Saviors
6.4
Saviors

Album de Green Day (2024)

Vingt longues années se seront écoulées pour Green Day entre la sortie d’American Idiot (2004), concept-album aux allures d’opera-rock flamboyant ayant rencontré un immense succès critique et public, et leur tout nouvel album Saviors qui débarque en cette fin de janvier 2024.

Depuis 2004, il serait mensonger d’affirmer avec aplomb que le trio punk-rock californien s’est reposé sur ses lauriers suite à l’avènement de leur brûlot anti-Bush considéré désormais comme l’une des pierres angulaires du rock moderne (vous n’êtes pas prêts pour ce débat). Sans mentionner les tournées mondiales à répétition et des side-projects à foison (Foxboro Hot Tubs, The Network, The Longshot, le one-man project de Billie Joe Armstrong durant la pandémie mondiale), ce n’est pas moins de 6 albums qui auront vu le jour au cours de cette période faste.

Si la liste est longue (un 21st Century Breakdown (2009) pouvant être prosaïquement défini comme un American Idiot 2.0, une trilogie Uno ! Dos ! Tré ! (2012) véritable pot-pourri où le génie aura côtoyé le médiocre, le sous-estimé mais assez inégal Revolution Radio (2016) qui laissait espérer un regain de vitalité), le petit dernier Father Of All... (2020) avait laissé de sacrées séquelles auditives. Malgré cette kyrielle de disques aux qualités plus ou moins évidentes, aucun album n’aura vraiment réussi à rencontrer un succès d’estime critique et commercial. Difficile dans ces conditions de les classer au panthéon du groupe, où trônent fièrement les cultes Dookie (1994) ou Nimrod (1997).

Il est donc assez cocasse d’observer que Green Day a sans doute conscientisé tout cela, en affublant ce nouvel album du prophétique nom de Saviors : sera-t-il enfin l’album-messie tant attendu, qui sauvera le groupe d’une mort lente et embarrassante ? Au contraire, sera-t-il le dernier clou au cercueil d’un groupe en perte de vitesse, qui n’a plus rien à dire en 2024 et qui s’évertue à sortir des albums qui ne font que ternir leur légende déjà bien malmenée par une suite d’albums en demi-teinte ?

Everyone's asleep, but nobody is dreaming

L’écoute des premiers singles était une première indication sur la direction prise par le groupe, mais qui se révèle au final être une fausse piste. Tout en reconnaissant immédiatement la patte du groupe sur The American Dream Is Killing Me ou One Eyed Bastard, on sent poindre un essoufflement créatif avec des riffs répétés ad nauseam et des paroles peu inspirées. En particulier sur la première chanson qui fait office d’ouverture, le message se veut plus explicite et moins figuratif qu'auparavant. Pour autant, est-ce toujours pertinent de chanter les désillusions du rêve américain, surtout dans une ère post-Trump ? Il est d'autant plus difficile de comparer l'écriture du cinquantenaire Billie Joe Armstrong à son homologue trentenaire, quand celui-ci nous a habitué à des textes saillants et acerbes d'une acuité rare. One Eyed Bastard et son riff plagié de Pink (lui-même pompé chez Deep Purple) ainsi qu’un son ultra-compressé n’étaient alors qu’une pierre de plus à une ruine annoncée.

Et pourtant.

Calling all saviors tonight / Make us all believers tonight

Disons le franchement, Green Day a depuis quelques années développé un mauvais goût certain dans la sélection des singles, nous laissant ainsi la chance inestimable de découvrir de réelles pépites cachées le long des sillons du disque. Dès Bobby Sox, chanson sur la bissexualité assumée du frontman d'Oakland, on se surprend à trouver des sonorités peu habituelles avec une composition aux fortes accents Weezeriens, et un refrain crié qui tranche avec les falsettos gênants du précédent album. On retrouve d’ailleurs cette influence de Weezer sur Goodnight Adeline, qui nous gratifie au passage d’un solo évoquant les grandes heures de Give Me Novacaine.

Si l’album n’arrive pas à conserver une cohérence musicale tout du long, il n’empêche que ce Saviors a plus de qualités que de défauts. Dans les véritables points forts, on retiendra une énergie retrouvée qui pointe le bout de son nez dès la deuxième piste avec le simple et désarmant Look Ma, No Brains ! qui nous emporte avec son rythme punk endiablé et un bridge aux chœurs efficaces. Exit les influences british des Who et Queen, ici tout sent l’Amérique, la pure et dure : le diablement efficace 1981 déploie une vigueur punk-rock et convoque à la barre les Ramones, tandis que la sanguine Coma City nous amène du côté des Misfits. Quelle énergie déployée, et quel final avec une batterie déchaînée et une fuzz rugissante ! L’une des autres belles surprises se trouve être Corvette Summer avec son côté dad-rock américain bien des Etats du sud et même la présence d’une cow-bell dans les couplets, du jamais-vu !

Dilemma est intéressante dans un tout autre registre : sans briller dans sa composition, elle s’inscrit dans la droite lignée d’un titre comme Forever NowBillie Joe Armstrong abandonnait tout artifice d’avatar pour se livrer personnellement. Ici, il est question de son combat contre l’alcoolisme et son anxiété (les paroles sont frontales : « I was sober now I’m drunk again/I was in trouble now I’m in love again / I don’t wanna be a dead man walking »), le tout étant soutenu par un riff joué en Drop D, fait assez rare pour le groupe pour être noté.

Sans tomber dans l’autoparodie, le groupe sait aussi s’aventurer en terrains connus, preuve en est avec un Strange Days Are Here To Stay et une intro palm-mutée répliquant Basket Case, de même que Living in the 20’s qui nous remémore les grandes heures d'Insomniac (1995) et ses riffs puissants (et ce cri à la fin !).

Du côté des petites déceptions, Suzie Chapstick est jolie mais n’est qu’une énième chanson sur une déception amoureuse qui ne décolle jamais vraiment avec des paroles un peu faiblardes ("Will I ever see your face again / Not just photos from an Instagram"). Meh. Father To a Son, annoncé comme un highlight de l’album avec son ambitieuse orchestration, déçoit également avec une approche bien trop classique, bien que la chanson est sûrement taillée pour plaire à une frange mainstream comme l’aura été Still Breathing avant elle.

Si Fancy Sauce fait écho à Ordinary World en terminant l’album sur une touche calme et presque mélancolique, son côté trop sage et peu inspiré la rend explétive. Non, la dernière pépite est bien la chanson éponyme de l’album, Saviors, avec une intro sonnant très hard-rock FM des 80’s et une ligne de chant empruntée à Sweet Child O’Mine. Green Day qui s'amuse sur le terrain du glam metal ?? On aura tout entendu !

Goddamn, I am so grateful / Forever faithful

Après plusieurs écoutes, quel est le bilan à tirer ? Saviors est-il un album capable de relancer un groupe en perte de vitesse, et qui fête les 20 et 30 ans de ses deux plus gros albums ? Très certainement. Sans égaler ses illustres aînés, il s’en sort plus qu'honorablement avec un retour à un son plus massif et des compositions plus consistantes. Si les paroles et quelques chansons souffrent un peu de la comparaison peu flatteuse avec leurs œuvres passées, il faut garder en tête que les membres de Green Day ont tous dépassé la barre des 50 ans, et qu’un tel album à cet âge relève déjà en soi d’un exploit.

7,5/10

Thibaulte
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le 19 janv. 2024

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