Subliminal
3.1
Subliminal

Album de Gims (2013)

Je reste longuement devant cet immeuble sans charme du XIXe arrondissement de Paris. J’hésite encore. Je regarde la discrète plaque à l’entrée. Sur le noir brillant ressort en lettres rouges « Subliminal, la face cachée ». Le froid me pousse à entrer. Face à la porte, une jeune femme attend derrière un bureau. Son buste est compressé par un bustier trop serré, chaque inspiration est une torture. Autour de son cou, un collier à clous, les pointes dirigées vers sa peau.


« Veuillez attendre dans la pièce d’à côté. Le Maître vous rejoindra. »


J’entre prudemment. La pièce contient un lit et des fauteuils. Sur une table, des instruments étranges et menaçants. J’attends, entre impatience et excitation.


Car, oui, aujourd’hui, je veux avoir mal. Humilier mes oreilles. Asservir mon cerveau. Je veux être la chose de Maître Gims.


La lumière décroit. Ça y est. Le Maître n’est pas là, mais une musique l’introduit, l’entrée en piste 1. Des hurlements de loups, du XIXe arrondissement sûrement, une porte qui grince… Dans la pièce d’à côté, j’entends une fille crier et un chanteur d’opéra. Sûrement une torture pour fan de Kendji Girac, obligée d’écouter un opéra. La perversion du Maître est raffinée. Des voix d’opéra pour introduire un album de rap, c’est toujours la classe, comme de la moquette dans un Mac Donald.


Le Maître finit par rentrer quand je m’y attends le moins. Il se tient là, grand et dominant. Ses lunettes noires cachent le mystère de ses yeux. Il ouvre enfin la bouche.



« La jalousie de l'Homme l’abîme / Il désire ce qu'il n'aura pas / Il est plus noir que son ombre solitaire »



Oui, je désire de la bonne musique que je n’aurai pas. Oui, je vais avoir mal dans ce « Subliminal, la face cachée » du Maître Gims.


Il commence fort en me promettant un « Meurtre par strangulation ». Et il étrangle en moi toute velléité de mélodie en m’enfonçant dans les oreilles un son lourd et sans originalité. Mais, je ne suis pas à la hauteur, je suis encore sali par la vraie musique. Le Maître me gronde et me punit.



« Faute ! Mets ta tête au sol #Penalty / Bienvenue : t'as le choix entre pâtes et riz / Ici, on apprend à décoller sans atterrir » (Meurtre par strangulation)



Je suis gêné, un peu honteux. Je ne connais pas tous les termes techniques du SM. Pâtes et riz sont-ils les petits noms de cravache et fouet ? Il me hurle dessus.



« Vous fiez pas aux apparences : les plus dangereux sont tout-petits » (Meurtre par strangulation)



Bon, si vous insistez Maître : une cravache al dente alors. Il prend ça comme la provocation d’un élève revêche. Alors, il me pose une colle.



« Est-ce que Usain Bolt court plus vite que Ben Ali ? » (Meurtre par strangulation)



Je suis aussi penaud qu’un élève qui ne connaît pas la réponse. Je suis silencieux, je regarde mes pieds et j’attends. Le Maître décide alors de me récompenser avec son supplice le plus délicat. Il déchire un morceau de feuille blanche et en saisit les extrémités du bout des doigts. Par coups secs, il déchire la chair de la langue française.



« Les p'tits ne parlent que de bif / Reportages sur la sère-mi s'regardent sur plasma HDMI / Ne m'fais pas gole-ri, ne m'fais pas gole-ri » (Meurtre par strangulation)



Je frémis sous ses coups de butoir contre ma langue chérie. Ça fait mal. Mais le Maître voit que je résiste, que j’essaie de reformer les phrases correctement dans mon cerveau. Alors il presse du citron sur les plaies encore fraîches.



« On a kické, t'étais piqué, t'as quitté tous tes équipiers / Et des flows de fêlés, de taré, té-ma' les xte-té' sous scellé / Té-ma' la queue devant, ils s'demandent quand est-ce qu'on a filé » (Ça décoiffe)



J’abandonne. Larousse n’est plus qu’un corps enseignant agonisant dans un Littré froissé et tâché. Alors face à la mollesse de mon érudition, le Maître me propose d’autres options plus extrêmes. Comme le déguisement.



« Pendant qu'les employés d'chez Disney s'mangent le pénis à Mickey / J'me suis dit : "Ça sent l'roussi" » (Meurtre par strangulation)



Ou même du scatologique.



« Casquette, re-cui', baskets noires, swaggi-swaggé / Là j'ai tout c'qu'il m'fallait, manquerait plus qu'j'ai la diarrhée » (Ça décoiffe)



Mais je refuse. Il ne me domine pas encore totalement. Le Maître se maîtrise, mais je sens sa déception. Puis son visage se pare du sourire satisfait de celui-ci qui a trouvé le point faible de l’autre. Il s’approche de moi, tend sa main et « J’me tire » ma partie la plus sensible : le Voice coder. Je souffre. Il m’insulte.


« T’aime ça hein, ma grosse Kanye West. »


Alors qu’il me traîne dans la boue, il me donne un ultime coup dans mon sens de la rime.



« Si c'est comme ça, bah fuck la vie d'artiste / Je sais qu'ça fait cliché d'dire qu'on est pris pour cible / Mais j'veux l'dire juste pour la rime » (J’me tire)



Mais où la rime ? Il m’a aveuglé. J’essaie d’utiliser mes autres sens, mais ils sont tout aussi meurtris. Mon ouïe vacille sous les pointes du Voice coder. Mon odorat est envahi par une odeur de défécation. Ma langue française n’est que plaies. Mon corps ne sent plus rien, il est à bout.



« Je n'peux que saliver, fatigué de désirer / J'me sens utilisé, ténébreux comme mes cernes » (Épuisé)



Seule me reste la raison. Et le Maître l’a senti. Il me porte le dernier supplice, il brise ma logique en petits morceaux.



« Sache qu'on n'emprunte pas l'océan des épreuves à bord d'un voilier » (VQ2PQ)



Que signifie cette métaphore ? Je ne comprends rien au sens de ses textes. Le Maître aligne les phrases sans raison. Est-il dadaïste ? Je ne vois pas d’autre explication rationnelle… Il faut que ce soit rationnel, sinon, nous ne sommes que des bêtes.



« J'marche sur des bouts d'verres, le bonheur est éphémère / Tu peux te faire refiler l'sida par une infirmière » (Laisse tomber)



Mon brain me quitte, j’sais plus lerpar. Ma sonrai fait l’zonzon.



« Mais trop tard / Perdu dans un brouillard / T'es parano / Manipulé par un autre / Tu n'es que l'ombre de toi-même / Ta raison se déchire / Tu défies tes désirs / Laisse-toi tomber » (Zombie)



Ça y est. Je suis sa chose. Le Maître Gims me domine.



« J'aimerais devenir la chaise sur laquelle elle s’assoit /Ou moins que ça, un moins que rien / Juste une pierre sur son chemin […] Rends-moi bête comme mes ieds-p', hé hé / Bête comme mes ieds-p', hé hé / J'suis l'ombre de ton ien-ch', hé hé / L'ombre de ton ien-ch', hé hé » (Bella)



Le Maître est ravi. Je ne suis plus que douleur et soumission. Mes oreilles sont à jamais avilies. Mon innocence est perdue. Je me lève. J’essaie de conserver un peu de dignité dans cette misère textuelle. Et quand je m’apprête à quitter la pièce, quand je pense être enfin libre, le Maître m’appelle. Il sourit. J’ai l’impression de voir une lueur derrière les verres fumés de ses lunettes.



« En novembre 2014, l'album Subliminal dépasse le million d'exemplaires vendus, dont 800 000 en France. »



Il y avait encore quelque chose à briser en moi : l’espoir.

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le 30 avr. 2016

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