Les aventures de Luke, Han et Leia auraient dû se terminer ici, aux confins de l'immense galaxie cinématographique Star Wars mais celles-ci furent relancées dernièrement, apportant d'ailleurs à John Williams de nouvelles thématiques à explorer et sur lesquelles je m’appuierai dans une prochaine critique. Le Retour du Jedi, troisième épisode de la première trilogie, est un opus difficile à cerner tant sur le plan filmique que sur le plan musical. Le dernier long-métrage réalisé par Richard Marquand a la lourde responsabilité de conclure ce voyage interstellaire, sous la tutelle du producteur et créateur de la saga George Lucas : le film se veut enjoué sur la planète Endor, notamment, mais relève aussi d'une forte intensité dramatique lorsque les sabres-lasers de Luke Skywalker et de son père se croisent une seconde fois dans un ultime duel. La baguette du compositeur avait déjà, auparavant, arpenté toutes les nuances, toutes les hauteurs, toutes les harmonies que l'on souhaite trouver à l'écoute d'une telle pièce symphonique – parce qu'elle l'est définitivement. Une tâche bien compliquée attendait le maître Williams et il ne pouvait en aucun cas rivaliser avec la somptueuse bande originale de l'Empire Contre-Attaque, ni même retrouver la saveur unique des pistes d'Un Nouvel Espoir. Lorsque l'on a déjà atteint les limites de notre capacité créatrice, comment concurrencer ce qui fut alors fait à la quasi-perfection ? Cependant, ce serait comme dire que Mozart n'a pu réaliser mieux que sa Symphonie n°40, Beethoven sa Symphonie n°5, Dvořák sa Symphonie du Nouveau Monde et que sais-je ! La musique est faite d'innovations, d'explorations, d'expérimentations et nécessite de regarder au-delà de ce qui est préalablement exécuté sans pour autant nier les influences et les reprises. Ainsi, la bande originale du Retour du Jedi tient de ce simple postulat : en l'écrivant, John Williams renoue avec les anciens thèmes sur un ton nostalgique en les approfondissant, et scrute de nouveaux horizons musicaux plutôt intéressants.



A nouveau dans le désert :



https://www.youtube.com/watch?v=KeTgginH0lI


Encore une fois, le troisième épisode de la saga Star Wars s'ouvre sur le fameux Main Title ainsi nommé Main Title/Approaching The Death Star/Tatooine Rendez-vous. Encore une fois, il faut se réapproprier une des musiques les plus marquantes du cinéma hollywoodien. Les notes ont beau se répéter, jamais elles ne se ressemblent d'un enregistrement à l'autre puisque aucun des trois premiers films n'a la même teneur dramaturgique. Naturellement, ce Main Title aurait mérité d'être le plus mémorable de toute la première trilogie car il devait en effet la conclure. Or il n'en est rien. Étonnement, celui-ci ressort moins frappant que celui d'Un Nouvel Espoir et moins bestial que celui de l'Empire Contre-Attaque. En fait, ce qui se dégage essentiellement de cet énième réinterprétation du Main Title, c'est à quel point le thème initial – par extension, celui de Luke Skywalker -, domine l'ensemble musical. En d'autres termes, les accompagnements paraissent éclipsés au profit de la trompette sifflante qui chante le Main Title ; ce qui veut donc signifier que le Retour du Jedi porte bel et bien un nom évocateur, même dans le cadre de la bande originale. Ceci n'est pas du tout nouveau puisque Un Nouvel Espoir était principalement coloré du thème de la Force tandis que l'Empire Contre-Attaque établissait le règne de l'Imperial March, deux thèmes toujours présents dans cet opus. Le long-métrage de Richard Marquand est avant tout, comme le titre l'indique, le film consacré à Luke Skywalker achevant sa formation, devenant le « dernier des Jedis » comme l'insinue Yoda avant de mourir. Ainsi, il est tout à fait logique que le thème de Luke soit le dernier des thèmes à être entendu à la fin de cette trilogie. Pour en revenir à la suite de ce Main Title, on peut dès à présent affirmer que la partie Tatooine Rendezvous demeure moins intéressante même si elle nous renseigne sur l'autre visage de la planète de sable : une vision plus inquiétante, plus sordide autour du personnage de Jabba le Hutt. De fait, il n'y a presque rien de musical dans ce qu'évoque le gangster baveux. L'apparition des deux droïds, qui, une nouvelle fois, nous introduisent sur Tatooine comme au début d'Un Nouvel Espoir, est caractérisée cette fois-ci par des notes rebondissantes sur mode binaire marqué par les violons. On est loin des inspirations proches de Stravinsky et de Ravel.


De retour sur Tatooine, la musique de Williams se déploie autour d'harmonies et de thèmes d'inspirations très modernes. A partir de The Droids Are Captured, les influences s'étendent de la fin de l'âge romantique à la fin de l'époque moderne d'après 1945 : facilement, on peut repérer quelque chose d'assez similaire à Prokofiev. Il faut dire que le compositeur russe a un côté très cinématographique dans sa musique, bien plus que des compositeurs plus connus et trop souvent cités par les réalisateurs. D'autre part, Williams amène énormément de tension dans ses compositions, y compris dans la piste suivante, à savoir Bounty For A Wookiee. Le morceau précédent reposait beaucoup sur des violons stridents à une hauteur conséquente, tandis que Bounty For A Wookiee développe ses cuivres dans un panel de jeu très diversifié accompagnés évidemment de timbales afin de personnifier ces moments pesants. L'ouverture de ce morceau sonne musicalement comme une alarme puis John Williams introduit un tuba plutôt balourd. Naturellement, le tuba a un son très grave, un peu péteux mais cela caractérise finalement très bien le personnage de Jabba. Les trompettes, quant à elles, fournissent plus d'énergie nécessaire à la tension. En outre, la malice de la limace trouve un écho dans les notes séduisantes d'un cor anglais puis d'un hautbois au caractère plus doux. Il faut dire que le compositeur américain insère dans cette piste quasiment tous les instruments à vent du répertoire classique, les rendant tantôt dansants avec des notes aériennes (le tuba, la flûte …), tantôt pénétrants avec des notes soutenues (le cor anglais, la trompette …). Rares sont les compositeurs qui utilisent le tuba car ce dernier figure parmi les instruments les moins nobles de la famille symphonique, mais, encore une fois, cela correspond tout à fait au personnage de Jabba. En revanche, même s'il est nettement moins présent, l'esprit romantique s'ajoute volontiers, réunissant alors les amants de cette trilogie. Bien que la bande originale du Retour du Jedi soit la dernière à être composée dans le cadre des trois premiers films, on suppose néanmoins que celle-ci est la moins moderne d'entre elles. Alors, bien entendu, en ce qui concerne le répertoire, j'ai énoncé plus haut qu'il était particulièrement moderne. Or par « moderne » j'entends une musique qui soit le reflet de son époque. En effet, lorsque l'on écoute l'ensemble de cette partition, on replonge immédiatement dans les années d'après guerres de 1945-1950.


Pour s'écarter de cette ambiance musicale très fifties, il vaut mieux parcourir les trois morceaux suivants qui renouent avec l'atmosphère symphonique spécifique des deux précédents films. Déjà, c'est avec plaisir que l'on réentend le thème de Han Solo et de la princesse Leia dans Han Solo Returns bien que ce ne soit pas l'essentiel de la piste. Certainement épuisé, le thème n'a pas le temps de se dessiner entièrement. A l'inverse, on ne quitte pas la tension orchestrale rencontrée tout le long du début de la bande originale du Retour du Jedi. Qui plus est, il n'y a pas une grande différence entre Han Solo Returns et Bounty For A Wookiee évoqué précédemment. Dans le jargon de la musique de films, on peut même affirmer que les deux morceaux sont très descriptifs tant l'orchestre ne raconte que ce qui se passe à l'écran. En d'autres termes, en l'absence de thèmes musicaux marquants, la partition de Williams manque de profondeur : elle reste en surface mais ne plonge pas. Ceci dit, nous nous situons à un moment du récit où les élans philosophiques ne sont pas les bienvenus. Aussi, le leitmotiv au tuba de Jabba le Hutt conclut le morceau puis est de nouveau présent dans Luke's Confronts Jabba/Den Of The Rancor/Sarlacc Sentence. Il est par ailleurs difficile d'écouter le début de cet album tant il ne correspond pas à des habitudes d'amateurs de musique de films. Lorsque Luke's Confronts Jabba/Den Of The Rancor/Sarlacc Sentence intervient, il le fait avec un côté plus contemporain. Fait surprenant, John Williams emploie un synthétiseur en fond sonore, ce qui était évidemment typique dans les années 1980. Cependant, on sait très bien que Williams n'aime pas l'utiliser, non pas parce qu'il ne l'apprécie pas mais parce qu'il ne sait pas comment le rendre percutant. Par conséquent, celui-ci se fait très discret. Peu à peu, la partition retrouve une orchestration plus fine et une structure évidente. Luke éloigne alors ce désordre pour rétablir, en quelques sortes, l'ordre par la Force, dont on discerne le thème brièvement. Un peu de bravoure dans les trompettes ne fait pas de mal. On termine cette longue partie par The Pit Of Carkoon/Sail Barge Assault. L'air de rien, ce morceau fut maintes et maintes fois réutilisé pour diverses raisons – des bandes annonces par exemple – ou alors on se sent familier avec ce dernier puisque le cheminement musical se distingue assez bien de la bande originale. On a tout d'abord des violons tremolo plutôt discrets, les vents marquent subtilement chaque pulsation ainsi que les contre-temps, ce qui, en somme, rend le morceau très habile. Decrescendo des violons puis à-coups de trombones avec une plus forte intensité dans le tremolo. Enfin ! On pénètre dans l'aventure et on prend plaisir à écouter de nouveau le thème principal, secondé du thème du Faucon ; ces deux-là sont d'ailleurs quasiment inchangés par rapport à leur piste d'origine. L'enregistrement, quant à lui, est d'une grande fluidité, chaque liaison a gagné en souplesse sans perdre cette précision rythmique sans égale. Williams désépaissit la noirceur de ses trompettes et ajoute un glockenspiel pour amener du merveilleux : une passerelle entre E.T et Harry Potter.



Le retour du Sith :



https://www.youtube.com/watch?v=1CkQ8oIns2s


Vador a retrouvé sa vigueur, perdue à la fin de L'Empire Contre-Attaque, dans le début de The Empiror Arrives/The Death of Yoda/Obi Wan's Revelation. Je ne m'attarde pas plus sur cette reprise car elle correspond tout à fait à celle entendue dans le précédent film et que j'ai déjà commentée. En fait, lorsque l'on parle du Sith, il s'agit de l'Empereur ou devrais-je dire, Dark Sidious. Son thème, inévitablement moins mémorable que l'Imperial March, n'en demeure pas moins plus perfide. Parce qu'il est ancien, les chœurs trompeurs de ces hommes paraissent antiques. Une autre puissance, tout aussi ancienne voire plus, contre-balance le thème du Sith : c'est celle de Yoda, mais le maître s'éteint (sa substance étendue en tout cas) dans une certaine simplicité que Williams caractérisait déjà très bien dans l'Empire Contre-Attaque. Nonobstant, les multiples variations du thème de la Force sont également à prendre en compte : plusieurs instruments s'en emparent mais seul Luke, le dernier des Jedi, peut réellement la conquérir. Tristesse et mélancolie traversent le morceau alors que les reprises s'enchaînent mais ne dépérissent pas les thèmes si joliment interprétés par des flûtes, des trompettes, des hautbois, des clarinettes. Luke sait à présent : Leia est sa sœur et cet espoir renaît dans la reprise de son thème que l'on n'avait plus entendu depuis Un Nouvel Espoir. En parlant d'Un Nouvel Espoir, certaines nuances sont reprises par Williams dans Alliance Assembly avec, en plus, le savoir-faire acquis au cour de L'Empire Contre-Attaque : on observe nettement plus de rebondissements ainsi que plusieurs légers silences, ce qui amène pas mal de légèreté notamment dans la reprise du thème principal à la flûte. Cette liaison parfaite des cordes prépare déjà les musiques composées par Williams pour la seconde trilogie Star Wars. Néanmoins, la flûte entendue au début de Emperor's Throne Room demeure nettement plus inquiétante. On revient au thème de l'Empereur dans ce morceau, qui malgré une apparence furtive, induit une nouvelle reprise de la marche impériale. Ceci dit, celle-ci s'efface progressivement et avec une assurance presque évidente, le thème de l'Empereur resurgit sans que cela soit forcé. Les instruments deviennent limite hésitants, rongés par deux forces opposées tandis qu'un léger soutien des cuivres accompagne Dark Sidious. Comme pour l'Imperial March, les accompagnements en disent plus que le motif lui-même.


En fait, ce n'est pas tant que la marche impériale se fait exceptionnellement rare sur toute la bande originale, mais qu'elle est très vite happée par le thème de l'Empereur, premièrement, puis par le thème de la Force à l'image de The Lightsaber/The Ewok Battle. Sans effort, le thème de l'Empereur peut donner de la puissance aux cuivres de Vador, alors que le thème de la Force finira simplement par détruire la marche impériale définitivement. Dans The Lightsaber, le chœur des hommes n'est presque qu'un murmure, le chuchotement de l'Empereur à l'oreille de Luke. Ce dilemme pour le père de Luke paraît plus limpide et évident dans Shuttle Tydirium Approaches Endor. Déjà, le thème de Vador est à peine perceptible au début du morceau, comme s'il ne pouvait pas s'accomplir. Les notes demeurent pourtant proches à celles entendues dans la marche impériale, de même que les nuances, mais il ne s'agit tout simplement pas de la même mélodie, voire il n'y a aucune mélodie. Sans besoin d'effort, les chœurs de l'Empereur s'amplifient : c'est bien la première fois, depuis le début de la trilogie, qu'un thème n'est pas bercé par une mélodie, un leitmotiv distinctif. Oh bien entendu, il y a un léger motif, d'à peine deux mesures, mais c'est comme si tout l'art mélodique de Williams avait disparu. Même l'Imperial March est dotée d'un somptueux refrain, que le compositeur a tenté de nuancer à chaque épisode, tandis que le thème de l'Empereur reste inchangé. Pour en revenir au dilemme évoqué précédemment, on perçoit moins le thème de Vador que celui de la Force dans Shuttle Tydirium Approaches Endor : le premier s'endort à la fin du morceau alors que le second s'éveille à différents moments de la piste, sans réelle liaison.



Endor :



https://www.youtube.com/watch?v=ARoVEC_ovJY


Il est temps de parcourir l'ensemble symphonique réservé à la petite lune Endor, où nos trois héros ont atteri avant qu'ils ne soient séparés puis réunis de manière triomphante. Aussi, il est nécessaire de distinguer trois parties aux morceaux qui sont consacrés à Endor. Dans la première, c'est-à-dire l'introduction de Speeder Bike Chase/Land The Ewok, rien ne permet de caractériser musicalement ce nouveau décor de la galaxie Star Wars. Pur morceau descriptif, en ce sens qu'il n'y a pas de développement thématique, la narration se concentrant essentiellement sur la poursuite des Speeders. Ce morceau prouve encore une fois que Williams a atteint le sommet de son art tant il ressemble à tout ce qu'il fera par la suite dans le même registre : les liaisons entre les instruments de différente famille sont parfaites, le legato des cordes – notamment des violons – ne saurait être égalé … etc. Ce qui vient après, et assez rapidement, nous plonge directement dans le pays des Ewoks. La diversité des méthodes de Williams à produire de la musique est sans limite. De fait, le thème des peluches sonne telle une valse – ce que le compositeur utilise assez souvent pour inclure de la légèreté -, tout en conservant un rythme binaire. Il y a quelques instruments exotiques, notamment des percussions, mais Williams parvient toujours à récupérer des instruments du répertoire classique comme la flûte qui chante le thème, ainsi qu'une clarinette. Soudain, l'orchestre s'excite, avec un thème de Han Solo et de Leia très approximatif. Le thème des Ewoks s'est en plus assombri. Les violoncelles jouent extrêmement bas, et l'on croirait entendre les partitions les plus noires de John Williams des années 2000. C'est bien parce que, encore une fois, le thème de l'Empereur a grossi. Petit à petit, les chœurs sont passés de piano à poco forte. En outre, la narration musicale depuis L'Empire Contre-Attaque ne change pas : c'est toujours le grand thème d'Amour qui balaie les ombres maléfiques, avec, en plus, une assurance et une confiance certaine si bien qu'il ne suffit que de quelques mesures pour les écarter. Le morceau suivant s'intitule The Levitation/Threepio's Bedtime Story, où le thème de Force est sublimé, il revêt sa forme originelle. Le centre du morceau est marqué par des gradations à la harpe très plaisantes. Williams reprend différemment ses thèmes mais les liaisons sont brutes. C'est notamment l'occasion de découvrir le thème principal et celui de Han Solo et de Leia dans le corps d'une flûte.


Pour ce qui est de Parade Of The Ewoks, on assiste tout simplement à une reprise du thème des créatures de la lune Endor. Evidémment, le thème est particulièrement enfantin, avec beaucoup de glissati de flûtes et l'introduction d'instruments improbables, notamment un piano sens dessus-dessous. Dans ce genre de morceau, on pourrait croire que l'orchestre désire le désordre et c'est là que Williams surprend ; il y a de la logique et de la rigueur ; les instruments ne sont pas totalement libres. Néanmoins, on éprouve toujours du plaisir à entendre cet orchestre euphorique au milieu d'une composition aussi classique et solennelle que celle de la saga Star Wars, ce qui n'est pas sans rappeler le romantisme d'Edvard Grieg. Ensuite, j'ai voulu enchaîner sur le morceau The Forest Battle car il représente une véritable rupture de la musique d'Endor. Le thème des Ewoks arrive à se faufiler presque magiquement dans le morceau alors que le début annonçait une musique plutôt noire, avec des cuivres excités. The Forest Battle est à la fois l'antithèse et le complément de la reprise de Parade Of The Ewoks, dont le thème parcourt toute la piste. L'enthousiasme est naturellement présent mais la fougue s'empare de nos compagnons à poils. La fin du morceau est un chef-d'oeuvre à elle-seule, avec un emballement de l'orchestre sous la forme d'un scherzo impérial. L'accélération du rythme sur les cordes pour conclure cette sublime reprise du morceau The Ewok Battle peut tout à fait correspondre aux dernières mesures de grandes œuvres symphoniques et de nombreuses valses.


Lors de sa sortie en 1983, Le Retour du Jedi se terminait sur un morceau qui ne figure pas sur l'album. Ewok Feast/Part Of The Tribe fut premièrement composé, puis a été remplacé par Victory Celebration/End Titles dans les années 1990. Le second titre est l'une des musiques de la saga qui m'a le plus marquée : l'ajout des instruments au fur et à mesure que la fête s'installe est d'une efficacité déconcertante. C'était la deuxième fois que le compositeur de cette belle trilogie utilisait des chœurs, mais il débutait d'abord par un chant à la flûte. Ainsi, après trois films consacrés à ce voyage de la famille Skywalker, Williams a finalement trouvé son instrument favori, du côté des solistes en tout cas. C'est comme s'il l'avait cherché depuis 1977 et qu'ils s'étaient mariés en 1983 jusqu'à encore aujourd'hui. En dépit de ce rythme africain, le morceau est très classique dans sa forme : le chœur des enfants puis celui des adultes se confondent avec l'air de la flûte à l'unisson. En effet, en raison de leur simplicité, Williams utilise beaucoup l'unisson pour l'ensemble des morceaux sur les Ewoks. Si le tout semble en effet enjoué, on remarque cependant que la nostalgie capture bizarrement l'instant. Par ailleurs, je dois avouer que je préfère cette version à la précédente. Je crois même que c'est celle qui était initialement prévue, ou plutôt celle que le compositeur, le réalisateur et le producteur et créateur de la saga souhaitaient. A l'inverse de Victory Celebration, Ewok Feast/Part Of The Tribe mise davantage sur sa base rythmique que sur ses élans mélodiques. Les couleurs de ce morceau brillent au son de plusieurs percussions venues d'Afrique dont les mythiques djembés mais il faut regretter un manque de nuances, malgré des phases rythmiques originales.



Les deux batailles :



https://www.youtube.com/watch?v=YJzuCoZTRyI


Avant de passer à la dernière partie de cette critique, il est indispensable de se pencher sur l'un des plus longs morceaux composé par John Williams pour la symphonie Star Wars : The Battle Of Endor. Ce monstre musical dure presque trente minutes et il est divisé en trois parties. En ce qui concerne la première partie, nommée The Battle Of Endor I – on ne pourra pas faire plus simple -, elle se distingue du fait de son caractère essentiellement démonstratif. Malgré quelques mouvements bienvenus et les reprises des grands thèmes de la saga, cette partie demeure surtout une musique extrêmement orchestrale, en ce sens qu'elle ne laisse place qu'à de brefs motifs alors que l'orchestre semble prendre le contrôle de la baguette du compositeur. Parmi les moments marquants de cette première partie, il y a ce leitmotiv à la fois dansant et répétitif, qui, repris par l'ensemble de l'orchestre, semble surgir des compositions de Carl Orff avec ces percussions – notamment les cymbales – marquant intentionnellement les temps. Le lyrisme religieux de Carmina Burana aura davantage sa place dans la seconde trilogie de George Lucas ; ici, John Williams emprunte bien plus au savoir-faire rythmique d'Orff, lourd et marqué, ce qui ajoute une puissance surhumaine à sa musique. Le semblant de lyrisme attendu ne pointe le bout de son nez qu'au moment où le thème de l'Empereur resurgit : or les chœurs ne sont que contours, et ne font qu'envelopper une trompette qui joue quant à elle la mélodie à peine distinctement. Des violons graves et redondants masquent clairement l'échappement de cette flûte inquiète au milieu de la marche impériale. Au milieu du morceau, où l'on perçoit une rupture évidente, John Williams retourne à ses enfantillages mêlés à un esprit guerrier et conquérant. Son addiction pour les cuivres perçants, les glissati, les changements de hauteurs rapides … éclot de nouveau. Encore une fois, les cordes sont à peine perceptibles tandis que les cuivres menacent amplement les autres instruments. Ce déchaînement des trompettes sied parfaitement à la marche impériale qui se permet des allers-retours constants. Vers la fin du morceau cependant, John Williams abandonne ses habitudes presque trop orchestrales pour revenir aux doux hymnes romantiques. Espoir et mélancolie glissent sur les cordes de ces violons mielleux mais gracieux alors que peu à peu, le résonnement des cuivres diminue.


Chaque partie de ce gigantesque morceau est en fait singulière, de telle sorte que l'on peut nettement certifier que The Battle Of Endor II n'a quasiment rien à avoir avec la partie précédente, The Battle Of Endor I. Bien qu'elle en soit sa suite directe, cette piste se concentre davantage, dans un premier temps sur les multiples thèmes qui ont forgé l'âme musicale de la saga Star Wars puis frôle le minimalisme, dans un second temps. C'est ainsi que le thème d'amour handicape premièrement le thème de l'Empereur, comme il l'avait fait face à l'Imperial March, et lègue ensuite sa place au thème de la Force joué exclusivement à la flûte. Cette piste ne fait en aucun cas exploser les cuivres, mais se contente à l'inverse d'entamer une marche glaçante vers la mort : celle du côté obscur, et avec elle, la fin de l'ordre des Sith. Le cœur du morceau s'analyse comme une véritable élégie adressée à la famille Skywalker, où Anakin détruit finalement Vador dans la peine et la douleur. Du point de vue de la bande originale, cela se fait très progressivement. Premièrement, on entend seulement un basson alors que l'orchestre se tait étrangement. Après quoi les timbales annoncent cette terrible fatalité que représente le dernier duel entre un fils et son père. Enfin les violons plaintifs capturent l'instant alors qu'un sabre-laser rouge fracasse un sabre-laser vert, mais c'est à se demander lequel des deux regorge le plus de haine et de colère. Le chœur de ces hommes ne s'affaiblit pas ; après avoir accompagné délicieusement ces violons, la mélodie du mal les conquiert. Les cuivres brûlants et les violons romantiques se battent pour imposer leur domination sur l'orchestre. La fin n'est que souffrance puisque les pouvoirs de l'Empereur sont à leur apogée, et son thème résonne terriblement au sein d'une trompette sifflante et cruelle. Le crescendo qui tournait à l'atonalité se transforme brutalement vers un retour triomphant et violent du thème de la Force. En outre, la chute de l'Empire et de l'Empereur se retrouve personnifiée par la disparition decrescendo des chœurs d'hommes qui les désignaient.


The Battle Of Endor III conclut finalement cet épisode musical de plus de vingt-cinq minutes. Néanmoins, cette troisième et ultime partie n'est pas aussi longue que les précédentes et on peut la découper en deux parties distinctives qui reprennent à la fois les idées de The Battle Of Endor I et The Battle Of Endor II. Effectivement, le début s'approprie l'énergie de la première partie du morceau, en accentuant la militarisation de la composition avec son jeu de caisse claire, et le renforcement de la trompette héroïque. Le principal thème entendu, voire le seul, est celui du Faucon et par extension, celui des Rebelles : ce dernier se balade avec plaisir pendant deux minutes et accompagne la destruction de l'Etoile de la mort. La césure s'effectue à partir de ces deux minutes et la fin du morceau rejoint le minimalisme émotionnel de The Battle Of Endor II. On ne s'attend certainement pas à un tel jeu de la marche impériale, limite audible sur des violons stridents tandis qu'une sublime harpe les consolide. Ce qui semblait maléfique dans le corps d'une trompette, est en réalité particulièrement doux et chaleureux lorsqu'une flûte capture l'Imperial March. C'est bien la première fois que John Williams n'accentue pas l'émotion par un attroupement de violons et de cordes legato. C'est pourquoi la mort du personnage, du moins dans la bande originale, étonne par sa sobriété et d'une certaine manière, par son élégance. Contrairement à ce que John Williams composera par la suite, cette musique apparaît modeste pour faire naître l'émotion. La mort d'Anakin Skywalker se réalise sans prétention, et, délicatement, le pizzicato d'un violon murmure une dernière fois le thème le plus iconique de l'Histoire du cinéma.



Les Skywalker :



https://www.youtube.com/watch?v=8SHgbL5kiUQ


Le récit de cette bande originale pour la première trilogie Star Wars ne s'arrête pas à l'anéantissement de l'Imperial March, bien au contraire. Le berceau de cette fable légendaire se situe dans la famille Skywalker, à laquelle John Williams prête une attention particulière dans Le Retour du Jedi. C'est tout le mystère, la magie, et l'obscurité de ces Jedis qui s'incarnent dans la musique du compositeur américain. L'Empire Contre-Attaque affichait la découverte du père ; Le Retour du Jedi révèle la présence de la sœur. Pour cela, John Williams a écrit une belle et puissante mélodie que l'on démasque dans Luke And Leia. Il faudra surement la comparer avec Princess Leia's Theme d'Un Nouvel Espoir tant on peut y déceler quelques similitudes : les deux morceaux commencent exactement de la même façon, d'abord joué par une flûte puis repris par un cor formel. Ensuite, John Williams utilise toute la gamme des solistes à vent qui reprennent un à un ce thème bien plus pesant et désenchanté que le précédent. Cette souplesse dans les changements de hauteurs et dans le legato des violons s'avère magique, intense et irréelle. Toutefois, le thème de Luke et de Leia est un savoureux mélange du romantisme quasi-érotique de Princess Leia's Theme ainsi que de l'élégance et de la simplicité du thème de la Force : Amour et Force sont les deux piliers de la famille Skywalker. Puis, tout un morceau est exclusivement consacré à l'ensemble de celle-ci : il s'agit de Brother And Sister/Father And Son/The Fleet Enters Hypersace dont la dernière partie ne nous intéresse pas. Pour Brother And Sister, le compositeur enchaîne magnifiquement le thème de la Force, puis celui de Luke et Leia (avec des ostinati de flûtes très inquiétants et mystérieux) avant de finir sur le thème de Han Solo et de Leia, toujours aussi splendide et limpide. Pour Father And Son, l'heure n'est plus tellement au romantisme spirituel des trois précédents thèmes cités même si l'obscurité semble disparaître de l'âme de Vador. Cependant, on assiste de nouveau au duel entre la puissance de la marche impériale et et la sincérité du thème de Luke ou thème principal.


Désormais, il ne reste plus que deux morceaux à étudier dont l'admirable Leia News/Light Of The Force, qui est devenu la référence musicale du thème de la Force car il en explore toutes les nuances. Pourtant, on débute bel et bien le morceau avec le retour du thème de Luke et de Leia, qui sont connectés fraternellement par la Force, alors que le thème de Han Solo et de Leia se joue davantage avec de la vigueur et une jeunesse chimérique. Pour conclure, il faut assister à trois reprises différentes du thème de la Force : la première, au cor puis à la flûte, est particulièrement solennelle ; la seconde en revanche est puissante, violente et majestueuse au son d'une trompette ; quant à la dernière, elle nous entraîne dans une agréable mais pénible tristesse tandis que les flammes dévorent le costume de Vador. L'équilibre dans la Force a été rétabli par le retour du Jedi, autrement dit le retour d'Anakin dans la lumière et non celui de son fils, Luke, parmi les siens. Comme pour déclarer la fin de cette épopée, John Williams marque en effet un silence entre Victory Celebration et le dernier End Titles de cette première trilogie Star Wars. Peut être que le compositeur ne pensait pas du tout revenir seize ans plus tard. Quoiqu'il en soit, le thème principal a repris du poil de la bête et une telle luminosité est fortement appréciable. John Williams en profite pour de nouveau jouer le thème des Ewoks, à la fois enfantin et robuste, de même que le plus triste et fatidique thème de Luke et Leia, à jamais inscrit dans la galaxie, à l'instar de cette dernière reprise triomphale du Main Title.



The End ?



Dans une certaine mesure, tout s'achève ici car les musiques de la prélogie se distinguent remarquablement bien de celles de la trilogie d'origine. Bien que cette partition pour Le Retour du Jedi soit moins cohérente, il paraît évident que le talent de John Williams n'a jamais cessé de croître au fil de la saga. A chaque film, il invente et réinvente son écriture. En l'espace de trois films phénoménaux, le compositeur a bouleversé la musique de films alors que l'électronique se développe fortement durant les années 1980. John Williams s'inscrit aussi dans la continuité des grands noms de la bande originale, comme Herrmann et Newman. Pour autant, John Williams a dit un jour que s'il n'avait pas remis au goût du jour la musique orchestrale, quelqu'un d'autre l'aurait fait. Cette modestie ne doit pas nous amputer le droit de dire qu'il n'y aurait sans doute pas eu le Star Wars que nous connaissons sans la virtuosité de cet immense compositeur. Depuis, les échos olympiens de ce conte chevaleresque résonnent à l'infini et pour toujours dans l'univers.

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le 29 juil. 2016

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