Party
7.3
Party

Album de Aldous Harding (2017)

“Party”, neuf titres, le minimalisme, la langueur, la noirceur aussi. Un intense sentiment de solitude, murmures apaisés, constatations incrédules et cris de douleur.
Effacée, la jeune femme du disque éponyme, comme une présentation discrète mais prometteuse, l’air ahuri sous sa casquette. Maintenant, c’est une créature floue, possédée et obsédante, qui défie secrètement l’auditeur sur la pochette. Noir, blanc, souvent gris, ciels d’orages sur mer calme. Folk gothique étiré jusqu’aux extrémités du silence.
« Blend », une entrée en matière discrète et têtue, une guitare et une boîte à rythmes, doux tirs croisés autour de l’absence d’un père, pose le ton de ce « Party ». Des ballades folk comme une marche en montagne, des plaines bruissantes au milieu de sommets impuissants, des rivières glacées brillant sous le pâle soleil d’été. Une guitare acoustique aux cordes nylon, quelques arrangements sybillins : un saxophone, un piano sculptural qui rythme le disque comme une marche funèbre, quelques violons discrets en fond, la bande-son d’un pathos pudique. Un paysage comme celui des Hauts de Hurlevent, dépouillé, désolé, tantôt gouffre de solitude, tantôt miroir de l’apaisement.
Au-dessus de ce décor, hantée, viscérale, et sans cesse changeante, la voix. Lunatique, Aldous Harding : parfois transparente et lascive - ”Blend” -, puis étrange à elle-même, enfantine au point d’être nasillarde - séduisant “Party” -, murmurée, suppliante, désabusée. Comme un désir incontrôlable de compréhension, à mesure que se déroule le fil de ses états d’âme. De l’abandon, l’équilibre fragile des relations humaines, jusqu’à sa rupture d’avec le monde. Chaque chanson, comme une étape, un itinéraire diaphane dans une sensibilité béante.
“All my life I’ve had to fight to stay
You were right, love takes time, hey hey”
Et lorsque l’on croit avoir atteint avec elle, enfin, la sérénité - “I’m so sorry”, presque jazz, voix de sirènes -, un abîme s’ouvre. « Horizon » : trois accords de piano, des chœurs impitoyables, une diction torturée, presque pénible, traînée jusqu’au paroxysme de la douleur et du défi. Au coeur du cri, pourtant, la tentative la plus sincère de réconciliation avec l’ordre du monde : de paisibles cuivres, étirés, comme une fenêtre un jour de pluie.
La tension finit par se fondre en une tendre résignation : « The World Is Looking For You », et surtout « Swell Does the Skull », conclusion fantomatique dans laquelle Harding invite une autre voix tout aussi voilée que la sienne (Mike Hadreas, aka Perfume Genius). L’élégance, d’admettre la fin du domaine des hommes, de ne pas explorer plus que l’humble défaite de sa volonté face au cours des choses.


“He comes home, out of the rain
I take his coat, and his walking cane
And he says softly to me :
The war is over, we belong in the country”

Chloé_M_Maréchal
10

Créée

le 14 sept. 2017

Critique lue 396 fois

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