Quand un artiste ayant autant marqué l’histoire du rock que David Gilmour se trouve captivé par le jingle de la SNCF au point de vouloir composer une chanson basée sur celui-ci, on peut se poser de sérieuses questions quant à son aptitude à créer des choses intéressantes, des années après l’âge d’or de Pink Floyd. Juste après avoir mis un point final à la discographie de son groupe d’une façon étonnamment élégante, voudrait-il en prendre le contre-pied au point de risquer la bonne image qu’il avait su laisser ?


À l’écoute, il s’avère que « Rattle That Lock » fonctionne assez bien : le jingle s’intègre au milieu des autres instruments sans choquer et en perdant même son caractère énervant. Mieux encore, l’ensemble est plutôt dansant, comme le prétendait Gilmour à propos du jingle. Sans être une grande chanson, le titre est loin d’être la catastrophe attendue.


Heureusement, le reste de l’album éponyme fait plus que « assez bien fonctionner ». L’atmosphère est même éloignée de celle de la chanson titre, privilégiant une certaine douceur mélancolique, la même qui avait si bien réussi à Gilmour sur On An Island, son œuvre précédente. « 5 A.M. », planante ouverture, démarre ainsi l’album sous les meilleurs auspices en rappelant ce qui fait le jeu si particulier du guitariste. Plus loin, le très doux « Faces Of Stones » s’inscrit aussi comme une belle réussite, montrant que Gilmour a une identité bien à lui en dehors de Pink Floyd, à se demander s’il n’avait pas dû aller contre sa nature en faisant en sorte que The Endless River sonne comme son ancien groupe. Le titre contient même un superbe solo qui semble bien moins forcé que tout ce qu’on trouve sur le testament de Pink Floyd.


Hommage à Richard Wright, « A Boat Lies Waiting » est lui aussi imprégné de douceur contemplative, mais il reste moins marquant que le précédent, tandis que son successeur, « Dancing Right In Front Of Me », témoigne à son tour d’une écriture assez apaisée, loin des fulgurances de Pink Floyd, et ce même si la chanson doit beaucoup à la guitare. « Any Tongue » est plus marquante, la voix de Gilmour tentant d’atteindre une sorte de lyrisme culminant lors du solo final. Vient ensuite « Beauty », très bel instrumental, puis « The Girl In The Yellow Dress » et son atmosphère lounge, moins intéressante mais qui montre les envies de rupture de l’artiste.


« Today », enfin, démarre de façon prometteuse avec des chœurs éthérés, mais la suite est très différente et le titre s’avère en vérité une chanson rock plutôt FM, tout en étant particulièrement réussie. L’instrumental « And Then… » clôt alors l’album de façon aussi belle que « 5 A.M. » l’avait démarré, montrant que, malgré tout ce qu’il peut faire pour s’en échapper, c’est dans la construction d’ambiances reposant sur sa guitare que David Gilmour excelle vraiment. De même, si Rattle That Lock est à la base un concept album, son auteur n’a clairement pas le talent de son ancien collègue Roger Waters pour rendre un tout cohérent, à tel point que The Endless River formait un ensemble qui paraissait bien plus planifié, alors même qu’il était constitué de chutes de studio. Le résultat semble néanmoins plus honnête que le dernier opus de Pink Floyd, et même si l’aspect aventureux de ce dernier manque ici, il est agréable d’entendre Gilmour se livrer de façon si personnelle. Rattle That Lock n’est peut-être pas aussi bon que On An Island, mais il n’en est pas loin non plus. Il est au fond assez rassurant de constater qu’un musicien ayant été à la tête d’un des plus gros mastodontes du monde du rock puisse livrer une œuvre aussi humble.

Skipper-Mike
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le 5 oct. 2017

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