Que ce soit clair les enfants, tout le monde aime Neil Young. Absolument tout le monde. Même ceux qui ne l'ont jamais écouté. Même ceux qui prétendent ne pas l'aimer. Ils ne savent pas qu'ils l'aiment. C'est comme ça, pas moyen de faire autrement. Ils peuvent bien protester, jurer que non, que c'est pas leur truc, blablabla... Personne ne les croit.


Laissez-moi vous dire, c'est une règle qui ne souffre aucune exception. Avec Neil Young, nous avons affaire au test décisif, au critère anthropologique ultime, qui permet de déterminer à coup sûr l'appartenance d'un individu quelconque au genre humain. Est-ce que l'individu en question aime Neil Young ? ... Oui. Alors il est humain. Il persiste à ne pas l'aimer ? ... Ah, là, par contre, mieux vaut se détourner poliment et s'éloigner de la « chose », l'abandonner à son obscurité. Oh, il est certain également que les chevaux, les chiens et les bisons aiment Neil Young. Je parie qu'il y a des arbres qui l'aiment aussi, et même des montagnes, des fleuves, des océans.


Alors, ce disque..., toutes ces chansons intemporelles, parfaites de bout en bout, fragiles jusqu'à l'extrême pointe de la fragilité, sans jamais flancher ni basculer dans le pathos (mais Houellebecq a déjà dit tout ça très bien)..., ce disque, donc, vient clôre un cycle fastueux, une décennie où Neil Young enchaîne chef d'œuvre sur chef d'œuvre : Everybody Knows... (69), After the Gold Rush (70), Harvest (72), On the Beach (74), etc. Il y en a tellement, il faudrait tous les citer. J'aurais pu prendre n'importe lequel de ces albums géniaux et baragouiner les mêmes conneries, ça n'aurait rien changé à l'affaire. Sa créativité mélodique est inépuisable, sans équivalent (sauf bien sûr chez McCartney-Lennon de la grande époque). Le disque entier est habité par la grâce, des premières notes jusqu'aux dernières. Il vous déboîte l'âme, l'arrache de son socle et la projette dans tout le continent : shamanisme musical.


Tout y est, la douceur et la rage, le folk pastoral et le déluge électrique. De la tendresse la plus poignante à la fureur la plus sauvage. Avec sa mythologie rock 'n' roll irrécusable, Elvis, Johnny Rotten, et plus tard Kurt Cobain... La première fois que je l'ai écouté, j'ai su que je l'écouterai toute ma vie, et c'est ce que j'ai fait. J'étais pas vieux pourtant, mais je le savais. J'ai senti que j'étais chez moi, dans cette musique, que j'avais trouvé ma maison en quelque sorte. Je prends tout, toute la musique de Neil Young, comme une grande demeure avec plein de pièces, certaines inhabitables en raison d'expérimentations particulièrement hasardeuses... Mais pas grave, on est content qu'elles existent. C'est le cas parfois des grands artistes, quand ils se confrontent aux limites de leur langage. D'autres ont vécu la même nécessité, à leur manière, comme Lou Reed ou Zappa.


Comment croyez-vous possible de continuer à bafouiller le moindre mot au sujet d'un album pareil ? Car on touche à l'âme vibrante des hommes. Un art si fin et si ténu que le simple fait de l'évoquer semble toujours indécent, trop intime, impudique. Autant se désaper complet devant une foule. Alors mollo, hein, personne n'a envie d'assister à ça... Or c'est bien ce qu'il est en train de faire, le Loner, dans ces chansons monstrueuses. Dénuder une âme, fibre après fibre, avec une élégance racée que l'on n'a plus entendue depuis. Le truc capable de requalifier tout ce que vous avez vécu et tout ce que vous vivrez à cause de la couleur ineffaçable qu'il confère soudainement à votre vie.


Ça n'arrive pas si souvent, dans une vie d'homme, de rencontrer une évidence, d'avoir la certitude que c'est justement pour ça qu'on est vivant. Est-ce exagéré de croire qu'au fond on ne vit que pour aimer quelques personnes, très peu à vrai dire, et une poignée de choses aussi dérisoires en apparence qu'une musique, un livre, un film... ? C'est pourtant foutrement le cas. La preuve avec ce disque.

Pheroe
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le 16 nov. 2014

Modifiée

le 20 nov. 2014

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Pheroe

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