Solo Piano
7.9
Solo Piano

Album de Chilly Gonzales (2004)

Chilly Gonzales, artiste protéiforme et prolifique s’offre à No Format ! et délivre sa première galette instrumentale avec Solo Piano,



deux mains virtuose sur le clavier d’ivoire



pour un disque doux et magnifique, empreint d’influences nombreuses et de respect serein. Un objet rare, loin des accents hip-hop et délirants de son travail habituel pour se fondre dans la discipline exploratrice du label et se donner tout en retenues, âme aux mélodies dénudées, à entendre.


Gogol ouvre l’opus en assumant sans détour la variation sur Gnossienne d’Erik Satie, et dès les premières notes l’envoûtement et la maitrise sereine jouent dans les profondeurs primales, juste au-dessous de la surface pour varier, jeu léger, les thèmes et les époques, Chilly Gonzales discourt dans le temps. Manifesto plante alors l’ennui saisissant du film au climax où l’héroïne comprend enfin la renaissance possible, les ailes au dos, la lumière au lever du soleil. La mélodie caresse des aigus vers le cœur, vers l’harmonie incertaine d’une rencontre improbable, l’unisson décalé des deux mains sur la ligne des touches. Le musicien récite une douce question d’envie et de lassitude, surmonte les ombres pour s’évanouir dans la nuit. Overnight, promenade lunaire d’insomnie dans les sombres du long couloir trop large d’un petit manoir vide, l’escalier là au loin et l’esprit qui y divague, où la faim guide les pas plus assurés, où le lustre au chœur du volume sonne ses luettes de cristal, des retours de classique retenu qui cèdent en trois mesures à la litanie cinégénique d’une impasse amoureuse.
Il faut écouter le Solo Piano de Chilly Gonzales pour



la douceur éthérée de ses langueurs.



L’objet s’envole alors, Bermuda Triangle, comme un refrain disco acidulé, où les mots s’étouffent dans les touches certaines de l’interprète libre sur le parcours noir et blanc de touches aux obsolescences pastels. Une ligne aérienne qui vient se fracasser en perte d’équilibre. L’artiste livre ici des recoins intimes, joue entre appuis durs et quête légère ses variations minimes de l’âme dévoilée sans fard, Dot, repeint le doute.
Armellodie et Carnivalse, il y a comme un esprit de titres surréalistes ou dadaïstes dans les mariages verbeux de sens, et les deux titres s’inscrivent avec élégance et naturel dans la nudité claire, fragile assurance, de No Format ! L’envie formelle de tenter de surprendre hors des conventions même de la surprise, dans la douceur et la découverte simple, minimaliste dans l’exploration des allures et des élans libres d’un inventaire classique sans frontière, d’une musique world sans limite géographique, au-delà des plaines et des rivières.
No format ! No border ! dit Chilly Gonzales



en comptines aériennes



et denses pourtant de piano naïf et mélancolique, continuant d’inscrire Meischeid dans la même veine d’authenticité tendre délivrée nue, sans artifice. L’épopée devient celle d’un



opéra jazz aux teintes cristallines.



Paristocrats des faubourgs vers le cotonneux et confortable rêve du seizième au quinzième siècle, la bourgeoisie discrète festoie dans les alcôves tamisées, fleurs de myrtille et menthe profonde, délices du doux vice de la séduction badine, bientôt les élans de la passion qui s’embrasent en une flamme subitement éteinte dans la descente jusqu’aux graves.


Solo Piano décompose les petites comptines de lyrisme minimal qui font les univers complexes de tendresses de Chilly Gonzales comme des ambiances de fin de film englobées en deux trois tours de mains, livret de jeux de mots pour une livrée de titres dans le temps d’une histoire du piano figée soudain dans la mélancolie du nouveau siècle. Gentle Threat, le gentleman joue sourd son duel d’épaules tombées de fatigue dans la vapeur du fauteuil, le temps s’alanguit, la pluie tombe lourde en flaques évanescentes, roule, retient son souffle encore. L’artiste promène l’auditeur tout entier, corps et âme, dans



de minuscules intérieurs obsolètes, jaunis et surannés,



transporte l’histoire de la composition aux claviers ivoires des joies mélancoliques, joue la nostalgie façonnée dans l’urgence ironique des formats courts avec virtuosité, retenue et sensibilité aérienne.
Cinéma jazz cristal.


The Tourist en apogée, confession susurrée de la promenade dans l’humidité du sous-bois sous la rosée d’une nuit pluvieuse et la chaleur alors inattendue, douce d’un matin d’été. Le réconfort doucement sèche les os détrempés, enveloppe le corps en harmoniques avant de revenir au Salon Salloon s’amuser à rebours d’une ambiance de cowboy entrainés dans la danse désaccordée d’un duel de doux pas délicats, mesurés, hésitation d’abord, jusqu’à ces douces passes assurées dans les jupes à peine envolées.



La transe prend corps jusqu’à l’abrupt.



Poursuit la course alors dans la ronde infernale et légère aux aigus d’une insouciance de cinéma, Oregano, et les mains plaquées là sur les accords fiers aux relents de comptine américaine, le pianiste emmène les cœurs à New York, et les buildings sur l’âme pèsent l’ombre du ciel. Encore une fois les nuages bas couvent la pluie, font la transition sourde vers Basmati, pour conter les légèretés nostalgiques d’un colonialisme submergé par les averses diluviennes où le réconfort ne se trouve qu’auprès de l’âtre frêle du clavier au ventre large ouvert en contre force,



la douceur contre les ravages de la tempête.



Le voyage lyrique, opéra doux, emmène l’auditeur, CM Blues, jusque dans les bas-fonds surannés des polars noirs, ruelles sombres et le danger tapi sous le pavé quand le chemin se fait sous l’incandescence incertaine, bientôt d’une caresse ravivée, des gaz lampadaires à l’ombre d’un siècle dépassé, moderne parallèle où le progrès s’est laissé digéré par les poèmes de l’homme, à l’humble légèreté d’une douceur tendresse.
Conclusion One Note at a Time, littéralement d’abord, une note toujours plaquée par-dessus l’accord sourd d’un final zig-zag empirique vers le déraillement accidentellement volontaire dont l’accompagnement nait d’un grand salon vide. Chilly Gonzales, jusqu’au bout, appuie les lueurs minimalistes d’un opéra secret aux résonnances de cristal, douceur magnifique !


Solo Piano découvre avec une tendre humilité dans le discours, les talents sensibles de l’amuseur Chilly Gonzales, ici nu, peau contre les marteaux de soie, et fait titre après titre, les intimes envolées cristallines d’un opéra minimaliste où l’homme confie en soupirs nostalgiques ses refrains obsessionnels les plus inattendus, dans



les couleurs de cinéma de son monde intérieur.



Bien plus que juste du piano.

Matthieu_Marsan-Bach
8

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Créée

le 21 févr. 2017

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