J’aimerai voir dans ta tête…



Personne ne le fera pour nous, c’est quelqu’un qui se lance dans l’inconnu. Le ravin. Sans filet, ou des filets aux mailles lâches, désordonnées et qui ne rattachent que peu - même si elles rassurent.



Je rêve de coins d’églises de silences et puis de mers, je rêve d’infirmières et de moi sans visage



C’est quelque chose qu’on regarde comme on verrait un film, une bobine, à travers des filtres.
Plus que jamais on utilise ici les ombres, les souvenirs, les cadres les photos les silhouettes.
Et pour cause, Personne ne le fera pour nous, c’est le premier disque où l’on n’est plus tout à fait, autant ancré au présent que dans l’ensemble des productions précédentes de Bouaziz.
C’est le disque mélancolique, rêveur et nostalgique de Bouaziz par excellence.



On me racontait toujours des films incroyables…




Ce que tu dis j’y crois à peine, c’est trop simple, c’est trop joli.



Et en ça, c’est une première chez Mendelson, on n’a plus peur de faire de « belles » chansons. Non pas une collection de belles chansons, on poursuit les trames nerveuses du cerveau fourni et fulminant de Bouaziz quand même, donc forcément il y a toujours une bonne part laissée aux cauchemars et horreurs, mais on ne cherchera plus à éviter parfois la beauté comme sur le dissonant "Quelque Part", au contraire on cherchera par tous les moyens à la sublimer : on offre aux chansons le temps. Le temps, simplement, de s’étendre, de boucler à l’infini et d’atteindre quelque chose d’indicible.


C’est comme une longue journée pas si géniale, mais où quelques mots, quelques bribes d’une émotion naïve surannée sauvent et même redorent entièrement le jour, où l’on finit par se sentir bien d’une certaine façon après avoir souffert pendant des heures - lavé des angoisses, des profondes tristesses, pendant un moment.


Pour un « je t’aime », un « tu comptes pour moi », l’âme se retrouve portée et surnuméraire, formidable d’élan, sorti des limbes. Pour brusquement y retomber, car malgré tout Mendelson reste ce qu’il est.


C’est pourtant quelque chose d’assez inexprimable, mais quand les morceaux violentent l’auditeur, hurlent une hargne et une détestation profonde ("J’aime pas les gens" et son riff perclus de dédain en tête), malgré tout (et c’est très personnel, je n’ai aucune idée de qui fait cette expérience là pour cet album là) jamais on n’a l’impression de se voir infliger des vérités cinglantes et sordides comme pouvaient le faire les albums précédents (et je ne parle pas encore du suivant), on a l’impression d’une sorte de compassion autour de tout ici. Bouaziz ferme les yeux, et laisse des doutes et des questions sans réponses.


Est-ce qu’on refuse juste la vérité, la lucidité ?
On se complait dans le souvenir ?


« Certains s’arrangent avec leurs illusions, certains trouvent de quoi être sereins » disait Arnaud Michniak, dans Demain (sur l’album "Mon Cerveau Dans Ma Bouche"), et étrangement cette phrase résonne largement de mon expérience de l’album.


Une sérénité illusoire, mais bien portée. Un masque fidèlement accroché, et finement taillé ; loin de L’Ardèche et de son illusion sous forme de mensonge inassumé.


Personne ne le fera pour nous oscillerait ainsi pour moi entre le mensonge bien formé, renforcé, les quelques regrets acceptés, les horreurs distanciées ("Le sens commun"), et simplement la « nostalgie de Dieu », d’une enfance bénie, de souvenirs enjolivés.


Ces regrets acceptés viennent en flottant, et dans leur légèreté, c’est pourtant peut-être le plus amer de l’album : l’acceptation de quelque chose qui ne nous plait pas, quand on n’en a plus le choix, et qu’on l’a accepté comme on accepterait un phénomène naturel, ce « qui devait arriver », c’est le magnifique « Sans moi », dualité de l’espace « je suis là… je ne suis plus là » et bien entendu du « moi et toi » qui s’est rompu en un « moi » et « toi ».



Des choses vivent sans moi



Comme toi



Comme toi je ne suis plus là



Ça va



(pensez-en ce que vous en voulez, c’est probablement le moment qui me touche le plus dans tout l’album).


Et donc les souvenirs enjolivés, et là il y a…



Barbara




1974, 1977, 1978, 1983



On égrène en quelques secondes tout un monde ; l’enfance. Les « plus belles années » selon certains, là où on « se forge », ou du moins où l’on créera des souvenirs immortels - pour certains, tous ont après tout leur « propre vitesse ».


Tout a déjà été dit dès le début, on rêve et on se remémore des rêves, on en fait ce qu’on peut en souriant « je regarde et je profite, et je revois mes amis », ou « je me souviens de tout » : c’est le raccourci formidable de la conscience mis à portée humaine, tangible et tactile.


Il y a bien des choses qui tombent chez moi du côté de l’indicible, et là Bouaziz arrive à poser des mots simples sur l’indicible, sur l’enfantin et le naïf qui s’offre à l’univers.



j’étais si amoureux, j’étais si content d’être malheureux



Il y a quelque chose de très pur, de non-camouflé, dans ce morceau, comme une pureté simple, la beauté sans appareil dirait-on. C’est du dessin de milieux simples - des salons, des cuisines, des cours de récrés ; d’objets simples, des posters, des familles, des boutiques, tout le terrain d’un jeu infini pour l’imagination fertile d’alors, qu’on retrouve presque en s’introduisant sans y avoir été invité par quelques mots, sans pudeur.
Et tout ça, c’est aussi dans le dénuement des accords de guitare à peine soutenus par le scintillement toujours plus émouvant des synthés.


Barbara, ce sont 11 minutes 27 simples qui racontent simplement une période simple de la vie, les menus problèmes, avec le sourire tendre du recul et de l’ironie sur les desseins qu’on pouvait se projeter dans notre toute grande imagination édulcorée bambine.


Tendre. Voici le mot juste.


Un mot qu’on envoie aux gens pour les faire sourire. Et tenir. Encore d’autres semaines.


C’est un besoin, un besoin immense de tendresse, d’accolades, de briller pour d’autres (car personne ne le fera pour nous...) pour rayonner en eux et en soi, par leurs propres lumières qu’ils vous envoient par confiance.


Et puisque la lumière a existé avant, elle subsiste dans le souvenir, et comme le souvenir est bien présent, la lumière est toujours là, parfois se camoufle - la nuit…



Il y eut plusieurs jours et plusieurs nuits



Mais toujours fini par revenir, et il reste toujours quelque chose à faire.
C’est courir vers la lumière - la silhouette de la pochette - ; c’est un espoir immense ces genres de mots que manie à la perfection Bouaziz. C’est ces mots du quelque chose.


Quelque chose qui nous rend tout hébété d’être ici, vivant, et surtout immensément heureux d’en être là.


Ces nostalgies, ces souvenirs, ces amertumes et ces petits riens, ces rêves en fait se résument peut-être tout simplement sur la dernière phrase de l’album.



Je veux juste être aimé.



Oui, c’est une belle conclusion.

Rainure
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le 7 avr. 2017

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