Sologne
6.7
Sologne

Album de Loney, Dear (2004)

Songwriter lo-fi mais sérieusement maniaque et prolifique, Emil Svanägen, l'homme seul qui se cache derrière le nom de Loney, Dear, accumule depuis plusieurs années une discographie ébouriffante, déjà riche de quatre albums, longtemps réservés à l'artisanat local. Cynique et arsenic rimant si glorieusement, les pisse-vinaigre et pisse-copie auront tôt fait de ricaner face à la narration extravagante, aux arrangements complexes et à l'inconscience généralisée de cette pop symphonique : on rappellera sans doute au pauvre Emil que Sufjan Stevens fait ça depuis des années et qu'il faut du toupet, voire de l'outrecuidance pour venir ainsi braconner sur ses terres. Sauf qu'Emil Svanägen a envisagé ? les dates d'écriture jouent en sa faveur ? ses chansons en toute ignorance des Michigan et Illinoise de l'Américain. Il en partage pourtant l'élégance surannée, un don insolent pour l'écriture à tiroirs magiques et une boulimie d'ogre : il promet, sur son site, de sortir deux albums par an ? et ce, jusqu'en 2009, à l'ancienne. Car la musique de Loney, Dear remonte à un autre temps, celui d'avant le saucissonnage iTunes et la dictature sans merci du titre-île, quand on peaufinait encore des chansons qui s'enchaînaient logiquement, formant un récit, une trame, avec de patientes progressions, de subtils changements d'humeurs et de teintes. Bref, des albums. Si le grandiose Sologne a été enregistré en 2004 mais ne sort qu'aujourd'hui en France, son merveilleux Loney, Noir, quatrième album et dernier en date, est commercialisé en même temps. Un nouvel album aux ambitions et aux charmes plus évidents, plus tape-à-l'œil, qui forme avec son prédécesseur un diptyque passionnant, à l'accoutumance redoutable. Car Emil a beau se spécialiser dans l'artisanat de chambrette, il ne sait construire que des palais.
Déception : on s'attendait à ce que Sologne soit le premier volet d'une longue série de disques dédiés à chaque région de France ? comme Sufjan Stevens est en train de composer un disque par Etat des Etats-Unis. C'était trop beau : Emil ignore tout de la Sologne, pensait que c'était un doux et mystérieux prénom féminin qu'il a un peu trop vite attribué à sa nouvelle (petite ?) amie imaginaire. Son album pourrait pourtant, à lui seul, réhabiliter à jamais Lamotte-Beuvron et transformer Romorantin-Lanthenay en lieu de pèlerinage pour romantiques mélancoliques (Inrocks)


Ah, la Sologne, région naturelle préservée, domaine de chasse privilégié, verte contrée animalière. Qui n'a pas rêvé un jour de s'y isoler, loin des turpitudes de la ville, enregistrer l'album de sa vie/écrire le livre de sa vie/vivre l'histoire de sa vie dans une cabane même-pas-de-chez-Ikea, construite de ses petites mains malhabiles avec les hêtres avoisinants ? Des photos de paysages naturels, peut-être suédois, s'étalent dans le livret de son troisième album, alors que Emil Svanängen se lamente d'avoir subi la pression citadine tout en louant les bienfaits du grand air (le tubesque The City, The Airport). On a bien envie de l'y rejoindre, dans sa petite maison de bois véritable. Surtout si l'on y côtoie, les grands soirs, la fanfare de Sufjan Stevens. Et s'il s'agit de trinquer avec les étudiants en Architecture de passage sur la route d'Helsinski, pourquoi ne pas, nous aussi, feindre un accent irlandais, faire crisser les cordes sous les doigts, craquer le plancher ou, soyons fous, siffloter un brin ? Pour la même raison que nos parents sont revenus du Larzac le moral dans les chaussettes, après avoir juré fidélité au fromage de brebis : parce qu'on s'y fait remarquablement chier. Bien sûr, les premiers instants paraissent bien doux, mais il faudrait plus de trois accords bien placés, quelques mignardises orchestrales et d'habiles flatteries acoustiques pour nous retenir au coin du feu. Contrairement à notre ami des glaciers, on a compris depuis longtemps qu'il ne suffisait pas de changer de décorum pour convaincre de son authenticité quand on est un égocentrique geignard. That's all, folks. (Magic)
Et puis arrive cette question que je déteste. Soit qu'on n'ait plus rien à se dire, soit, au contraire, qu'elle soit dans le parfait prolongement de la conversation. En tout cas, je la déteste, cette foutue question, et elle revient sans cesse, parce que figurez-vous, après neuf années de POPnews, je suis censé m'y connaître, en musique et en nouveautés nouvelles : "alors, Guillaume, qu'est-ce que tu as écouté de bien récemment ?".Rien. Enfin si, juste, sans doute, au jugé, une bonne cinquantaine de disques cette semaine. Mais finalement, au moment de donner quelques noms, rien à dire, rien qui marque, si ce n'est, dans le meilleur des cas, les déceptions ou les trucs survendus ailleurs, donc autant dire rien, mais à ce moment-là, adieu crédibilité, aura de prestige, filles faciles et bonjour l'angoisse de passer pour un type blasé totalement déconnecté de l'agitation frénétique et palpitante qui agite le landerneau indie pop.Alors voilà, depuis le début de l'année, Loney, Dear, alias Emil Svanägen, suédois de son état, a réalisé ce miracle : j'ai maintenant quelque chose à répondre à cette infamante question. Merci Emil. Même si je lui suis infiniment reconnaissant, à Emil, je n'irai pas jusqu'à dire que son disque est génial, non, ni jusqu'à clamer haut et fort qu'il bouleversera l'histoire de la musique. Alors pourquoi lui ? Peut-être pour son sens de l'artisanat pop qui ne paye pas de mine mais qui en fout quand même plein les mirettes. A moins que ce ne soit à cause de ses fulgurances mélodiques distribuées comme des bonbecs dans la cour de récré. Ou peut-être pour ses superbes arrangements, tes petites idées extravagantes qui transforment ses chansons en véritables petites pièces montées, sans la ramener ("Where Are You Go Go Going To?", "I Lose it All"). "Sologne", qui sort en France grâce au flair du distributeur Differ-Ant, fourmille des preuves de ce talent simple.Les transitions sont évidentes, logiques et désarmantes à la fois. L'album se construit peu à peu comme un tout indissociable contenant de multiples teintes, de multiples personnalités qui s'accordent à merveille dans un décor bucolique. Dès le premier titre, "The Battle Of Trinidad and Tobago", qui valse allégrement dans un brouillard cotonneux et rassurant, qu'on retrouvera plus tard sur la magnifique et mélancolique "In With the Arms". Ajoutez à cela "The City, the Airport" et "Le Fever", deux tubes à l'évidence pop implacable, qui unissent les Beach Boys, Robert Wyatt (pour le dérapage vocal au beau milieu du pont de "The City") et The Notwist sans forcer et vous obtenez 35 minutes de pur extase pop. Et le pire, c'est qu'il peut faire mieux. Alors, Guillaume, qu'est-ce que tu as écouté de bien récemment ? Loney, Dear, les amis, Loney, Dear.(Popnews)
bisca
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le 4 avr. 2022

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