Ce qui ressort vite de ce nouvel album du groupe de Doug Martsch, c'est le plaisir du jeu et, surtout, le plaisir des guitares, des plus claires aux plus boueuses, présentes à chaque seconde du déchaînement total à la quasi-nonchalance. La conséquence de cet enthousiasme débridé est la mise de côté des instantanés pop à la Still Flat ou autres Joyride, ou plutôt l'emballage de perles de cet acabit dans de grandes envolées sans que cela ne ressemble jamais, merci, à un revival Grateful Dead. D'où des chansons longues (une seule dure à peine moins de cinq minutes), mais toujours tendues souvent sombres et changeant à l'envie de rythmes ou de directions, garantie d'un intérêt sans cesse renouvelé. Les passages instrumentaux viennent complèter à la perfection les rares couplets, renchérissant sans en faire trop. Bien sûr, à la première écoute, on peut vaguement regretter ce qu'on a l'impression d'avoir perdu, mais on se souvient qu'une des principales caractéristiques de ce groupe est d'être le jouet de Martsch, qui en renouvelle l'effectif comme on change de chemise. Puis on se rejouit de pouvoir écouter ces huit nouveaux titres et on célèbre cette démarche, qui, bizarrement, produit des disques que l'on essaye une fois et dont on ne veut plus se séparer.. (Magic)
Loin de la frime des petits marchands de bruit, le rock rural de Built To Spill pousse la tête en bas et les racines au vent. Lorsque les punks de salon auront déserté la devanture de Rolling Stone, que la coquille vide de la rébellion MTV se fendillera d'avoir été trop couvée, alors l'Amérique appellera en renfort des types comme Doug Martsch. De même qu'on a coutume de s'en remettre régulièrement à Neil Young, on se tournera vers l'oracle de l'homme de Boise, Idaho, histoire d'aller y quérir quelques bribes d'un langage authentique et d'un comportement singulier dans ce flot de paroles et d'actes à la petite semaine. Construite, donc, pour qu'on vienne à elle avec le temps ­ ne comptez pas sur elle pour venir à vous ­, la forteresse Built To Spill n'a jamais paru si sévère qu'à l'approche de ce troisième album : huit titres tournant à une moyenne de sept minutes, avec au moins cent rebondissements chacun, voilà de quoi décourager les clients du formatage radio. L'amateur de saison sèche ­ qui se souvient que Martsch fricota un moment avec Calvin Johnson au sein de Halo Benders ? ­ s'abritera quant à lui sous la menace des giboulées de Martsch, dérouté par tant de luxuriance : pas très lo-fi ce violoncelle qui vibre à plein archet, un peu douteuses ces rythmiques qui rivalisent de désinvolture avec les guitares au lieu de rester stupidement en place. Ennemi de la rectitude, Martsch est en ce sens le cousin exigeant et renfermé d'une jeune dynastie qui, de Pavement aux Flaming Lips, arrache et replante son arbre généalogique à chaque album. Depuis les bien nommés Treepeople, l'ancien cheval de Troie des croisades de Martsch, il n'a été question que de ça. Et lorsque tout ce petit monde se retrouve la tête en bas et les racines au vent, c'est précisément là qu'il devient passionnant : quand le chêne Neil Young se fait roseau sous la caresse des pluies acides, ploie à en mordre la poussière mais finit toujours par s'ériger, impeccable et fier. C'est avant toute chose ce que nous enseigne Perfect from now on et ses déconstructions/reconstructions successives d'une matrice que l'on pensait figée dans le marbre : en subsistent toujours une politesse, un respect notable vis-à-vis de la source qu'on malmène, et qui dressent au final une frontière nette entre l'audace et la barbarie. Et l'audace est bien dans le camp reculé du modeste Doug, quand la barbarie fait rage dans les hit-parades sous les assauts de Reef, Bush et autres impostures monosyllabiques. L'hypothèse d'un inversement des tendances, à l'aune de ce troisième album foisonnant et complexe, est aussi probable que l'organisation des JO sur la Lune. Ou dans l'Idaho. (Inrocks)

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le 13 mars 2022

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