Why had he recorded 'Blue Moon'?
Double-album suivant l'évolution de Dylan vers la country, Self-Portrait est réputé pour s'être fait déchirer à sa sortie. Encore aujourd'hui les critiques négatives fusent et l'album est considéré comme l'un des pires de sa carrière. Pour comprendre tout ça il faut bien se remettre dans le contexte. Durant les 60s, Dylan était intouchable. Il n’a fait que des bons albums, et si Nashville Skyline était un peu en dessous il montrait tout de même un chanteur-compositeur essayant de se renouveler. Le résultat était en demi-teinte, Dylan ne maîtrise pas très bien la country mais il est capable de sortir de très belles compositions. En soit cet album est une évolution logique dans sa carrière, celle de vouloir maintenant faire un véritable album mélangeant folk et country. On retrouve ainsi les caractéristiques de l’album précédent, notamment la voix et le son.
Cela dit Dylan avait un objectif bien précis en faisant cet album : Faire un mauvais album. Selon ces dires il en avait tellement assez de son succès (des gens allaient jusqu’à faire un pèlerinage pour le rencontrer) qu’il a voulu se saboter lui-même. Bien sûr c’est très facile de dire ça, un peu comme une sorte d’excuse aux mauvaises critiques. Mais il y a surement une part de vrai, et quand on voit les chansons on peut se dire que Dylan a fait cet album pour son propre plaisir plutôt que d’offrir un vrai travail de qualité.
Tout commence avec des chœurs de femmes chantant plusieurs fois pendant 3 minutes les deux seuls vers de la chanson. Autant vous dire qu’il y a de quoi être surpris la première fois qu’on lance l’album ! Néanmoins la chanson reste assez fantastique, le violon laisse rêveur. C’est la première fois que Dylan utilise des chœurs féminins qu’on retrouvera tout au long de l’album. Les courtes paroles évoquent un Dylan désireux de prendre du repos, ce qu’il fait bien puisqu’il a l’air de n’avoir que composé ce morceau.
La suite est convaincante. Alberta rejoint les Ramona et autres Corrina, I Forgot et Early’ Morning sont toutes mignonnes et Days of 49 un peu agaçante mais portée par de bons vents contestataires. Visiblement on passe un bon moment sur cette face A. Minute, trois de ces chansons sont des reprises et deux sont des chansons traditionnelles arrangées ? C’est là le principal problème de Self Portrait, il n y a presque aucune nouvelle composition. Encore plus problématique quand l’album comporte 24 pistes (Blonde on Blonde n’en comportait que 14) sur des durées assez courtes en plus (tournant autour de 3 minutes). Voyons-voir, je compte 10 reprises, 6 arrangements de traditionnelles et 3 chansons lives prit de son passage avec The Band sur l’île de Wight. Ce qui nous fait donc seulement 5 nouvelles compositions, et quelles compositions, ce sont les pires titres de l’album ! Woogie Boogie est un instrumental infâme ponctué par un saxo sonnant fort et faux, Ministrel Boy est une vaste blague tout comme Wigwam, deux morceaux complétement kitchs, je ne sais vraiment pas ce qu’ils leur ont pris. Reste alors la chanson d’ouverture et la sympathique Living the Blues mais qui ne semble pas présenter la moindre cohérence entre l’instrumental et les paroles (« Je vais vivre le blues. Si tu me voyais comme je suis tu retournerais surement avec moi » dit sous un ton plutôt amusé, ponctué par des chœurs féminins et une guitare à la cool).
Alors il y a le reste. Ca choque de voir autant de reprises, ça rappelle son premier album sauf qu’il y avait une cohérence alors, Dylan montrait toute ses influences et son talent avant de se lancer véritablement. Ici on ne comprend pas trop, les choix ont été vu comme pauvre, un commentaire du critique Robert Shelton m’a fait beaucoup rire là-dessus : « Why had he recorded 'Blue Moon'? ». Oui Blue Moon, la chanson rendue populaire par Elvis. Vous voyez Bob Dylan prendre une voix de crooner entre un Like a Rolling Stone et une chanson bien country ? Et il le fait bel et bien, le résultat est moyen mais ce n’est pas ça le problème, c’est juste, juste… pourquoi ?
Il reprend aussi The Boxer. Le mélange des deux voix est un foirage total mais la chanson n’en reste pas moins toujours aussi magnifique. Du reste ce sont des reprises moyennes, trop courte pour tenter quoique ce soit, allongeant inutilement l’album et ça se fait ressentir dès le 10ème titre. C’est l’autre gros problème de Self Portrait, l’album est beaucoup trop long (73min) pour ce qu’il propose. Nashville Skyline ne durait même pas une demi-heure mais proposait plus de compositions originales et de génie que cet album, vous voyez le problème ? Les arrangements des chansons traditionnelles sont légèrement plus intéressants, mention spéciale à Alberta et Belle Isle.
Le concert sur l’île de Wight avait été critiqué à l’époque surement car le nouveau style de Dylan ne passait pas sur ses anciennes compos. Effectivement Like a Rolling Stone passe beaucoup moins bien surtout lors des refrain, il y a des bons côtés comme le fait que Dylan chante les couplets d’une seule traite, un travail d’adaptation puis le fait que ça reste quand même l’une des plus grandes chansons de tous les temps, mais ce n’est pas grand-chose face à la majesté des lives de 66. She Belongs to Me perd de toute sa saveur et de son intimité pour devenir une chanson country bien grasse. Quant à The Mighty Quinn, comme c’est un inédit ça passe un peu mieux, c’est juste que la chanson est rigolote mais ne casse pas trois briques. Mention tout de même au « Let guitaaaaar now ! » crié par Dylan juste avant le solo endiablé. Bon dieu. Mais dans l’ensemble ces morceaux passent assez bien je dirais, Dylan semble prendre plus d’intérêt à s’amuser avec The Band qu’à vraiment adapter ses morceaux. Dommage.
S’ajoute à tout cela une production complètement hasardeuse passée d’un studio à l’autre + une peinture à l’image de la musique et vous obtenez Self Portrait. Je ne cacherais pas que j’ai une certaine affection pour cet album qui reste gentil, mais l’écouter en entier outch, ma patience s’amenuise.
