Le Temps A Passé, Seules Restent Les Pensées.

Michel Polnareff, avec d'autres éminents personnages comme Gainsbourg, Dutronc ou même ce cher Daho, est un des seuls français à s'être inséré à l'international. C'est vrai, qui d'autre osait en France s'habiller comme un lord du Swinging London à la fin des glorieuses sixties ? Cette modernité est mêlée à un incroyable talent, à des mélodies angéliques et à un certain goût pour la provoc. Certes, il y a Polnareff et Polnareff, le pourvoyeur de hits à la qualité FM reconnue des années 80 et l'autre, plus délicat, et infiniment plus intéressant. Donc, avant le bodybuilding et le bronzage californien, avant les lunettes blanches et les bouclettes péroxydées, parlons aujourd'hui de Polnareff's, troisième album du chanteur sorti en 1971 chez Disc'AZ.


Né d'une mère danseuse et d'un père musicien et compositeur (pour Edith Piaf et Yves Montand notamment), le jeune Michel est très vite confronté à l'univers musical, et développe rapidement un talent certain dans ce domaine. Mais les relations avec son père sont assez houleuses, et, bien qu'il souhaite poursuivre sur la voie musicale, il ne le fera pas en tant que musicien classique, bien qu'il en ait les qualités. Non, comme Christophe, il rêve d'Amérique, de belles voitures et de rock'n'roll. Les premières notes qu'il égrènera sur sa guitare, achetée péniblement avec ses maigres économies seront celles de "La Poupée Qui Fait Non"...


... Dite "Poupée", qui grâce à Lucien Morisse, patron d'Europe 1 et des Disc'AZ, sera enregistrée à Londres avec les encore-inconnus Jimmy Page et John Paul Jones (du futur Led Zeppelin), et sera un premier succès. Nous y reviendrons, mais ce M. Morisse aura une tragique importance. Une fois lancé, Polnareff ne s'arrête plus, et enchaînent des hits d'une qualité irréprochable, "Love Me, Please Love Me", "L'Oiseau De Nuit", "Âme Caline", "Sous Quelle Etoile Suis-Je Né?", "Le Bal Des Lazes" (terrifiant de beauté baroque)... et la liste est encore bien longue ! C'est une période fantastique pour lui, et bien des perles inconnues sont à redécouvrir, à l'image de "Comme Juliette et Roméo", magnifiquement orchestré par Jean-Claude Vannier, l'homme derrière Histoire De Melody Nelson, que l'on ne présente plus. Ses succès seront regroupés au sein de deux albums, Michel Polnareff en 1966 et Le Bal Des Lazes en 1969, qui, bien qu'excellents, ne sont donc qu'une compilation de singles.


Polnareff est à l'époque une personnalité révolutionnaire dans la chanson française. Il "s'inspire" beaucoup des anglais, et de la bonne manière, en s'inspirant, et non pas en copiant bêtement comme ont pu le faire Johnny Hallyday ("Je Veux Te Graver Dans Ma Vie", affligeante reprise du "Got To Get You Into My Life" des Beatles, sorti sur Revolver en 1966) ou encore Claude François ("Je Veux Tenir Ta Main", à vous de deviner ... :). Rien que par son look, Polnareff décoiffe, ce qui lui vaudra de fortes critiques dans la très-traditionnelle France des années De Gaulle. Il réinvente la chanson française aux côtés d'éminents pionniers tels que Serge Gainsbourg, l'écrivain, Jacques Dutronc, le rockeur, ou même plus tardivement Christophe, qui introduira une dimension progressive dans la pop française (j'ai bien dit pop hein, pas rock...). Michel introduit des éléments classiques dans la chanson, comme ont pu le faire les Stones ,les Beatles ou les Kinks, invente de sublimes histoires illustrées par des instrumentaux imparables (pour ne citer que lui, "Le Bal Des Lazes", véritable moment de grâce).


1970 arrive, avec son lot de déconvenues. Polnareff se fait agresser sur scène lors d'un concert à Périgueux, ce qui le contraindra à annuler le reste de sa tournée. Son mode de vie et son apparence androgyne lui valent ancore plus de critiques (il en tirera une chanson, "Je Suis Un Homme"), et, pour couronner le tout, son manager, ami et producteur Lucien Morisse décède. Bref, fantastique ambiance. Et pourtant, Michel va se déchaîner et abattre certains de ses plus grands-chefs d'oeuvre.


1971 verra la sortie de deux BO, signées Polnareff. La première, celle du film Ca N'Arrive Qu'Aux Autres de Nadine Trintignant, avec Catherine Deneuve et Marcello Mastroianni, est magnifique mais très confidentielle, tandis que tout le monde connaît le thème entêtant (et fantastique..) de La Folie Des Grandeurs de Gérard Oury, porté par le duo Yves Montand-Louis De Funès, fin période nerveuse. Ce détail est important puisque Polnareff's se révèle être un fin mélange de ces deux oeuvres.


Comme dit, ce disque est un vrai melting pot, véritable Pierre de Rosette de la vraie pop française. Des textes élaborés par le chanteur, Jean-Loup Dabadie ou Pierre Delanoé aux musiques de Polnareff orchestrées par Anthony King ou Bill Sheperd, tout mène cet album au rang de classique français... et comme tout bon classique français on ignore un peu qui a vraiment joué dessus ! En effet, il y a certaines suppositions, on parle du futur bassiste de Lou Reed Herbie Flowers ou encore du groupe de rock Dynastie Crisis, backing band du Polnareff lors des légendaires shows à l'Olympia, mais, comme dit, rien de sûr! Cela donne néanmoins un résultat tout à fait captivant ...


Michel mélange les styles donc. On trouve au sein de cet album un bel échantillon de tout ce qu'on peut écouter à l'époque. "Voyages" est un instrumental mêlant avec habileté des éléments orchestraux avec des éléments pop, c'est un exemple typique de ces instrumentaux à la fois progressif et variété qu'on retrouvait fréquemment sur les albums de ceux ayant une formation musicale, mais cela reste très réussi, une belle entrée en matière, assez psychédélique en fait, avec son orgue Hammond .


Les choses deviennent sérieuses avec "Né Dans Un Ice-Cream", où Polnareff se la joue jazz, aux paroles prophétiques où tout le monde "jase" car "sa mère l'a nourri au jazz", et où il parle pour la première fois de ses iconiques lunettes de soleil, qui ont effectivement commencé à cette époque à protéger ses yeux myopes. C'est léger et savoureux, on notera ces choeurs superbes à intervalles réguliers dans la chanson.


Suit "Petite, Petite", dans la continuité directe de "Né Dans Un Ice-Cream", où le chanteur s'amuse à compiler au sein d'une chanson le nom de tous ses succès, ("J'ai inventé des bateaux, des oiseaux- Pour toi ma petite, petite- Toi la poupée- Qui fait non, qui fait non- C'est toi ma petite, petite", voilà, cela donne quelque chose comme ça). Ce titre est un coup de coeur, fragile et délicat. Le break inventif apporte beaucoup à la chanson, aussi.


Arrive ensuite "Computer's Dream", véritable curiosité, littéralement "Rêve D'Ordinateur". Polnareff se fait ici berçant, hypnotique piano électrique et des choeurs là encore tout à fait convaincant ... C'est l'instrumental le plus réussi ici, et le plus progressif. Après, il n'est pas si étonnant que ça quant on sait que Michel a toujours été un passionné d'informatique !


"Le Désert n'est plus en Afrique" m'a toujours moins convaincu. Il signe la fin du pseudo-medley que formaient les quatre titres précédents, et un aspect un peu plus variété, aux paroles un peu naïves mais comportant tout de même une jolie guitare folk.


La face A s'achève avec un des premiers chef d'oeuvre baroque de l'album, en la personne de "Nos Mots d'Amour", à comprendre "Nos Maux D'Amour", suivant les lyrics. Ce titre est fantastique, de son piano à son ambiance en passant par ces mots, si simples mais si clairs. C'est magnifique, mais la suite l'est encore plus !


"Qui A Tué Grand'Maman ?". Que dire de plus ? Un des plus grands succès de Michel Polnareff, le single, et un titre intemporel. Il est dans la continuité parfaite de "Nos Mots D'Amour" mais en plus réussi. C'est la chanson-hommage à Lucien Morisse, évoqué plus haut, aux paroles jardinières et pourtant si crues. Si le bulldozer a tué grand'maman, alors il nous a balayé avec elle. Les mots manquent pour décrire cette chanson, il faut l'entendre pour la croire, bien qu'il est tout à fait possible que vous la connaissiez déjà. Un classique.


Euh, notons qu'entre "Grand'Maman" et "Nos Mots D'Amour" se situe un petit instrumental, "...Mais encore", un peu assourdissant et secondaire. C'est le titre le plus dispensable du disque, où les cuivres sont majoritaires et grandiloquents (trop peut être).


L'album continue avec "Monsieur L'Abbé", à la guitare désarticulé et compressée. C'est ce qui s'apparenterait le plus au rock sur ce disque, ce titre est une critique de la religion catholique, où "Monsieur L'Abbé", où Polnareff rigole du fait que les religieux ne puissent se marier. C'est un peu grivois, un peu amusant aussi, mais on observe surtout la présence imcompréhensible de ce bruit de marche militaire à la fin. J'ai beau chercher, je ne vois pas ... Il faudra demander au maître sur Twitter.


"Hey You Woman" est le moment soul de Polnareff's, contenant même un proto rap, où le chanteur parle d'un amour à sens unique, avant de s'énerver face à cette perte de temps, le tout entrecoupé de choeurs soul. C'est encore une curiosité, on est jamais sûr d'aimer cette chanson, mais Polnareff l'apprécie lui, l'ayant récemment rejoué en tournée. C'est au final pas si désagréable que cela, mais léger.


L'album s'achève sur une autre variété, "A Midi A Minuit", basé sur la même suite d'accord que "Can't Help Falling In Love". C'est un peu plus minaudeur, un chant trop sucré, aux paroles toujours un peu idiote, et aux arrangements trop sirupeux. Ca en touchera certains, pas moi. Bref, Polnareff's s'achève sur une note plus secondaire, mais livre un bilan des plus positifs.


En effet, on parle quand même du premier vrai album de Michel Polnareff, les deux premiers n'étant pour rappel que des compilations de singles. Il offre un ensembe cohérent et une vraie diversité dans les titres offerts. C'est à la fois très commercial et très risqué, et c'est en cela que repose le talent de Polnareff. Jamais il ne réatteindra les sommets de Polnareff's, qui signe la fin de sa première période. C'est un disque à savourer en entier, sans pause. Sous sa verte pochette (où l'on constate l'apparition des lunettes qui ne le quitteront plus), cet album reste trop inconnu, et doit de toute urgence être réhabilité en tant que véritable classique et surtout magnum opus de Michel Polnareff.


Suivra ce disque l'excellent live Polnarévolution, tiré des shows de l'Olympia de 1972, où le chanteur sera reconnu d'attentat à la pudeur pour avoir fait sa pub en affichant son postérieur dénudé sur tous les murs de la capitale. J'aimerai bien voir ça maintenant... C'est un live très réussi, dont on reparlera certainement.


On connaît la suite de l'histoire... la mise à sac de ses comptes en banques par son conseiller, puis son exil aux Etats-Unis, le funk, la soupe, "Lettre A France", le bodybuilding et les lunettes de soleil, le bronzage et les séquençeurs, "Marylou" puis le silence...


Bien que certains de ses travaux plus récents soient tout à fait agréables, comme le Bulles de 1981 ou encore Coucou Me Revoilou de 1978, plus jamais Polnareff n'a réatteint les sommets d'élégance et de classe de Polnareff's.


Polnareff's, irréel.


Lien vers l'album complet


"Qui A Tué Grand' Maman ?"


Petit bonus: le thème principal de Ca N'Arrive Qu'Aux Autres, magnifique ...

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le 22 oct. 2022

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