The Crazy World of Arthur Brown par Benoit Baylé

Aussi incongru que d'évoquer Stevie Ray Vaughan en omettant Jimi Hendrix, aussi réducteur que de limiter l'influence des Rolling Stones sur les Flamin' Groovies, écrire sur Arthur Brown appelle irrévocablement à mentionner le jazzman/bluesman Screamin' Jay Hawkins. Maître voodoo pyromane et pétomane, ce dernier illumine les années 50 par son excentricité iconoclaste, souvent choquante, toujours créative. Alice Cooper, Kiss, Jimi Hendrix, nombreux sont les voodoo children à s'en être inspiré, lui empruntant pour certains son goût du déguisement, pour d'autres sa science de la théatralisation. Le jeune anglais Arthur Brown dressera quant à lui un véritable autel à la gloire de Screamin' Jay Hawkins, allant jusqu'à singer les moindres de ses mimiques scéniques, adaptant ses extravagances à un style musical plus en vogue à l'époque, le rock psychédélique. Cornes enflammés, vociférations suraigues, danses incantatoires, maquillage maléfique (qu'Alice Cooper reprendra d'ailleurs presque à l'identique), les folies théatrales d'Arthur Brown l'amènent rapidement à se faire une place de choix au sein de la scène musicale anglaise de l'époque. Loin des joies Beatlesiennes, tout aussi éloigné des divagations psychédélicobluesy des Rolling Stones, le jeune anglais sonne le clairon du shock rock, à travers un univers déjanté découvert par le grand public grâce au tube de 1968, "Fire".

"I'm the God of Hellfire and i bring you fire". Que ce titre soit celui qui mènera Arthur Brown à la gloire est symbolique : si le feu est devenu au fil des années la marque de fabrique du showman, c'est parce que ses premiers balbutiements scéniques y sont liés. Bien avant de devenir le "Dieu du Feu de l'Enfer", il expérimente sur les planches les plus profanes de ses démences, au point de terminer plusieurs de ses concerts nu. Au Windsor Festival de 1967, ainsi accoutré d'une délicieuse tenue d'adam, voilà que notre ami se décide spontanément de porter une passoire aspergée d'alcool méthylique en guise de heaume, laquelle finira inévitablement par s'enflammer. Heureusement, festival oblige, deux spectateurs l'arrosèrent de bière, lui sauvant la peau (et les cheveux). Dès lors, plutôt que de verser dans une aversion vis à vis de la première qualité élémentale, Arthur Brown fait de cette mésaventure flamboyante son seing, apparaissant à partir de cet instant toujours fagoté d'un casque aux cornes incendiées, comme un ardent témoignage de son incoercible aliénation.

Aliénation qu'il partage d'ailleurs avec son claviériste, le bipolaire Vincent Crane, futur Atomic Rooster. L'entente artistique entre les deux hommes sera le facteur déterminant de la réussite du premier album sorti en semptembre 1968, justement baptisé The Crazy World Of Arthur Brown. Cette alliance Brown/Crane y apparaît comme une des plus judicieuses collaborations entre psychédélisme effarouché et groove assuré. L'influence du méconnu claviériste y est prédominante, écrèmant d'une musicalité autodidacte prodigieuse les paroles d'un Arthur Brown mi-inquiétant mi-second degré. Jamais le psychédélisme n'a été si entraînant et enthousiaste, jamais il ne le sera à nouveau. Les enchantements comme "Prelude/Nightmare", "Fanfare/Fire Poem" ou "Rest Cure" sont rares, bien trop rares pour être ignorés plus longtemps par le néophyte (ou le vierge, au choix). Ces mêmes novices trouveront en cet album une formidable ouverture vers le monde psychédélique, riche univers aux premiers abords sybillin, voire incompréhensible pour certains. Il est temps que la méprise liée au psychédélisme, soit l'affirmation par la complaisance que "le rock psychédélique, c'est de la musique faite par des drogués, donc de la musique pour drogués", cesse une bonne fois pour toutes. Certes, le genre tire son nom des psychédéliques, les fameux psychotropes hallucinogènes. Certes, Vincent Crane et Arthur Brown ne sont pas les dernier à en consommer, jusqu'à s'en inspirer pour certaines de leurs compositions ("Fanfare/Fire Poem"). Ce qui fait la beauté et l'unicité du genre, c'est qu'il n'est pas nécessaire d'être dans le "trip" pour métamorphoser les chansons en voyages. Il faut simplement faire de l'imagination son plus fidèle transport.



PS : Soulignons néanmoins l'étonnant choix de réédition de la maison de disque qui fournit la moitié de l'album en monaural, avant de redémarrer l'album de ses débuts en stéréophonique. Un choix inexplicable qui a pour unique don de couper l'auditeur en pleine écoute... Il est donc conseillé à ce dernier de ne commencer la découverte de l'oeuvre qu'à partir de la piste six.
BenoitBayl
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le 9 déc. 2013

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