Portal of I
7.7
Portal of I

Album de Ne Obliviscaris (2012)

La bande son ultime pour plonger dans l'abîme du temps

Ce groupe, c'est comme si les créatures antédiluviennes décrites par Lovecraft dans Dans l'Abîme du temps s'étaient réveillées, et se déchaînaient, libres, sur la Terre et ses pauvres, fragiles habitants. À la première écoute de cette album, on sent qu'il y a quelque chose qui nous dépasse, quelque chose d'inhumain, de surhumain. Comme les créatures lovecraftiennes, ce groupe est noir et multicolore, ravissant et effrayant, écrasant mais mille fois plus subtil que tout ce que les hommes ont fait auparavant... Comme elles, il dépasse l'entendement, et essayer de le comprendre signifierait tomber dans la folie. Comme elles, on sent dès la première écoute qu'il y a quelque chose ici d'infiniment supérieur, sans arriver à déterminer quoi. Après plusieurs écoutes, on pourra déterminer ce qui fait l'unicité de cette entité, et alors la musique, toute musique, ne sera jamais plus la même.


Emphase, mysticisme, me direz-vous. Non, c'est véritablement ce que j'ai vécu avec cet album. Et si vous doutez encore, alors écoutez-le. Le fait même que ce soit la deuxième critique pour une vingtaine de notes devrait vous convaincre de la justesse de mes propos.


Qu'on s'entende bien, ce groupe vient du black metal, et pourtant il est subtil. Ce qui fait véritablement son identité, c'est le violon de Tim, omniprésent, parfois tout seul, parfois avec une guitare sèche, et parfois en même temps que les growls de Xenoyr. Pour autant, le groupe ne néglige pas l'expérimentation avec les autres instruments : que ce soit guitares, basse ou batterie, tout est magnifique et atypique.


Ce qui est le plus étonnant et le plus réussi dans cet album, c'est sa cohérence. En effet, c'est la première fois que je supporte vraiment une voix "saturée", car elle s'intègre merveilleusement bien dans l'ensemble, tout comme tout le reste. En fait, les chansons, même si elles mélangent une foultitude d'influences différentes (pêle-mêle, différents styles de metal (Enslaved, Opeth, As I Lay Dying, Metallica...), du classique, du flamenco, du rock progressif, et d'autres choses qui n'ont pas forcément de nom) réussissent à rester "entières", individuelles car indivisibles. La logique n'est en effet pas forcément facile à ressentir, mais après plusieurs écoutes on commence à la comprendre.


Cet album joue beaucoup sur les contrastes, les passages peuvent mêler double pédale et guitare sèche, riffs de tueurs et voix claires, growl et violon... D'autres fois le contraste ne se fait pas en simultané mais en décalage : on alterne facilement moments violents et moments calmes. Pour autant, le tout est cohérent : on a pas l'impression, comme chez Between the Buried and Me ou Igorrr par exemple, que le tout est une créature de Frankenstein, faite de pièces de provenances variées qui ne s’accorderaient pas entre elles.


Mais malgré ces contrastes, une chose ne change pas, c'est l'atmosphère. L'album est à écouter comme un tout, dans le noir (j'insiste) : 75 minutes de Lovecraft en musique. Quand on écoute cet album sans rien faire d'autre, on reste en permanence (sans exagérer) la bouche ouverte. On est subjugué par la beauté du violon ou des solos de guitare, par la magnifique noirceur des paroles, on est comme atterré par le désespoir profond émanant d'un cri (qu'il soit clair ou "saturé"). On reste concentré, on ne veut pas perdre une note, un mot, un silence même. On sent bien qu'au fond, ce serait un sacrilège, un manque de respect envers cette musique venue de si loin.


Enfin, cet album est léché au possible. La bande a bossé dessus pendant 5 ans, et ça s'entend. Jens Bogren est derrière à la production, et ça s'entend aussi. Aucune note n'est laissée au hasard, chacune a été questionnée. La qualité du son est extraordinaire. L'artwork de la pochette est magnifique. Les paroles également, sont des poèmes, il suffit d'aller regarder les paroles de Plague Flowers the Kaleidoscope ou As Icicles Fall. J'ai appris avec cet album qu'il était possible de growler des poèmes.


En définitive, la nouveauté, la technicité, l'atmosphère, les mélodies, les paroles , rien dans cet album ne laisse indifférent. Et jamais une atmosphère aussi inquiétante et magnifique n'avait été produite avant, alors qu'importe si le groupe est de Melbourne alors que Lovecraft voyait ses monstres plutôt au Nord-Ouest de l'Australie : aucun doute, ce sont eux.


Note 1, à ceux qui veulent découvrir l'album : Même si l'album s'apprécie mieux quand on l'écoute en entier, il est long, et une chanson le résume plutôt bien : Forget Not, c'est par celle-là que je vous conseille de commencer si vous voulez essayer (surtout si vous n'êtes pas metalleux : le growl y est moins envahissant que dans les premiers morceaux de l'album).


Note 2, sur le growl : d'habitude, je ne mets jamais plus de 8 à un album où les voix sont growlées, parce que c'est plus pour moi une torture qu'autre chose. Un album peut être parfait en tous points, le growl me gâchera le plaisir (cf Helvetios de Eluveitie). Et une musique sans plaisir, je n'y vois pas l'intérêt... D'autant que c'est souvent du bruit pour rien. Ici, c'est différent : la première écoute a été un peu difficile, mais d'une part le growl s'insère tellement bien, tellement harmonieusement dans l'édifice d'ensemble, et de l'autre, ici, il n'est pas inutile : il participe véritablement à la création d'une atmosphère. Ce qui fait que dès la deuxième écoute, il ne m'a plus gêné.

Nordkapp
9
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le 28 févr. 2013

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Nordkapp

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