En 1970, "Tea for the Tillerman" était un incontournable dans les chambres des ados. Après le tsunami commercial de "My Lady d'Arbanville", il y avait eu à la radio le glissement de terrain "Wild World" et le gentil Cat vendait des camions d'albums à une époque où cela vous rendait richissime. Nous, qui commencions à gratouiller la guitare, nous nous essayions piteusement à séduire nos petites amoureuses en jouant "Father and Son" (sans trop réfléchir d'ailleurs à un texte qui pourtant tentait de réhabiliter nos parents que nous commencions à rejeter plus ou moins franchement...). Bref, "Tea for the Tillerman" était une sorte de marqueur de l'époque, même si une certaine gentillesse fade l'empêcha toujours d'être vraiment émotionnellement indispensable. Nous sentions bien, malgré notre ignorance musicale, que Cat Stevens n'était pas du tout fait du même bois qu'un Dylan qui nous titillait les neurones, qui nous énervait, mais que notre prof d'Anglais contestataire vénérait. Il n'était pas difficile en fait de comprendre que le joli garçon sensible qu'était Cat, en dépit de ses textes plus intéressants qu'ils ne paraissaient au premier abord - une vraie tristesse, un profond pessimisme se dissimulait derrière la douceur et la sensibilité commercialement acceptables - ne serait qu'un feu de paille.


Quelque temps plus tard, quand Cat surprendrait son monde en déclarant une foi musulmane assez radicale - et démontrant paradoxalement (et malheureusement) une véritable avance sur son temps -, il nous fournirait la parfaite justification pour ne pas avoir à réécouter ses disques. Et il s'enfoncerait dans l'oubli.


Reposer "Tea for the Tillerman" sur sa platine en 2017 n'apporte aucune révélation, aucune surprise : tout est pareil, joli, un peu anodin, touchant par instants, parfaitement dispensable... même si finalement moins "daté" que d'autres albums autrement plus essentiels. On a envie de sauver du lot l'étrange "Sad Lisa", où Cat Stevens laisse percer sous une mélodie sublime - sa meilleure ? - une sorte de vertige psychotique qui aurait pu constituer une piste possible lui permettant d'élargir le spectre de son inspiration bien conventionnelle.


[Critique écrite en 2017]

EricDebarnot
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le 3 déc. 2017

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Eric BBYoda

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