l'envahir et calmement comme par bonheur, silencieusement, elle se mit à pleurer.


Épisode 4 ici : https://www.senscritique.com/album/the_joy_of_motion/critique/220021677

SombreLune
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le 19 mars 2022

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