Ship of Memories
7.5
Ship of Memories

Album de Focus (1976)

Comme cela a été souvent précisé, probablement plus de nos jours qu'à l'époque de sa sortie en 1976, Ship of memories n'est pas une banale compilation. Il s'agit en fait d'un assemblage digne de "la créature de Frankenstein" (vous allez comprendre après) qui résulte en la réunion de plusieurs titres non publiés encore, pour l'essentiel issu de séances d'enregistrements de 1973, c'est à dire au moment où Focus commence à composer pour ce qui deviendra Hamburger Concerto. Or c'est précisément à ce moment-là que le vaisseau Focus commence à se fissurer (1).


Plusieurs hypothèses probables.
Sans doute qu'après avoir sorti l'énorme Focus III qui était un double vinyle, le groupe ne voulait pas réitérer l'expérience de sitôt avec Hamburger concerto leur 4e disque studio donc. Je crois savoir que déjà le prix d'un double vinyle était déjà plus cher qu'un simple pour le consommateur de l'époque mais je peux me tromper (2). Il y a aussi probablement le fait que comme Jan et Thijs se tiraient déjà dessus (métaphoriquement) et qu'ils avaient déjà gardé leurs compositions préférées pour leurs albums solo l'année d'avant lors de Mother Focus, les titres de Ship of memories aient été gardé comme bouche-trou pour combler les fans en attendant, ce qui laisserait à penser qu'ils jugeaient déjà ces compos comme de qualité « moyenne ». Ce qui serait dommage car au fond tous ces titres se révèlent en fait passionnants de bout en bout, témoignant de la créativité sans faille qui maintient prodigieusement Focus durant les années 72 à 74. J'y vois plus un souci d’homogénéité avec les albums qui ont précédé car Focus se hasarde à sortir à nouveau des sentiers battus mais de manière moins radicale cependant que sur Mother Focus.


« Can't believe my eyes » de Jan Akkerman est un sombre sursaut hard-rock au ton glacé et furieux qui contraste pas mal avec ce que le groupe avait déjà pu composer, sans doute que déjà Jan était furieux et cherchait à l'exprimer d'une manière cathartique musicale. « Out of Vesuvius » démarre de façon Soul apaisée et lascive comme s'il n'avait pu être retenu de l'album Mother Focus (et peut-être qu'il aurait dû y figurer) avant de virer très vite vers une jam rock énergique. « Glider » démarre avec une ...tenez-vous bien ...boîte à rythme (héhé on est même pas encore dans les années 80 ni même à la toute fin des années 70 si on pense à la cold wave qui va prochainement arriver) avant de reprendre aux notes après « Mother Focus » (qui ouvrait et donnait son titre à l'album précédent), en évacuant le côté acoustique pour se recentrer sur un ton plus rock (on garde les « yodelaïou » de Thijs cela dit huhu) avec un tempo accéléré (3).


Frankensteinisation je vous dis, mais dans le bon sens parce que pour l'instant la créature tient sur ses deux jambes et elle est belle à voir. « Red sky at night », tempo lent mais surplace majestueux d'un thème qui tourne et retourne, nourri à chaque fois de solos de guitare électrique et de flûte qui le rendent à chaque écoute d'une beauté imparable (4). Donnez moi des albums d'inédits et d’un-publiés comme ça à la pelle, bordel. « Spoke the lord creator » débute avec de l'orgue avant d'emballer le tout d'un rock cool, soit un clin d’œil aux influences classiques du groupe avec tout le talent mélodique dont ils nous ont habitué mais aussi une parfaite sucrerie dans la lignée des petites perles disséminées ça et là sur leurs disques. Y'a pas d'lézard. « Crackers » avec ses influences funk semble lui aussi à nouveau échappé de Mother Focus , pas grave c'est bonnard ça. Groovy à souhait. Presque disco, tiens (5). Et puis « Hocus Pocus » dans sa version single U.S rajouté aussi parce que tant qu'à faire. Pour le coup c'est l'unique gadget qui sonne « compilation » mais bon (6).


Non franchement, ce disque a fière allure.


Certes avec l'album précédent et celui-ci on s'est éloigné du rock progressif des albums 2 à 4. Mais croyez moi, on reste à de la musique top, énergique et passionnante dans les deux cas qui n'a pas à rougir trop de ce qui a précédé. Les fans sont à nouveau content même si le grand public se désintéresse cette fois totalement de Focus et les ventes continuent de chuter drastiquement.


Bref ce disque a une belle gueule.
Ce qui est loin d'être le cas du groupe.
C'est plutôt ici la gueule de bois.


Ne daignant même plus venir à des sessions d'enregistrement un matin, sa majesté Jan Akkerman se fait purement et simplement virer d'un coup. Le groupe arrive à boucler des tournées avec le support du guitariste Philip Catherine mais quand même le batteur David Kemper se casse, le groupe est sur la ligne rouge, forcé de faire une pause.


Ce n'est pas encore la fin, il y aura encore un dernier disque pour cette décennie 70, « Focus con proby », apparemment assez mal-aimé, en 78 puis on fermera boutique (7).


Avant une résurrection officielle inattendue en 2002.


======


(1) Cf voir aussi ma chronique de l'album Hamburger Concerto.
(2) D'où cette anecdote fort sympathique quand les Clash sortent leur double vinyle du monstrueux London Calling, apparemment ils le vendent exprès au prix d'un simple album, histoire de faire en sorte que tous leurs fans puissent se le procurer !
(3) Et de magnifiques solo de guitare électrique de Jan Akkerman mais hélas trop courts.
(4) Mon morceau préféré de l'album.
(5) A nouveau tout l'humour absurde du groupe qu'on retrouve. Appeler une chanson « crackers », c'est comme espérer qu'un groupe de rock français nous sorte un jour une composition nommée « Bretzel ». Oh attendez, si ça se trouve, ça existe déjà...
(6) Cf mes chroniques des albums précédents du groupe.
(7) Pas forcément un mauvais disque pourtant à nouveau ce « Focus con proby ». Et puis il faut mentionner le « Focus » de 1985 sous le seul nom de Jan Akkerman et Thijs van Leer qui fera office de réconciliation inespérée entre les deux musiciens pour une musique ...résolument tournée vers un mélange électronique/new âge/rock. Il est fort probable que j'en parle de celui-là, qui sait...

Nio_Lynes
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le 25 mars 2020

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Nio_Lynes

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