Sweet Revenge
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Sweet Revenge

Album de Amanda Lear (1978)

I Should Be Difficult To Find, So Follow Me, Yes Follow Me ...

Amanda Lear est une personnalité singulière dans le monde culturel. Créature androgyne, cultivant un mystère perpétuel quant à son âge ou son sexe, Miss Lear a traversé la fin du siècle dernier en imposant une image certes sulfureuse mais néanmoins toujours chic. Je vous propose, dans la chronique d'aujourd'hui, une rétrospective de sa vie et de son oeuvre à cette époque là, par le biais d'un de ses best-sellers, Sweet Revenge, sorti en 1978 pour le compte d'Ariola Records.

"Homme ? femme ? je suis au fond telle/tel que vous me percevez..."

Ces propos évasifs, donnés en 2002 au journaliste Roberto Rizzo, définissent assez bien Amanda Lear. Nul ne sait vraiment quand elle est née, ni s'il a toujours s'agit d'une femme. Il est cependant certain qu'Amanda Tapp, de son nom présumé de naissance, est venue au monde à Saïgon, en actuel Vietnam. Les avis divergent et se perdent en interrogations et théories quant à ses origines réels, certains lui prêtant même un début de carrière masculin (sous l'alias Peki D'Oslo) dans le milieu des cabarets transformistes, accentuant encore le doute sur une possible transidentité. Le mystère est particulièrement bien résumé par le magazine français L'Express en 1978:

« Née un jour en Transylvanie, le lendemain en Suisse, d'une mère parfois française, d'autres fois russe, d'un père anglais ou indonésien selon les saisons, Amanda, visiblement, n'aime pas trop se pencher sur son passé. Serait-ce la crainte d'en voir resurgir un petit garçon aux attaches fines et au cœur perturbé ? Bref, elle préfère jaillir de nulle part à la fin des années 1960, et simultanément à Paris, à Londres, à New York […] »

Cependant, il est fort probable que cela ne soit qu'un gigantesque coup de publicité, assez comparable à ce que David Bowie a pu faire au début de sa carrière glam, manipulant sans souci son histoire personnelle à son intérêt, nous aurons l'occasion d'y revenir.

Au début des années 60, Amanda débarque à Paris, où elle fait la connaissance du peintre surréaliste Salvador Dali, qui en fait rapidement son modèle, et, au-delà de ça, sa muse. Elle sera la figure principale de certaines de ses oeuvres, comme "Hypnos" (1965) ou encore "Venus In Furs" (1968), et l'accompagnera durant toutes ses sorties. Rapidement mariée à un jeune homme déniché dans un pub, Morgan Paul Lear (dans le but d'obtenir la citoyenneté britannique), Amanda Lear commence à évoluer dans les hautes sphères du Swinging London, fréquentant pendant une courte période le Rolling Stones Brian Jones. Elle se lance au même moment dans le mannequinat.

Lear reste très affiliée au monde de l'avant-garde musicale britannique du début des années 70, rencontrant et fréquentant un temps le jeune Bryan Ferry, que nous connaissons bien ici, leader du cultissime Roxy Music, réputé pour ses pochettes d'albums très glamour . Elle sera l'égérie du deuxième disque de la formation, For Your Pleasure, toute vêtue de cuir noir brillant, tenant en laisse une panthère noire (panthère shootée au Valium pour les besoins de la photo, véritable anecdote). Sorti fin 1973, le deuxième Roxy est un succès, et Amanda rencontre à ce moment le jeune David Bowie, alors en pleine ascension . S'ensuit alors une nouvelle relation, et certains conseils qui modèleront sa vie pour les prochaines années.

Car ce cher Bowie à l'oreille et le talent. Il a de suite repéré le potentiel de la voix d'Amanda Lear, grave et sensuelle, et celui-ci l'encourage à se lancer dans la musique en lui payant des cours de chant et de danse. Elle apparaît aux côtés des Spiders From Mars, de Marianne Faithfull et de son nouveau mentor dans The 1980 Floor Show, considéré aujourd'hui comme l'adieu de David Bowie à la scène glam. Amanda entre pour la première fois en studio en 1975, pour y interpréter un morceau intitulé "Star", produit par Bowie. Cette bande est inédite à ce jour.

Petit saut dans le temps, bienvenue en 1977 ! Amanda a signé l'année précédente un contrat avec la maison de disque munichoise Ariola, et elle a déjà publié un album, I Am A Photograph, élaboré en collaboration avec le producteur Anthony Monn. Le disque rencontre le succès, le public adhérant bien au style euro-disco de la chanteuse, style très en vogue en Europe à ce moment là, né d'une volonté de concurrencer le disco dit "américain" représenté par des mastodontes comme Boney M ou les Bee Gees. L'euro disco est plus synthétique, reposant plus sur la pop traditionnelle (et le travail électronique expérimental de groupes comme Kraftwerk) que son homologue d'outre-Atlantique, basé lui sur la soul et le funk, et sera donc très populaire, notamment via le travail de Giorgio Moroder ou de Reinhold Mack, qui collaboreront avec des artistes prestigieux, comme le duo Sparks ou le groupe Queen.

1978 voit la parution de son deuxième album, et accessoirement de notre sujet d'aujourd'hui, Sweet Revenge, continuant et approfondissant cette lancée euro-disco, tout en se diversifiant quelque peu. Le fer de lance du disque est indisuctablement "Follow Me", véritable tour-de-force synthétique, absolument fascinant. De multiples fois samplée et reprise (notamment par l'ami Bertrand Burgalat sur l'excellentissime et chaudement recommandé album live Bertrand Burgalat Meets AS Dragon), "Follow Me" est le titre emblématique d'Amanda Lear.

En réalité, la première face de l'album est basé sur un concept, l'histoire d'un pacte faustien conclu entre une femme et le Diable, une âme contre gloire et richesses. Les titres sont assez parlants: " Follow Me", la tentation du malin, "Gold", ai-je vraiment besoin d'expliquer (qui sait?), "Mother, Look What They've Done To Me", comme quoi il faut toujours réfléchir avant, "Run, Baby, Run", mais peut-on échapper au Diable ? La réponse est non, puisque le tout se répète à l'infini, par la reprise en fin de face de "Follow Me", dans une version légèrement différente, plus douce et amère. Toute la face 1 est en fait un grand medley, de titres disco vraiment tous réussis, il faut le dire.

La face B n'est pas conceptuelle, et beaucoup plus diversifiée. Le premier titre, "Comics", aux paroles un peu folles où notre amie semble accueillir toute une floppée de personnages de bande dessinée, est sans doute une allusion musicale aux débuts cabarettistes d'Amanda, un étrange mix entre music-hall et rythme robotique. "Enigma" est l'autre titre phare de l'album, d'une sensualité certaine, il reste cependant moins marquant que "Follow Me". "The Stud" est le moment rock de Sweet Revenge, guitare saignante et rythme implacable, c'est tout de même assez anachronique ici dans un disque à majorité dance-disco. "Hollywood Flashback" termine le disque sur une note plus douce et légèrement kitsch (ces choeurs :) ). Cela reste tout de même une assez jolie chanson, réflexion sur le vieil Hollywood de l'Âge D'Or, marquée par un agréable synthétiseur.

Sweet Revenge (ainsi que son successeur, Never Trust A Pretty Face) est sans nul doute le meilleur album d'Amanda Lear. Florilège du style euro-disco, celui-ci sera un grand succès, se vendant à plus de 570 000 exemplaires rien qu'en France. Sous sa pochette tout à fait dans l'air du temps, Sweet Revenge n'est tout de même pas exempt de défauts (la face A est bien plus intéressante que la face B) et souffre de quelques chansons plus faibles ("Comics" ou "The Stud"), mais cela reste un album bon dans l'ensemble, mention spéciale à l'originalité de son medley disco.

Les musiciens, requins de studio allemands, sont d'un professionnel indiscutable, et Amanda Lear donne à des titres simples de prime abord une toute nouvelle portée, par le détachement avec lequel elle les chante. Sa voix grave et sensuelle liée à ce tout nouveau style de synth-disco blanc donne un mélange tout à fait plaisant.

Comme dit précedemment, le successeur de Sweet Revenge, Never Trust A Pretty Face, est un autre succès, offrant une excellente chanson, "Fashion Pack". Néanmoins, ce sont les derniers faits d'armes musicaux marquants d'Amanda Lear, qui sortira certes d'autres disques, mais sans grand intérêt. Celle-ci continue tout de même à marquer le monde, d'une autre manière...

Sweet Revenge, la question reste la même: allez-vous la suivre ?

Sweet Revenge, full album

"Follow Me", clip officiel, très 1978 :)

"Gold", mon coup de coeur

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le 3 oct. 2022

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