Contexte: Je suis à New York. Je parcours la ville avec un objectif précis: trouver LE magasin de disques. Après quelques essais à Greenwich Village, je me souviens subitement d'une boutique dont j'avais appris l'existence avant mon départ: le Jazz Records Center. Je me rends à l'adresse indiquée, mais aucun magasin à l'horizon. Ce fut une vulgaire étiquette sur une boîte aux lettres qui m'apprit que le JRC était basé à l'étage. J'y ai découvert une véritable caverne d'Ali Baba. Je flânais dans les rayons, mes parents essayant de trouver des artistes qui leur disaient quelque chose, puis je suis tombé sur cette couverture étrange, ce titre, et ce nom. Une fois chez moi, en Belgique, je l'ai écouté une fois, deux fois, trois fois et je suis tombé sous le charme.



Pithecanthropus Erectus (le morceau)



Ce morceau, divisé en quatre mouvements, est pour moi le plus réussi de l'album. Il commence par une ligne de basse sobre mais très efficace, accompagnée de la batterie qui est rapidement rejointe par les saxophones et le piano. Le thème, présenté dans le mouvement 1, sonne selon moi comme une puissance grandissante mais rampante dans l'ombre. Ce thème est inquiétant et fascinant à la fois. On ressent aisément le travail fourni par Mingus pour composer ce morceau. Rien que le premier mouvement est déjà d'une richesse qui fait mouche.


Après quelques répétitions du thème, vient la montée: glorieuse, héroïque, cauchemardesque. Le tempo s'accélère, l'auditeur en a des frissons. Cela sonne à mes oreilles comme une valse folle, qui puise directement son énergie en enfer. Puis vient la divine résolution: un roulement de piano, deux longues notes de saxophone, un break.


Il est difficile de mettre des mots sur ce que j'éprouve lorsque le solo de saxophone commence. La sensation qui s'en rapproche le plus serait celle d'un orgasme. Pour vous dire, il m'est arrivé de lâcher une larme de joie tellement ce moment est intense. Ce solo inaugure le second mouvement, où chaque musicien revisite le thème à sa façon. Le solo de piano est mémorable également. Seul Charles Mingus se révèle économe, n'accaparant pour son instrument que le début de la partie "piano".


Après ces aventures solistes vient le troisième mouvement, qui n'est que le retour du thème couplé à un pont qui mène vers le quatrième mouvement, climax ultime, dont la puissance est encore renforcée par le quasi-silence qui vient se placer à la toute fin du morceau.



A Foggy Day (in San Francisco)



Voici le morceau qui m'a fait retirer une étoile à cet album. Il s'agit à l'origine d'une composition de Gershwin. La mélodie au saxophone est sympathique, l'accompagnement brillant, mais il y a un hic de taille. Mingus a tenté ici de reproduire les bruits urbains qu'il avait perçus à San Francisco, afin d'évoquer à l'auditeur une promenade, le saxophone à la main, dans les rues animées de la métropole. Vous l'aurez compris, c'est pour moi raté. La profusion de bruitages (parfois ridicules) rend le thème absolument inécoutable. Ceux-ci, au lieu d'offrir un fond sonore original, sont au devant de la scène, éclipsant la mélodie. Heureusement, les solos en sont presque dépourvus, les effets sonores (tous réalisés à l'aide de véritables instruments) ne sont présents que par petites touches et rendent plutôt bien. Leur surnombre se fait cependant ressentir dès le retour du thème. Dommage...



Profile of Jackie



Ce morceau fait partie des "tableaux" imaginés par Charles Mingus pour représenter ses proches. Ici, c'est son musicien, Jackie McLean (sax alto), qui est représenté. Ce morceau agit comme une sorte d'interlude fort appréciable. La part-belle est évidemment faite à l'alto, qui fournit ici une belle prestation. Certains passages me font penser à "Reincarnation of a Lovebird", l'hommage à Charlie Parker paru sur l'album "The Clown", qui sera critiqué par mes soins ultérieurement.



A Love Chant



Piano, tambourin, sax, magie. Le thème est construit sur la même structure que "Pithecanthropus" et sonne merveilleusement bien. Les solos se font sur un tempo bien plus rapide. Je n'ai pas grand chose à dire sur ce très long morceau. Il ne me transcende pas, et pourtant je ne peux que reconnaître sa qualité à chaque écoute.



Avis Général



Cet album, très visionnaire, est l'un des instigateurs du Free Jazz d'Ornette Coleman. Il fait partie de mes enregistrements de jazz favoris.


Merci d'avoir lu cette critique, qui est ma toute première sur ce site.

MingusOhYeah
9
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le 12 juil. 2017

Critique lue 677 fois

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MingusOhYeah

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