Sur le précédent album du groupe, Black Market Music, la diète, complexe, riche et chichement épicée, donnait à Placebo des ballonnements : les influences conjuguées du rock extrême et d'une électronique ténébreuse rendaient bancale la démarche. Car dans son voyage ambitieux, Placebo s'était prudemment freiné à mi-chemin, raccroché à ses acquis, à son savoir-faire. Poussé au vice par le producteur Jim Abbiss (DJ Shadow, U.N.K.L.E.), le trio refuse enfin aujourd'hui de choisir son camp : il y aura à la fois plus de guitares et plus de machines. Dans l'histoire déjà agitée du groupe, Sleeping with Ghosts renoue donc avec la fougue mélodique et la mélancolie acharnée de Placebo ou Without You I'm Nothing (vite rebaptisé "Without U2 I'm Nothing" par ceux qui lui reprochaient son emphase). Mais le son, lui, s'est épanoui : moins corseté, anxieux et tendu que sur les deux premiers albums, il se fait aussi nettement moins mécanique que sur Black Market Music. Hormis des ballades grandiloquentes et hors sujet, ce quatrième album bâtit sous les hymnes réglementaires (les tubesques This Picture, Second Sight ou The Bitter End) de labyrinthiques sous-sols, des fouillis de matière grouillante, épaisse, mouvante. Une écriture à deux vitesses ? évidence des mélodies et complexité des arrière-plans (et non plus l'inverse, comme sur le trop vite épuisé Black Market Music) ? qui fait merveille sur Special Needs ou English Summer Rain. Sur lequel on entend Brian Molko chanter : "Je suis au sous-sol, tu es au ciel." Une assez belle description de cette écriture en mille-feuille, des obscures profondeurs jusqu'à la lumière. (Inrocks)
De 1996 à 1998 inclus, Placebo a été le meilleur groupe de rock du monde. À son crédit, un premier essai ravageur, des faces B entrées dans l'Histoire, des concerts incandescents et un deuxième effort appelé à rester un classique des années 90, Without You I'm Nothing. Au nom de ces glorieux faits d'armes et en souvenir de ces débuts fulgurants, on a très tôt décidé de ne pardonner à Placebo aucune facilité, aucune baisse de régime. D'où un accueil mitigé à la sortie de Black Market Music, un disque déserté par l'urgence, anesthésié par un son un peu ronflant et le pilotage automatique. De fait, le disque a plutôt bien vieilli, sans toutefois avoir apporté de réponse convaincante à une question pourtant essentielle : comment éviter le surplace ? Cette question tourne aujourd'hui à l'obsession pour Placebo. Sleeping With Ghosts n'est pas le retour au rock étranglé qu'annonçait le fabuleux single The Bitter End. Personne n'aurait trouvé à y redire, tant cette énergie et ces guitares sont galvanisantes. Mais en confiant la production à Jim Abbiss (UNKLE, DJ Shadow), le trio a opté pour un rock hybride, génétiquement modifié à grandes doses d'électronique. Le son est monstrueux, relevant carrément de la superproduction, avec trucages numériques dernier cri. Certains morceaux supportent bien le traitement et décollent quand même : English Summer Rain, This Picture et Special Needs sont des réussites majeures, mélodiquement puissantes et enlevées. Ailleurs, blip blip et enluminures surchargent inutilement des chansons qui n'en demandaient pas tant. Malgré cela, et surtout la voix de Brian Molko de plus en plus irritante, le disque échappe au gâchis et finit par convaincre et s'imposer, au forceps.(Magic)
Après l’album synthèse que représentait Black Market Music, Placebo se devait d’avancer, d’évoluer. Une volonté apparemment réelle pour le groupe à l’écoute de ce quatrième album. Mais au final, il reste aussi comme l’impression que le trio a plus eu peur de décevoir qu’autre chose. Si l’apport de quelques touches electro (English Summer Rain) réhaussent incontestablement le goût, les murs de guitares si typiques et surtout les mélodies si particulières de Molko plongent l’auditeur dans une sensation de déjà entendu. Dernier constat, c’est quand Placebo nous livre sa recette déjà éculée qu’il s’affirme le plus efficace. En gros, ce sont les chansons les moins novatrices de ce disque qui s’averent aussi être les meilleurs ! Sans être vraiment une déception, Sleeping With Ghosts est l’album le plus en retrait de la carrière du groupe… Transition ou conclusion? (liability)